Vu des États-Unis – Français et Britanniques, les faux jumeaux les plus turbulents de l’Europe

Courrier internationalLe Royaume-Uni et la France ont beau multiplier les chamailleries depuis le Brexit, les deux pays se ressemblent bien plus qu’on ne le pense, soutient ce journaliste américain dans The Atlantic. Et partagent un objectif commun : rester dans la cour des grands.

Qui pourrait vous en vouloir si, à en juger par les retombées du grand braquage anglo-américain dans l’affaire du contrat sur les sous-marins entre la France et l’Australie, vous en veniez à conclure que Londres et Paris sont en toutes choses diamétralement opposés : qu’il s’agisse de la personnalité de leurs dirigeants, de leurs grands projets stratégiques, de leurs modèles économiques ou de leurs mœurs sociales. Or, le plus curieux, c’est que le litige autour du nouveau pacte de défense américano-australo-britannique, ou Aukus, révèle surtout à quel point ils sont fondamentalement proches en réalité.

Paris voit dans l’affaire des sous-marins la preuve de “l’opportunisme permanent” de Londres et sa préférence pour le rôle de faire-valoir dans un partenariat avec les États-Unis, au détriment de toute association significative avec l’Europe. C’est comme si rien n’avait changé depuis le temps où Winston Churchill, exaspéré, s’était emporté contre Charles de Gaulle à la veille du Jour J et lui avait dit que si le Royaume-Uni était contraint de choisir entre l’Europe et la haute mer, il choisirait toujours cette dernière. Du point de vue français, le rêve de Boris Johnson d’une “Grande-Bretagne mondiale” hors de l’Union européenne n’est que la dernière manifestation en date de cet instinct national aussi profond qu’indigne.

Les Britanniques, eux, considèrent que la réaction de Paris à l’Aukus dévoile simplement au grand jour le chauvinisme antiaméricain latent de la France, son obsession pour sa grandeur* depuis longtemps révolue, et le cynisme de sa stratégie qui consiste à utiliser l’UE comme vecteur de son objectif, voué à l’échec, de redevenir un acteur mondial. Une vision britannique des choses résumée, le mois dernier, par Boris Johnson à Washington, quand il a lancé, sur un ton visiblement destiné à crisper un peu plus le gouvernement d’Emmanuel Macron : “Donnez-moi un break.”**

 

Tandem

 

Pourtant, il faut prendre le temps de réfléchir, pour s’apercevoir que loin d’être à des extrémités opposées du spectre, la France et le Royaume-Uni sont plus semblables qu’aucun autre tandem de pays sur Terre. Non seulement en termes de population, de richesse, de passé impérial, d’influence mondiale et de tradition démocratique, mais aussi sur des questions plus profondes : le sentiment d’exception, le désir d’être respecté, l’angoisse face à la puissance croissante d’autres, qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Allemagne ou de la Chine. Londres et Paris ont peut-être opté pour des stratégies différentes – et rien ne dit qu’elles aient autant de mérite l’une que l’autre –, mais les parallèles entre ces deux nations sont évidents.

Or, au lieu d’en être conscients, chaque pays semble agir comme une sorte de miroir déformant pour l’autre, s’empêchant mutuellement de se considérer avec raison en projetant d’eux une image qui ressemble beaucoup plus à une collection de leurs propres peurs et espoirs qu’à autre chose. Si la France ne semble guère se soucier plus du Royaume-Uni que le Royaume-Uni se soucie de la France, la férocité des critiques venues d’outre-Manche n’en a pas moins été révélatrice, ne serait-ce que par le manque flagrant de capacité à l’introspection qu’elles trahissent. Clément Beaune, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, a déclaré que la participation de Londres à l’Aukus, loin de faire la démonstration de la “Grande-Bretagne mondiale”, était surtout le signe d’un “retour dans le giron américain, avec une forme de vassalisation acceptée”.

Jusqu’à la réplique ironique de Johnson, le gouvernement britannique s’était montré plus discret dans ses ripostes. Officiellement, Londres s’est efforcé d’apaiser les choses, mais en privé, les reproches français sont traités par le mépris, et Paris est accusé d’avoir passé des années à se raconter que le Brexit serait une catastrophe, et donc de ne pas avoir été capable de pratiquer même la plus élémentaire des diplomaties afin de comprendre comment Londres pourrait vouloir préserver son influence et son statut.

En réalité, les deux camps ont raison.

Dans les années qui ont suivi le vote en faveur du retrait britannique de l’UE, la diplomatie française à Londres a effectivement été lamentable – que ce soit dans l’espoir d’influencer le gouvernement, ou pour mieux comprendre sa stratégie interne. Pendant la crise du Brexit, l’ambassadrice à Londres, Sylvie Bermann, a souscrit à une “bonne vieille anglophobie démodée”, selon Robert Tombs, professeur d’histoire de France à l’université de Cambridge. Dans l’entourage de Johnson, on soutient que cela n’a pas vraiment changé avec la nouvelle ambassadrice, Catherine Colonna, qui n’a qu’un accès fort limité aux membres du gouvernement britannique, dans la mesure où elle a préféré, en guise de stratégie, les critiquer ouvertement sur Twitter plutôt que d’user des rouages discrets de la diplomatie.

Du point de vue de la France, l’annonce au sujet de l’Aukus représente non seulement la perte d’un “contrat du siècle” portant sur la construction de sous-marins, mais aussi une menace capitale pour les aspirations de Paris en tant que puissance indépendante en Asie-Pacifique. De plus, elle a été mise sur la touche par un gouvernement américain censé être instinctivement hostile au Royaume-Uni du Brexit et plus favorable à l’Europe. Pour le Royaume-Uni, en revanche, l’Aukus constitue une étape concrète dans la consolidation de ses liens avec la région, qui ouvre la voie à des relations plus étroites avec le Japon, l’Inde et d’autres, tout en préparant son intégration au gigantesque accord commercial du Partenariat transpacifique. On

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Tom McTague
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