Le pari d’un sommet Afrique-France nouvelle formule

Emmanuel Macron a choisi de n’inviter aucun président africain à l’évènement organisé vendredi 8 octobre à Montpellier. La société civile est mise à l’honneur.

Le Monde – En relations internationales, pas plus qu’en d’autres domaines, un sommet ne constitue une politique. Le prochain événement entre l’Afrique et la France, organisé vendredi 8 octobre à Montpellier, n’échappe pas à la règle. Mais il délivre au moins quelques enseignements sur la façon dont Emmanuel Macron entend rénover les relations compliquées de la France avec le continent africain. Ce « nouveau sommet », selon la terminologie officielle, est ainsi censé marquer un changement méthodologique et de perception des rapports entre les deux parties. Changement dont la pérennité n’est pas garantie à sept mois d’une élection présidentielle française à l’issue incertaine.

Vendredi, quelque 3 000 participants, dont plus d’un millier de jeunes du continent africain (parmi eux près de 350 entrepreneurs), sont ainsi attendus pour des rencontres et des tables rondes entre sociétés civiles africaine, française et de la diaspora, sur des sujets économiques, culturels et politiques. La nouveauté de ce sommet repose sur l’absence des présidents africains pour la première fois depuis 1973, date du premier du genre, à l’époque des eaux troubles de la « Françafrique ».

« Montpellier, c’est une sorte de sommet renversé où ceux qui d’habitude ne sont pas invités dans ce type d’événements internationaux seront au cœur de l’événement », explique-t-on à l’Elysée. Il s’agit « d’écouter la parole de la jeunesse africaine » et de « sortir des formules et réseaux obsolètes », ajoute la présidence, en vantant le format « inédit » de l’événement qui « mettra en relation les acteurs essentiels de la relation [entre l’Afrique et la France] dans les dix et vingt ans qui viennent ».

 

« Des effets pervers »

 

Pas de Paul Biya, donc, président du Cameroun depuis 1982. Ni d’Ali Bongo projeté à la tête du Gabon à la mort de son père Omar en 2009. Il n’y aura pas plus de néoputschistes en uniforme de l’armée tchadienne, malienne ou guinéenne. Ni l’Ivoirien Alassane Ouattara qui a tendu, au risque de le rompre, le fil démocratique fragile, de son pays en s’adjugeant un troisième mandat présidentiel qu’il avait promis de ne pas briguer. Ce n’est là qu’un bref survol, incomplet, des errements démocratiques de l’Afrique où Paris entend bien toujours jouer un rôle.

« Le positionnement de la France sur les enjeux démocratiques n’est pas une tractation entre chefs d’Etat », explique l’Elysée pour justifier cette attention portée à la société civile. « Ce n’est pas le sommet des oppositions politiques, précise-t-on, [mais] des personnalités engagées dans des mouvements citoyens, des blogueurs, des activistes… Pas des organisations à proprement parler. » Cette approche ne convainc pas tous les absents. « Il faut se méfier des effets pervers. Mettre en avant les sociétés civiles au nom de la mauvaise gouvernance d’un certain nombre de pays peut accélérer la délégitimation des Etats », s’inquiète un ministre sahélien.

Il y a un peu plus d’une année, seulement, n’eussent été les contraintes imposées par l’épidémie de Covid-19, un tout autre format était d’ailleurs envisagé. Le 28e sommet Afrique-France devait alors se tenir en juin 2020 à Bordeaux. Il aurait dû accueillir cinquante-quatre chefs d’Etats, africains essentiellement, et des centaines d’entreprises françaises et africaines. « Pour ce qui concerne les sommets classiques avec l’Afrique, le positionnement du président Macron se porte sur la dimension continentale et donc ce sera l’objet du sommet Afrique-Europe qui se tiendra [en 2022] sous la présidence française de l’Union européenne », explique aujourd’hui l’Elysée.

La dernière grand-messe « classique » s’est tenue quelques mois seulement avant la fin de la présidence de François Hollande, en janvier 2017, à Bamako. Celui-ci avait choisi ce lieu pour vanter son bilan au Mali où, disait-il contre nombre d’évidences, « la démocratie a repris son cours » et où « les terroristes ne contrôlent plus aucun territoire », sous-entendu grâce à l’intervention militaire française lancée en 2013. Près de cinq années plus tard, les militaires maliens ont chassé, en août 2020, le président élu, Ibrahim Boubacar Keïta. Les groupes armés insurrectionnels (islamistes ou communautaires) ont la main sur une part croissante du territoire malien et exportent la violence vers les pays avoisinants. Paris a revu à la baisse sa présence militaire dans la région et les tensions actuelles entre Bamako et la France illustrent les difficultés à établir des relations sereines dans son ancien pré carré, devenu un champ de bataille diplomatique avec d’autres puissances (Chine, Russie, Turquie…) qui l’investissent.

 

Un contre-sommet

 

Si vendredi à Montpellier, les présidents africains seront absents, Emmanuel Macron, lui, sera bien là. Il dialoguera en session plénière avec des jeunes venus de douze pays africains, pas tous francophones (Afrique du Sud, Angola, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Kenya, Nigeria, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Sénégal, Tunisie). Ce panel a été sélectionné à l’issue des dialogues menés pendant des mois à travers le continent par l’intellectuel engagé Achille Mbembe. Critique acerbe de la « Françafrique » et du néocolonialisme libéral, le philosophe camerounais, chargé de préparer, en amont, cette rencontre est peu suspect de complaisance envers le président français.

Des voix se sont toutefois élevées pour dénoncer ce sommet asymétrique où des ressortissants issus de cinquante-quatre pays d’Afrique sont les hôtes de la France. Montpellier sera d’ailleurs le théâtre d’un contre-sommet organisé, notamment, par les organisations militantes Attac et Survie. « Malgré les effets d’annonce, l’esprit néocolonial est toujours présent. Sur le continent africain, la France exerce toujours une domination monétaire, économique, diplomatique et culturelle, poursuit des interventions militaires, et soutient des régimes qui bafouent les droits humains et empêchent l’émancipation des peuples », dénoncent-elles.

Le président français aura vraisemblablement à traiter de ces questions dans son échange avec les jeunes. Il sera aussi question de tirer un premier bilan des initiatives lancées après l’énoncé d’une feuille de route établie par Emmanuel Macron lors de son discours, fondateur, prononcé en octobre 2017 à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso.

Là, s’adressant à la jeunesse, il avait déjà promis de dépoussiérer les relations entre la France et le continent et annoncé quelques actions symboliques fortes : élaboration d’une nouvelle politique patrimoniale en direction de l’Afrique avec la restitution d’œuvres d’art à leurs pays d’origine ; refonte, voire disparition programmée, du franc CFA ; amorce d’un travail mémoriel portant notamment sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994… « Une batterie de projets initiés autour du discours de Ouagadougou indique que des innovations sont possibles. Des dispositifs nouveaux ont été mis en place dans divers domaines », avance Achille Mbembe dans la « contribution » de 140 pages remise officiellement mardi à l’Elysée.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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