« Je préfère les coups d’État militaires aux coups d’État constitutionnel ! »

Pour l'écrivain guinéen, les putschistes ont, pour le moment, fait un sans faute. Il revient sur les événements de ces 15 derniers jours dans son pays.

Deutsche Welle – Prés de 15 jours après le renversement d’Alpha Condé et la prise de pouvoir par les militaires en Guinée, les concertations pour la mise en place des instruments de la transition se poursuivent.

L‘écrivain, militant et défenseur des droits de l’homme guinéen, Tierno Monénembo veut y croire.

 

Retranscription de l’interview avec Tierno Monénembo

DW : Tierno Monénembo, bonjour !

 

Tierno Monénembo : Bonjour !

DW : Avez-vous été surpris par la chute du président Alpha Condé, le dimanche 5 septembre dernier ?

 

Tierno Monénembo : Pas du tout. Mais je savais que le système était déjà au bout du rouleau.La situation économique était catastrophique, la répression sanglante, le désarroi était total au niveau de toutes les couches sociales du pays et il fallait un déclic. L’armée l’a donné. Absolument salutaire. Ici, c’est le soulagement général. Nous respirons et c’est une très bonne chose. Je pense qu’il y a une possibilité de nouveau départ.

DW : Mais on pourrait vous accuser de faire l’apologie des coups d’Etat militaires…

 

Tierno Monénembo : Ah, avec plaisir ! Mais j’aimerais tellement qu’on m’accuse de faire l’apologie des coups d’Etat militaires ! Ces messieurs des Nations unies, de l’Union africaine et de la Cédéao qui ont soutenu les falsifications constitutionnelles, les coups d’Etat constitutionnel et qui versent des larmes de crocodile quand il s’agit du coup d’Etat militaire ! Mais je préfère les coups d’État militaires aux coups d’État constitutionnel ! Si ‘est comme ça, alors vive les coups d’Etat militaire !

DW : Un peu plus d’une semaine après avoir renversé le président Alpha Condé, les militaires, sous la férule du colonel Mamady Doumbouya, ont lancé à Conakry des concertations nationales avec toutes les forces vives de la nation. Qu’est ce que vous en pensez ?

 

Tierno Monénembo : C’est une très bonne initiative. Vous savez, les expériences de régimes militaires en Afrique ne sont pas très attirantes.On se méfie d’eux. Mais bon, pour l’instant, enfin cette petite semaine qui vient de se passer est une très bonne petite semaine puisque tout ce qu’ils ont dit et fait jusqu’à présent va dans le bon sens. On n’a pour l’instant rien à leur reprocher. Bon, ils peuvent déconner, on n’en sait rien. Mais on espère, ça va durer au moins un mois. C’est déjà ça de gagné !

Ahmed Sékou Touré, premier président de la République de Guinée. En poste entre 1958 et 1984. Ahmed Sékou Touré, premier président de la République de Guinée. En poste entre 1958 et 1984.

DW : Mais c’est connu, Tierno Monénembo, en Guinée, les militaires ont une boulimie du pouvoir. Le 26 mars 1984, ils se sont emparés du pouvoir au lendemain du décès du président Ahmed Sékou Touré. Et ils ont fait la même chose le 22 décembre 2008, à la mort de Lansana Conté. Les risques de confiscation sont bien là, non ?

 

Tierno Monénembo : Rien ne me le garantit. Mais nous sommes obligés l’espérer. S’il discute correctement, avec toutes les forces vives du pays, il peut se dégager une option salutaire. L’horizon est plus ou moins dégagé. A ce moment-là, il faut que les militaires prennent conscience d’une chose c’est qu’ils ont la responsabilité de sortir le pays de l’ornière.

DW : On ne sait toujours pas où se trouve le président Alpha Condé, un peu plus d’une semaine après sa capture par les militaires qui l’ont renversé. Quel sort souhaiteriez-vous qu’on lui réserve ?

 

Tierno Monénembo : Oh, un sort humain. Il ne faut pas le traiter comme il a traité les Guinéens. Il faut le traiter convenablement. Il ne faut pas le torturer, il ne faut pas l’insulter, il ne faut pas l’affamer. Mais il faut quand même le traiter en tant que détenu, ce n’est pas un prince. Je me demande pourquoi on lui a proposé de démissionner. Et puis bon, il n’a qu’à se soumettre quand même au régime alimentaire qu’il mérite ! Ce n’est pas un prince, ce n’est pas un président, il n’a pas à exiger un cuisinier personnel là où il est détenu.

DW : Selon nos informations, des tractations sont en cours pour l’exfiltrer hors de Guinée. Alpha Condé en exil, une perspective qui vous plaît ?

Tierno Monénembo : Elle me plaît pas du tout parce qu’Alpha Condé et les membres de son gouvernement doivent passer devant la justice.

DW : Tierno Monénembo, en Guinée, les contingences ethno-tribales sont tenaces, n’est-ce pas une menace pour la refondation de l’Etat tant souhaitée par les Guinéens ?

Tierno Monénembo : Oh les contingences ethniques ne sont pas plus dangereuses qu’au Sénégal, au Mali ou en Côte d’Ivoire ! C’est pas vrai du tout. Je peux vous assurer que les Guinéens sont très unis. Malheureusement, la division ethnique a été, depuis Sékou Touré, le fond de commerce politique de ceux qui dirigent le pays. C’est ce qui leur permet de rester au pouvoir et de consommer à l’échelle nationale du pays, tout seul. Sinon, il n’y a pas de problème dans ce pays. On est trop lié. Il n’y a pas une seule famille mono-ethnique en Guinée. Il n’y a pas un seul village mono-ethnique en Guinée. Il n’y a pas une région mono-ethnique en Guinée, contrairement aux légendes. Ce n’est pas vrai du tout. Les Guinéens peuvent parfaitement vivre ensemble, dans la paix, dans la fraternité.

DW : Donc, les Malinkés peuvent bien voter pour les Peuls, à l’issue de la prochaine élection présidentielle, c’est ça ?

 

Tierno Monénembo : Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Je vois des élections libres et transparentes et que l’homme élu dirige la Guinée, qu’il soit malinké, peul, soussou, guerzé ou toma, pourvu qu’il soit Guinéen. Et puis, le pouvoir n’est pas un legs familial. On n’a pas à transmettre le pouvoir à quelqu’un. Le seul devoir de cette junte c’est d’organiser une transition, la plus brève possible et que des élections normales se passent et qu’un président, régulièrement, élu dirige le pays. Voilà ce que je souhaite.

DW : La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest est très impopulaire dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et précisément en Guinée. Est-ce que personnellement, vous êtes déçu par la Cédéao ?

 

Tierno Monénembo : Je ne suis pas déçu de la Cédéao, je suis dégoûté de la Cédéao. Je me demande s’il ne faut pas supprimer la Cédéao. Si c’est ça l’unité, ce n’est pas la peine ! C’est affligeant. Ces gens ne méritent même pas qu’on les appelle Africains. Eux qui ont toujours servi les intérêts personnels d’Alpha Condé ! C’est pas la peine !

Eric Topona

Source : Deutsche Welle (Allemagne)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page