États-Unis – La haine s’apaise, mais persiste

Le DevoirL’attentat à la bombe à l’aéroport de Kaboul le 26 août dernier, dans lequel sont morts des dizaines de civils et 13 soldats américains, a provoqué une onde de choc jusqu’à Dearborn, dans la banlieue de Détroit, au Michigan. Dans les jours qui ont suivi le drame, une pancarte est apparue sur le terrain de l’Islamic Center of America, une des plus grandes mosquées du pays.

« Il y était écrit : retournez dans votre pays, résume l’imam Ibrahim Kazerooni, confortablement assis dans un des nombreux canapés de son bureau. Même si les tensions s’apaisent depuis quelques années, chaque crise, où qu’elle se produise, reste encore une opportunité pour certains afin de justifier leur haine des autres. Nous avons été témoins de ces gestes hostiles après les attentats du 11 septembre 2001. Et cela continue toujours de s’exprimer. »

Vingt ans après les attaques du World Trade Center par un commando de djihadistes, le sentiment de rejet est loin d’avoir disparu dans cette petite ville du Michigan qui se distingue dans le paysage démographique américain pour être celle où vivent, en proportion, le plus grand nombre d’Américains d’origine arabe ou de confession musulmane : ils forment ici 40 % des habitants, alors qu’ils ne représentent qu’un minuscule 1 % de la population totale des États-Unis.

« Rien n’est parfait, nulle part », philosophe David Ali, un boucher halal de la ville, originaire du Yémen, qui s’est installé dans ce Michigan industriel au milieu des années 1970. Comme d’autres, attirés par les emplois dans l’industrie automobile qui a fait les beaux jours de la région. « Mais les choses commencent à changer pour aller un peu mieux », assure l’homme rencontré lundi matin à l’ombre des arbres matures protégeant du soleil de septembre une des rues résidentielles typiques de la ville.

Quand l’homme se replonge dans le passé, il se souvient de l’esprit des lieux au lendemain des attaques. « Dearborn a alors été frappée par l’incertitude et la haine », dit-il. Elle est devenue entre autres une étape dans les pèlerinages anti-arabes ou antimusulmans amorcés par quelques figures fortes des mouvements xénophobes américains, galvanisées par la puissance symbolique des attentats. Les attaques verbales ou physiques ciblant les hommes aux traits jugés « trop méditerranéens » et les femmes portant le voile se sont alors multipliées. Un évangéliste de Floride a débarqué dans la ville pour y brûler un Coran en public, poussé par des rumeurs, toujours persistantes aujourd’hui, que la charia, la loi islamique, s’applique dans la ville, ce qui est totalement faux. Aux États-Unis, plus de 60 % des Américains d’origine arabe sont de confession chrétienne.

Le religieux fanatique a été arrêté par les autorités locales avant de passer à l’acte.

Un après comme un avant

« Les familles d’ici ont vécu des années difficiles au lendemain des attentats, assure l’historien Hani Bawardi, qui dirige le Center of Arab American Studies à la University of Michigan. La suspicion, la discrimination, le rejet, les commentaires haineux et même la peur et la dépression ont fait partie de leur quotidien. La perception négative des Arabes et des musulmans était déjà bien ancrée avant le 11 Septembre ; après, elle a persisté en s’articulant autrement et en s’abreuvant surtout au stéréotype persistant d’une origine et d’une religion associée à la violence. » Stéréotype dont l’Amérique commence à peine et timidement à se débarrasser, selon lui.

« Deux décennies plus tard, nous sommes face à un portrait un peu plus compliqué, dit l’universitaire, rencontré cette semaine à la terrasse d’un café urbain installé au bord de la passante Michigan Avenue. L’animosité à l’endroit des immigrants est toujours là, mais les membres de la communauté arabo-américaine sont moins passifs. Les jeunes, surtout, nés peu avant ou juste après le 11 Septembre, se montrent plus conscients et éclairés sur les questions d’injustice sociale, d’intolérance et de racisme. Ce qui pourrait ouvrir sur d’autres rapports de force à l’avenir. »

« En 20 ans, nous avons vu une plus grande maturité au sein de la communauté musulmane américaine face à l’engagement politique, le service civique et le développement communautaire, indique en entrevue au Devoir Mona Amer, professeure de psychologie à l’Université américaine du Caire, en Égypte, et auteure d’une étude exhaustive il y a quelques années sur l’impact des attentats sur les conditions de vie des Américains d’origine arabe ou de confession musulmane, après le 11 Septembre. À bien des égards, les efforts politiques et médiatiques constants pour étouffer la voix des musulmans américains et les présenter sous un jour négatif ont induit une mobilisation plus forte chez eux. Ils ont récupéré leur voix et livrent une image d’eux-mêmes qui représente mieux les forces positives qu’ils représentent. »

« Les États-Unis d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux d’il y a 20 ans, assure, depuis son bureau, Osama Siblani, éditeur du Arab American News, le journal de référence de la petite ville de 94 000 habitants. La démographie change, et la majorité blanche, au sein de laquelle certains aiment revendiquer une identité suprême, l’est de moins en moins. Les Américains sont aussi de plus en plus libéraux, et c’est sans doute ce qui fait grouiller les mouvements suprémacistes et racistes en ce moment. Ils sentent dans cette évolution une certaine perte de contrôle. Même s’ils représentent désormais une minorité dans l’Amérique dite blanche, ils font beaucoup de bruit pour se faire entendre. »

 

 

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Fabien Deglise

à Dearborn, Michigan

 

 

 

 

 

Source : Le Devoir (Canada)

 

 

 

 

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