Le Conseil de sécurité de l’ONU se divise sur les évacuations d’Afghans menacés

Paris et Londres ont échoué à imposer la mise en place d’une zone sûre autour de l’aéroport de Kaboul.

Il est des petits pas diplomatiques bien dérisoires, à l’aune du fiasco suscité par le retrait précipité des Etats-Unis d’Afghanistan. Peu avant que le dernier soldat américain ne quitte Kaboul, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, lundi 30 août à New York, une résolution demandant aux talibans qu’ils respectent leurs engagements, « en ce qui concerne le départ d’Afghanistan en toute sécurité des Afghans et des ressortissants étrangers ». La Chine et la Russie se sont cependant abstenues, limitant encore la portée de l’initiative soutenue par les Occidentaux.

Porté par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, le texte ne mentionne pas la mise en place d’une « zone sûre » autour de l’aéroport de Kaboul, jusqu’ici seul point de sortie du pays, en dépit des appels en ce sens d’Emmanuel Macron. « C’est tout à fait réalisable », avait jugé, dimanche 29 août, le président français lors de son voyage en Irak. Les talibans n’avaient pas caché leur rejet d’un tel dispositif, eux qui ont cherché à dissuader les Afghans de quitter le pays depuis leur arrivée au pouvoir, le 15 août.

Le texte réclame plutôt « la sécurisation de l’aéroport et des alentours », désormais entièrement contrôlés par le nouveau régime. Il dénonce l’attaque à la bombe survenue jeudi dernier et revendiquée par la branche locale de l’organisation Etat islamique. La résolution demande aussi un accès « sûr et sans entraves » aux populations pour les humanitaires encore présents sur place, notamment les agences de l’ONU. Et insiste sur le respect des droits humains, ceux des femmes en particulier, et la lutte contre le terrorisme.

 

Pékin et Moscou s’abstiennent

 

Pas de quoi inciter les diplomaties russe et chinoise à donner leur aval. Pour justifier leur abstention, les représentants des deux pays se sont, au contraire, montrés très critiques à l’égard d’une résolution considérée comme une manœuvre de diversion, en pleine débâcle occidentale. A Pékin comme à Moscou, l’humiliation infligée aux Etats-Unis a beau être un motif de satisfaction, le chaos et les risques sécuritaires qu’elle génère sont jugés préoccupants, même si les deux capitales ont établi très vite des contacts avec les talibans.

Pour l’ambassadeur adjoint de la Chine, les Etats-Unis et leurs alliés ont laissé derrière eux l’« énorme catastrophe qu’ils ont créée, tout en en faisant porter la faute et la responsabilité sur les pays voisins de l’Afghanistan et le Conseil de sécurité ». Pékin a ainsi mis en cause la frappe américaine survenue dimanche, à l’origine de la mort de plusieurs membres d’une même famille. Quant à l’ambassadeur russe, il a jugé que le projet n’était pas assez précis au sujet des menaces terroristes et n’abordait pas l’impact économique et humanitaire du gel des avoirs afghans déposés aux Etats-Unis.

« La France se réjouit de l’adoption de la résolution. Nous avons obtenu ce que nous demandions, à savoir un lieu sûr pour celle et ceux qui veulent quitter Kaboul », a néanmoins déclaré l’Elysée dans un communiqué, tout en regrettant les abstentions chinoise et russe. Les Afghans « attendent un soutien clair de la part de la communauté internationale. Et ce manque d’unité est une déception pour nous comme pour eux », a commenté l’ambassadrice adjointe de la France à l’ONU, Nathalie Broadhurst. Pour la représentante britannique aux Nations unies, il s’agit d’une « première réponse ».

 

Le cheval de bataille de l’Elysée

 

Cette « première réponse » survient alors que les Occidentaux espèrent continuer les évacuations, même après le départ des derniers militaires américains, qui sécurisaient jusqu’ici l’aéroport. En quinze jours, plus de 100 000 personnes ont été exfiltrées grâce à un vaste pont aérien improvisé dans l’urgence – dont un peu moins de 3 000 par la France et 15 000 par le Royaume-Uni.

Des milliers de candidats à l’exil et quelques ressortissants occidentaux sont toujours bloqués dans le pays. Les opérations pourraient se prolonger, en particulier via le Qatar, qui dispose de relations anciennes avec les talibans. Mais rien ne dit que le nouveau régime jouera le jeu, en dépit d’assurances données à différentes capitales pour autoriser le départ de ceux disposant de documents de voyage valides. Ou s’il cherchera, au contraire, à punir les civils prêts à quitter le pays.

Désormais boutés hors du pays par les nouveaux maîtres de Kaboul, les Occidentaux font de la poursuite des évacuations l’une des conditions d’une éventuelle reconnaissance politique du régime. Après les ministres de l’intérieur, mercredi, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne devraient insister en ce sens lors de leur prochaine rencontre, jeudi et vendredi, en Slovénie.

Mario Draghi, le président du conseil italien, a par ailleurs suggéré de discuter de la crise afghane au sein du G20, en particulier lors de son prochain sommet, prévu en octobre. Ce format, contrairement au G7, permet d’en discuter avec la Chine, la Russie et la Turquie. Enfin, Emmanuel Macron cherche, de son côté, à relancer son idée d’un sommet des dirigeants des pays membres du Conseil de sécurité. Un vieux cheval de bataille de l’Elysée, entravé jusqu’à aujourd’hui par les rivalités entre la Chine et les Etats-Unis.

Philippe Ricard

Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page