
Le président des Etats-Unis assume son retrait du pays, malgré l’effondrement de l’armée régulière et du pouvoir en place face à la progression fulgurante des talibans, et alors que l’évacuation précipitée des derniers ressortissants rappelle la chute de Saïgon, en 1975.
C’est la première crise internationale de Joe Biden et elle se passe mal. L’administration démocrate a été prise de court par la conquête surprise de l’Afghanistan par les talibans, alors que la chute de Kaboul semble imminente. Il y a quelques semaines, les Américains espéraient qu’une solution partiellement négociée serait possible avec les talibans. En réalité, la priorité unique est désormais d’évacuer quelque 10 000 citoyens américains et leurs collaborateurs et alliés afghans. La prise annoncée de Kaboul a des airs de chute de Saïgon, en 1975, quand le régime pro-Américain avait perdu face au Vietnam du Nord communiste. Mais cette chute est survenue deux ans après le retrait américain, tandis que la conquête des talibans n’a pris que quelques semaines.
Le président américain, qui multiplie les réunions de crises dans la retraite présidentielle de Camp David, à côté de Washington, a désormais pour priorité quasi unique l’évacuation de ses ressortissants. « J’ai autorisé le déploiement d’environ 5 000 soldats américains pour garantir que nous puissions procéder à un retrait ordonné et sûr du personnel américain (…), ainsi qu’une évacuation ordonnée et sûre des Afghans qui ont aidé nos troupes », écrit Joe Biden dans un communiqué publié samedi 14 août. Les 5 000 militaires comprennent les 3 000 soldats d’infanterie américains dont le renfort a déjà été annoncé la semaine dernière, ainsi que 1 000 autres soldats déjà stationnés à Kaboul. L’annonce de M. Biden samedi signifie donc l’envoi effectif de 1 000 soldats supplémentaires en provenance du golfe Persique.
Selon le New York Times, les Américains en sont à demander un délai aux talibans. « Un haut responsable américain a déclaré que Zalmay Khalilzad, le négociateur américain en chef avec les talibans dans les pourparlers de paix à Doha, au Qatar, avait demandé au groupe extrémiste de ne pas entrer à Kaboul tant que les Etats-Unis n’auraient pas terminé d’évacuer. (…) On ne savait pas à quelle vitesse les évacuations pourraient être effectuées ou si cela était même possible », écrit le quotidien new-yorkais, qui ajoute que les responsables talibans ont répliqué en demandant que les Etats-Unis cessent les frappes aériennes contre leurs combattants.
Réduit à menacer les talibans, M. Biden précise dans son communiqué qu’il a informé leurs représentants à Doha que « toute action de leur part sur le terrain en Afghanistan, qui mettrait en danger le personnel américain ou notre mission là-bas, se heurtera[it] à une réponse militaire américaine rapide et forte ».
Biden persiste et signe dans sa volonté de désengagement
L’affaire tourne à la débandade. Débandade à laquelle M. Biden veut associer son prédécesseur, Donald Trump, l’accusant de l’avoir mis dans une seringue en imposant, avec les talibans, un calendrier de négociation jusqu’au 1er mai 2021. Il rappelle même que M. Trump avait invité les talibans à Camp David à quelques jours du 11 septembre 2019. Mais, sur le fond, Joe Biden persiste et signe dans sa volonté de désengagement américain. « J’étais le quatrième président à présider une présence de troupes américaines en Afghanistan – deux républicains, deux démocrates. Je ne voudrais pas passer, et ne passerai pas, cette guerre à un cinquième », a affirmé le président en conclusion de son communiqué.
Depuis longtemps, le président démocrate considère que cette guerre est perdue. Il a réaffirmé sa conviction que la présence américaine n’offrait aucune issue au conflit :
« Un an de plus, ou cinq ans de plus, de présence militaire américaine n’aurait fait aucune différence si l’armée afghane ne pouvait pas ou ne voulait pas tenir son propre pays. Et une présence américaine sans fin au milieu du conflit civil d’un autre pays n’était pas acceptable pour moi. »
Le candidat Biden avait été très clair sur le sujet. Le Washington Post rappelle qu’au début de l’année 2020, il avait répondu non quand on lui avait demandé, sur CBS, si les Etats-Unis avaient une responsabilité envers les femmes et les filles afghanes à la lumière d’une éventuelle prise de contrôle par les talibans. « Est-ce que je suis responsable ? Zéro responsabilité », avait-il ajouté. « L’idée que nous puissions utiliser nos forces armées pour résoudre tous les problèmes internes qui existent dans le monde n’est tout simplement pas dans nos capacités », avait-t-il poursuivi, expliquant qu’il pouvait citer une dizaine de pays où les femmes et leurs enfants sont persécutés. « La question est de savoir si l’intérêt vital de l’Amérique ou si l’intérêt de l’un de nos alliés est en jeu. »
L’espoir de tourner la page avant l’anniversaire du 11-Septembre
Le sénateur républicain du Wisconsin, Ron Johnson, a déclaré samedi dans un communiqué que M. Biden devrait reconsidérer sa décision de se retirer d’Afghanistan. « Les conséquences de l’évacuation des Etats-Unis d’Afghanistan étaient évidentes et se concrétisent maintenant à une vitesse étonnante, a déclaré M. Johnson. Les exécutions publiques, l’assujettissement des femmes et l’essor des organisations terroristes seront déprimants à voir. » La représentante du Wyoming, la républicaine Liz Cheney, dont le père, Dick, fut vice-président de George W. Bush (2001-2009) et incarnation de toutes les dérives de l’Amérique en Irak et sur la torture, avait fustigé dans la semaine le retrait américain :
« Les guerres ne se terminent pas lorsqu’une partie abandonne le combat. Retirer nos forces d’Afghanistan d’ici le 11 septembre ne fera qu’enhardir les djihadistes qui ont attaqué notre patrie ce jour-là, il y a vingt ans. »
M. Biden lui répond indirectement dans son communiqué : « L’Amérique est allée en Afghanistan il y a vingt ans pour vaincre les forces qui ont attaqué ce pays le 11 septembre. Cette mission a entraîné la mort d’Oussama Ben Laden il y a plus d’une décennie [lorsqu’il était vice-président de Barack Obama] et la désintégration d’Al-Qaida. » A lire M. Biden, la mission est largement accomplie depuis dix ans, même s’il restait des troupes résiduelles.
Juste avant le vingtième anniversaire des attentats du 11-Septembre, les Etats-Unis espéraient tourner la page définitivement avec l’évacuation complète de l’Afghanistan prévue le 31 août. Selon une enquête du Chicago Council réalisée en juillet, 70 % des Américains se disaient favorables au retrait – 56 % des républicains, 77 % des démocrates. Les militaires étaient manifestement plus mitigés. Selon le Washington Post, avant que M. Biden dévoile sa décision de retrait, le général Austin Miller, alors commandant en chef des forces américaines et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan, a averti qu’un effondrement rapide du gouvernement était l’issue la plus probable. Avec le général Mark Milley, le président des chefs d’état-major interarmées, il aurait déconseillé en privé à M. Biden un retrait complet.
Après les années chaotiques de Donald Trump, Joe Biden voulait donner l’image d’une Amérique plus fiable mais aussi plus morale, même s’il n’était pas question de revenir à l’imposition par la force des valeurs démocratiques occidentales, comme le firent les néoconservateurs américains au début du siècle. « Si Trump a sapé la confiance du monde, les agissements de Biden, se retirant et laissant un gâchis en Afghanistan, pourraient simplement être le chapitre II de l’affaiblissement des croyances fondamentales en l’Amérique », a déclaré au Washington Post Ronald Neumann, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan.
Arnaud Leparmentier
New York, correspondant
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com