Pétro-États du Golfe, transition économique à risque

Dissocier du prix du baril les économies du Golfe, droguées aux pétrodollars, n’est pas sans risques pour les familles régnantes. Les protestations face aux tentatives d’ajustement se multiplient et la jeunesse risque de demander des comptes à ceux qui ont dirigé depuis des décennies.

« Notre génération paie le prix des erreurs commises au cours des dernières décennies », s’exclame avec véhémence une jeune Omanaise résignée à quitter sa terre natale et ses proches pour un emploi dans un autre pays du Golfe arabo-persique. Avec une pointe d’amertume dans la voix, la jeune diplômée peine à cacher son désenchantement face au sentiment d’être la témoin passive de la déliquescence d’une économie locale modelée par l’ancien monarque Qabous Ben Saïd Al-Saïd (1970-2020) autour de l’attrayante rente offerte par les gisements pétroliers et gaziers que renferment les sous-sols du pays. Autrefois un Sultanat aux apparences médiévales reclus au sud-ouest de la péninsule arabique, Oman a capitalisé depuis les années 1970 sur la vente d’hydrocarbures – 70 % du budget de l’État aujourd’hui – pour sortir de terre des infrastructures publiques modernes et une administration publique où les salaires généreux se troquent contre une loyauté au pouvoir politique en place. Selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Oman est le pays au monde dont l’indice de développement humain a le plus progressé entre 1970 et 2010. Les longues heures de travail d’un secteur privé vivant sous perfusion des pétrodollars sont déléguées à des travailleurs étrangers privés de représentation syndicale et pour majorité originaires d’Asie et d’Afrique. Mais une croissance démographique soutenue, plus de sept enfants par femme jusqu’en 1990 et le risque d’une décélération de la suprématie du pétrole sur les marchés énergétiques altèrent un modèle de société aujourd’hui à bout de souffle, sur lequel le sultan Qabous d’Oman a bâti sa légende.

« Le gouvernement savait déjà il y a 25 ans que le chômage serait un problème. Ils le savaient et ils n’ont rien fait. Si ma famille me laissait faire, je serais dans les rues pour protester », enrage Sara, une jeune femme qui vit avec ses parents sur les rives du golfe d’Oman à Sohar, une ville industrielle située à 200 km au nord de la capitale Mascate. Quelques jours plus tôt, une rare vague de manifestations ébranle Sohar et plusieurs villes du pays pour dénoncer la raréfaction des emplois dans la fonction publique, les récentes réformes d’austérité budgétaire imposées par le nouveau sultan, Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd, et, fait rarissime dans une région allergique à la critique, la corruption dont les dirigeants omanais sont accusés. « Où est le pétrole et le gaz ? » clament en cœur des manifestants dans les rues de Salalah, une station balnéaire de 350 000 âmes dont le microclimat est couru par les familles golfiennes lorsque la région étouffe sous la chaleur brûlante des mois estivaux. À près de 900 km de Salalah, l’imposant terminal portuaire de Sohar à portée de regard, un manifestant s’exprime sous couvert d’anonymat par crainte de représailles des autorités locales : « Nous voulons que le gouvernement trouve ces personnes corrompues et confisque l’argent qu’elles ont volé dans les caisses de notre pays ». Une colère sourde dissimulée aux yeux des visiteurs étrangers par un voile de tranquillité apparente qui enveloppe l’une des dernières monarchies absolues au monde.

 

Des Printemps arabes à la transition énergétique

 

Le malaise social qui gronde à Oman cristallise les risques sous-jacents à la mise en place de mesures d’austérité que la région s’est longtemps refusée a affronter avec pragmatisme. Les élites dirigeantes ont préféré repousser au lendemain la complexité de façonner les contours de l’ère post-pétrole, tout en laissant régner en maître une poignée de riches familles qui tirent les ficelles de l’économie locale. Selon un câble diplomatique envoyé en 2009 par l’ambassade américaine à Mascate1, « le secteur privé d’Oman est qualifié d’oligopole ». Sentiment d’injustice face à une redistribution inégale de la rente pétrolière, prise de conscience pour la jeunesse d’être une génération sacrifiée et crainte d’appauvrissement qui heurte la dignité et le budget de la classe moyenne sont autant de signes de nervosité que les habitants peinent de plus en plus à dissimuler. En Arabie saoudite voisine, les autorités s’efforcent de minimiser les réalités d’une pauvreté discrètement dissimulée dans l’ombre de l’opulente famille royale du pays. Elle est pourtant bien réelle. La Banque mondiale indique que le pays « fait face à un problème de pauvreté imminent » et le royaume est classé 26e plus mauvais élève au monde en termes d’inégalités de revenus, après le Sud Soudan. Confronté au risque de voir le système de retraite manquer de ressources, Riyad explore à présent l’idée de repousser l’âge de départ à la retraite et d’augmenter les cotisations.

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Sebastian Castelier

Source : Orientxxi.info

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