Face à la Chine, une «guerre froide» bien différente pour les Occidentaux

La «guerre froide» qui opposait jadis l’ouest capitaliste et l’est communiste mobilisait avant tout des forces militaires. Aujourd’hui, les Occidentaux réunis dans l’OTAN se savent engagés dans une bataille sur tous les fronts, bien au-delà de leurs armées.

Angela Merkel a donné le ton avant l’ouverture, ce lundi après-midi à Bruxelles, du sommet des 30 pays membres de l’OTAN, cette Alliance Atlantique fondée en 1949 dont le président des Etats Unis, «Commander in chief», est en quelque sorte le «parrain» et le patron. Interrogée à son arrivée au QG bruxellois de la coalition, inauguré en 2017, la Chancelière allemande a certes souligné l’importance que «l’OTAN soit prête pour l’avenir». «Nous devons adapter nos outils et nos méthodes, répondre aux nouveaux défis tout en restant fidèles à notre objectif principal: renforcer l’unité de l’alliance» a-t-elle poursuivi.

Adversaires de l’Alliance

 

Et les adversaires de l’Alliance? Quid de la Chine et de la Russie, ces deux puissances auxquelles les Occidentaux sont aujourd’hui confrontés? Rien. Pas une mention. «L’unité» est le mot-clef pour ce premier sommet de Joe Biden avec ses alliés. Y compris pour Boris Johnson, dont le pays a affirmé sa solidarité avec la population de Hong Kong face à la mainmise chinoise. Le premier britannique a mis en garde contre une «nouvelle guerre froide», tout en reconnaissant que l’ascension du pays était un «fait gigantesque dans nos vies».

Le mot «guerre froide» en effet, est loin de faire l’unanimité. Car à la différence de la rivalité entre le monde occidental et le bloc soviétique, les hostilités entre la Chine et les pays de l’OTAN sont bien actives et «chaudes». D’abord sur le plan militaire, dans cette zone stratégique qu’est le détroit de Taiwan et la mer de Chine, où Pékin ne cesse de bétonner des récifs revendiqués par plusieurs pays de la région, comme les Philippines, la Malaisie ou le Vietnam. «La possibilité que la Chine use de la force pour se réunifier avec Taïwan ne peut pas être exclue» a rappelé le 1er juin dernier Matt Pottinger, ancien conseiller de Donald Trump pour l’Asie.

Compétition tous azimuts

 

Mais une autre différence existe: avec la Chine, contrairement à l’ex URSS, la compétition ne porte pas que sur les armements, les ogives nucléaires et le déploiement des troupes. Elle porte sur la technologie, le commerce, les grandes entreprises multinationales. «L’Otan est une coalition militaire qui se retrouve à parler de sujets bien loin des casernes et des uniformes» juge l’universitaire française Nicole Gnesotto. 30% des échanges mondiaux passent par la mer de Chine. Bien loin des cartes militaires des années 50-80, sur lesquelles le SACEUR, le commandant en chef des forces armées en Europe (toujours un officier supérieur américain, aujourd’hui le général Tod Wolters) pointait les armées du pacte de Varsovie. «Les divisions chinoises ne sont pas composées de soldats, mais de chercheurs, d’hommes d’affaires venus acquérir des pépites européennes, d’ingénieurs» juge le sénateur Français André Gattolin, l’un des parlementaires européens les plus actifs sur la question de la présence chinoise en Europe.

Le roman de la nouvelle guerre mondiale

 

Un homme résume cette nouvelle donne pour l’OTAN et les forces armées de ses trente pays membres: l’Amiral américain James Stavridis. De 2009 à 2013, celui-ci a occupé le rôle de Saceur, visitant à maintes reprises le théâtre terrestre le plus avancé pour les forces de l’OTAN: l’Afghanistan. Aujourd’hui à la retraite, ce marin vient de publier un roman «2034» dont le sous-titre est «le roman de la prochaine guerre mondiale» (Penguin Random House). Or son scénario est limpide: contrairement à ce que pensaient la plupart des observateurs à propos de l’URSS, une guerre ouverte avec la Chine est possible. «Stavridis, né en 1955, est un enfant de la guerre froide juge, à Bruxelles, un officier américain. Il a compris la différence. La course- aux armements URSS-Etats Unis était un jeu à somme nulle car jamais l’Union Soviétique n’a pensé pouvoir surpasser l’Amérique. Tout lui manquait en termes d’infrastructures. Alors que la Chine…»

Résultat: l’équation stratégique est très compliquée pour les pays européens membres de l’OTAN, dont les mains sont en plus liées, sur le plan commercial, par la Commission européenne, seule habilitée à négocier les traités internationaux au nom de ses 27 pays membres. La volonté d’unité qui sera ce lundi affichée à Bruxelles par Joe Biden et ses alliés cache donc bien une différence stratégique essentielle: en termes technologiques, industriels, commerciaux, l’Europe est prise en étau. L’Otan est à la fois l’enclume et le marteau: «Pour le moment, beaucoup préfèrent ne pas parler de la Chine lors de ce sommet estime un diplomate. Les intérêts sont trop contradictoires. Mais beaucoup sont conscients, au sein de l’Otan, que plus les Etats Unis pousseront leurs pions face à Pékin, moins ce sera tenable pour leurs alliés…»

Richard Werly
Source : Le Temps (Suisse)
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