Euro 2021 : équipe de France, qu’as-tu fait de ton romantisme ?

Pour leurs débuts, les Bleus affrontent l’Allemagne. Un adversaire qui renvoie à une époque où la France ne gagnait pas toujours à la fin, mais incarnait une certaine idée du football.

Quand l’Allemagne se dresse devant des Bleus (comme ce 15 juin à Munich pour son entrée dans l’Euro 2021 de football), la nostalgie affleure vite. Dans le fond, certains ne se sont jamais remis de Séville 1982. Mais l’ont-ils voulu d’ailleurs ? Même si on les installait dans une machine à remonter le temps, ils ne changeraient pas une virgule à cette élimination en demi-finale de Coupe du monde.

A commencer par l’un des protagonistes. L’histoire est trop belle, trop cruelle trop bien racontée pour mériter la moindre revisite. Aujourd’hui sexagénaire, Michel Platini garde un peu en lui de ce jeune homme efflanqué errant torse nu sur la pelouse du stade Ramon Sanchez-Pizjuan. « Aucun film, aucun livre, aucune pièce de théâtre ne peut te faire vivre un moment pareil. Tu ressens toutes les émotions possibles, a confié l’ancien no 10 des Bleus en 2013 à So Foot. Et en plus, ça finit mal, donc là, c’est carrément l’apogée du romantisme ! »

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Le mot est lâché. Romantique, le football français l’a été. Serait-il devenu pragmatique à force de tisser des étoiles de champion du monde sur son maillot ? « Eternel romantique », Christian Montaignac plante le décor idéologique : « Il s’agit du débat vieux des années 1960-1970, celui entre le style ou le résultat pour le résultat ; d’un côté, le Miroir du football [ancien mensuel français] de François Thébaud, et de l’autre, Jacques Ferran et L’Equipe. Cette pensée a fini par l’emporter en France. Deschamps a forcément raison parce qu’il a gagné », soupire l’ancien grand reporter à L’Equipe, présent à Séville ce 8 juillet 1982.

 

« On était romantique parce qu’on ne gagnait pas »

Défaite sportive, mais victoire morale sur des Allemands inoubliables dans le rôle des méchants sans remords, la rencontre inspira à Montaignac cette considération ethnologique quatre jours plus tard :

« Il est une tendance à l’esthétique dont le Français est porteur : la littérature et le cinéma sont les preuves les plus lisibles. A nous l’impressionnisme et l’intimisme, aux autres l’économie de gestes et de moyens. »

A sa relecture, le journaliste se fait définitif : « On était romantique parce qu’on ne gagnait pas. L’image du Français qui sacrifie à l’esthétisme appartient au passé même si on aimerait penser le contraire. » Si le vainqueur écrit l’histoire, le perdant imprime, lui, la légende. Du moins, le fait-on pour lui.

 

« Il va falloir que l’on me dise en quel sens nous étions romantiques ? En 1982, je l’étais, mais je ne l’étais plus en 1984 avec notre victoire à l’Euro », relève cependant Alain Giresse, l’ancien milieu de terrain des Bleus. « Le romantisme, c’est quoi ? Bien jouer au ballon, être porté sur un jeu de création et d’intelligence ? Ce n’est pas une tare », développe celui qui, par sa taille modeste (1,62 m) et son intelligence de jeu immense, a incarné un certain idéal français.

Pour les canons d’aujourd’hui, le carré magique du géomètre Michel Hidalgo – avec ses deux ou trois no 10 selon les périodes – tient presque du geste artistique. Homme sensible mais rationnel, le sélectionneur dira avoir juste eu l’idée folle de faire cohabiter ses meilleurs éléments, avec une certaine liberté. « Je n’ai jamais parlé à mes joueurs de résultat, répétait le technicien, mort en 2020. Jamais. Je leur ai toujours dit de penser au jeu, les résultats viennent alors d’eux-mêmes. »

Rien de romantique dans le football

 

Raynald Denoueix se reconnaît dans ces mots, mais réfute ce romantisme accolé par ses contempteurs au (feu) jeu à la nantaise dont il a été un des architectes. « J’aime bien aller voir la définition des mots, annonce l’entraîneur champion de France en 2001. Et je lis : “Le romantisme, c’est faire prévaloir le sentiment sur la raison et l’imagination sur l’analyse critique.” Si on le replace dans le contexte du foot, il est important de toujours être dans la raison et l’analyse critique car il s’agit d’abord d’une compétition. »

Pour Denoueix, il n’y aurait rien de romantique dans une activité aussi triviale que le football où il s’agit de marquer un but de plus que l’adversaire. Si querelle il doit y avoir, elle porte sur la façon d’arriver à cet objectif. Lui, réfute une approche « résultatiste », pour citer un barbarisme en vogue.

« Quand j’entends des joueurs ou, pire, des entraîneurs dire : “Peu importe comment on joue, l’important c’est de gagner.” Mais plus con, tu meurs. Ce n’est pas possible. Bien jouer c’est gagner. Après on peut faire des choix. On confond souvent la manière avec l’esthétique. »

Les derniers romantiques sont-ils alors à chercher chez ceux qui écrivent ou pensent le football ? Romancier et auteur de plusieurs textes sur le sujet, Bernard Chambaz rejette « le beau jeu pour le beau jeu », qui lui rappelle trop cette « poésie parnassienne » lui tombant des mains.

Au contraire, l’écrivain voit de la grandeur dans le pragmatisme d’un Didier Deschamps. « On est des êtres contradictoires : on peut avoir à la fois beaucoup d’estime pour lui et Marcelo Bielsa. Ce sont des hommes antinomiques, avec aussi des points communs. Ils font selon leurs moyens avec des plans de jeu différents. Ce sont des hommes qui s’adaptent. »

Saint Aimé, patron de la victoire

L’actuel sélectionneur n’échappe pas aux critiques. On le chatouille sur l’identité de jeu mouvante de son équipe, un style pas toujours flamboyant. Il répond que son équipe a été l’attaque la plus prolifique de la campagne de Russie 2018, quand l’Espagne et son jeu de possession – que lui opposent certains de ses détracteurs – a « écrasé » ses adversaires à coups de 1-0 lors de son Mondial 2010 victorieux.

Désormais, la victoire n’exclut plus la critique ou les envies d’un autre football. En son temps, Aimé Jacquet a été pointé comme un bétonneur froid et un gagne-petit par L’Equipe ou France Football. C’était avant que l’ancien ajusteur fraiseur ne devienne saint Jacquet de Sail-sous-Couzan un soir de juillet 1998. Parce qu’il fallait voler au secours de la victoire, les critiques ont battu leur coulpe et rangé leurs considérations esthétiques sur cette équipe aux trois milieux défensifs.

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Le sélectionneur des Bleus, Aimé Jacquet, porté en triomphe après la victoire en finale de la Coupe du monde, le 12 juillet 1998 à Saint-Denis.

 

Christian Montaignac, lui, est resté dans l’opposition. Rien de personnel, assure-t-il. « Avant 1998, j’étais contre Jacquet et je le suis resté. J’appréciais l’homme, mais je n’aimais pas sa conception du football. Son équipe me touchait moins que celle de 1982, mais à la fin c’est Jacquet 3 – Brésil 0. Fin du débat. » Enfin pas tout à fait.

Alain Giresse demande la parole. A l’entendre, l’histoire du football français est un tout. « On a appris à gagner parce qu’il y a eu des mouvements qui ont lancé ça. Saint-Etienne pour les clubs en a fait partie dans les années 1970, puis ma génération en équipe de France. On a donné un élan au foot français, montré qu’on pouvait gagner des titres. »

A défaut de romantisme, il reste le romanesque. Quand la dramaturgie d’un match l’emporte sur toute analyse esthétique. Du titre de 2018, « Gigi » cite le chassé-croisé contre l’Argentine en huitième de finale (4-3), « un match qui plaît et reste dans les mémoires ». La preuve aussi que la victoire peut être belle.

 

 

 

 

Anthony Hernandez et Alexandre Pedro

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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