Les Ivoiriens ne lui connaissaient pas de goût particulier pour les petites phrases qui claquent ni pour leur corollaire, l’exposition médiatique. Pourtant, depuis sa nomination au poste de ministre de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, le 6 avril, c’est peu dire que Mariatou Koné fait parler d’elle.
En annonçant, en l’espace de quelques semaines, la tenue d’états généraux de l’école, la fin de la « tricherie » et des « parrainages » aux concours, mais aussi l’évaluation des élèves et des responsables de l’administration pour s’assurer de leur niveau réel, la nouvelle ministre a secoué une institution réputée susceptible et conservatrice. Le tout en parvenant à s’attirer les faveurs d’une opinion publique qui s’inquiète de la dérive du système éducatif ivoirien.
Ceux qui ont déjà côtoyé cette anthropologue de formation, diplômée de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, à Paris), sont peu surpris par ce démarrage en fanfare. « C’est une chercheuse, elle pose un diagnostic froid sur une réalité qu’elle observe depuis plus de trente ans », explique le professeur Ibo Jonas, qui fut l’un de ses mentors.
Enseignante-chercheuse depuis sa thèse soutenue en 1994 sur les encadreurs agricoles en Côte d’Ivoire, première femme à diriger l’Institut d’ethno-sociologie de l’université Félix-Houphouët-Boigny, elle a « fait du terrain comme peu de chercheurs de ce pays, poursuit M. Jonas, et même si elle n’a pas eu l’école ivoirienne pour objet d’étude, elle l’a vue de près ». C’est d’ailleurs l’école qui a « libéré et émancipé » cette fille d’une ménagère et d’un gendarme née dans le nord, à Boundiali, comme elle l’explique régulièrement.
Une mission « ingrate »
Mariatou Koné a mené ses enquêtes de chercheuse à la fin des années 1980 vers Sakassou, au cœur du pays baoulé. En immersion pendant plusieurs années dans les plantations agricoles, elle a observé les dynamiques foncières autant que la cohabitation communautaire qui façonnent la ruralité ivoirienne et constituent des enjeux clés dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Maniant le dioula maternel et le baoulé appris au gré des affectations de son père, elle sait « se faire admettre » partout, même sur « les terrains inconfortables », loue Jean-Pierre Chauveau, anthropologue français qui fut son professeur à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom), ancêtre de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Sa connaissance pointue de ces problématiques est un atout « stratégique, ajoute-t-il, y compris en politique ».
En 2012, c’est à la suite d’une émission radiophonique dans laquelle elle intervenait sur la question du vivre-ensemble que le président Alassane Ouattara a demandé à son secrétaire général d’alors, Amadou Gon Coulibaly, de lui trouver un poste. La voilà propulsée conseillère technique d’un ministre puis directrice du Programme national de cohésion sociale.
En 2016, au début de son second mandat, le chef de l’Etat la nomme ministre de la solidarité, de la cohésion sociale et de l’indemnisation des victimes. Elle applique ses méthodes de chercheuse en écoutant tour à tour les différents camps politiques, avant de présenter ses résultats au président.
« C’est grâce à elle que beaucoup d’exilés pro-Gbagbo sont rentrés du Ghana », explique un responsable du parti de l’ancien président, le Front patriotique ivoirien (FPI). Et c’est par elle que Charles Blé Goudé, ancien ministre de Laurent Gbagbo détenu à La Haye – aujourd’hui acquitté –, passe pour délivrer des messages aux autorités.
A son entourage, elle ne cache pas que sa mission a pu être « ingrate » tant la réconciliation est en réalité le domaine réservé du chef de l’Etat. Reste que sa médiation lui vaut d’être aujourd’hui appréciée dans tous les camps, explique le responsable du FPI.
« Tout mettre à plat »
Ce parcours atypique et le consensus transpartisan autour de Mariatou Koné expliquent certainement l’accueil bienveillant que lui ont réservé, dans un premier temps, les syndicats de l’éducation nationale, pourtant politisés et prompts à menacer de se mettre en grève.
En acceptant de débloquer la somme de 30,9 milliards de francs CFA (47,1 millions d’euros) au bénéfice de l’enseignement privé ivoirien, qui menaçait de fermer ses établissements, la nouvelle ministre a désamorcé une première crise avec « tact », rapporte un syndicaliste. « Elle a étudié le dossier et s’est aperçue que l’Etat devait cet argent », analyse un bon connaisseur de l’éducation nationale.
Entre-temps, elle a reçu tous les acteurs de l’école ivoirienne – notamment les 85 syndicats – et envoyé un signal d’apaisement. « Un préalable indispensable pour s’attaquer aux chantiers de transformation qui l’attendent », explique Théodore Gnagna Zadi, président d’une centrale syndicale, qui n’était « plus invité » aux réunions organisées par Kandia Camara, la prédécesseure de Mariatou Koné. « On nous a expliqué qu’elle veut tout mettre à plat pour comprendre les maux et corriger le tir, dit-il. Tant mieux car il y a urgence. »
Dans un rapport daté de 2019 comparant quatorze pays africains en matière d’éducation, la Côte d’Ivoire s’est retrouvée à l’avant-dernière place. Ce classement, « ce n’est pas celui de Kandia Camara », tempère le syndicaliste, qui note que cette dernière « a eu le mérite de construire beaucoup d’écoles, et c’était nécessaire vu le niveau de surchargement des classes ».
Mais à l’en croire, ça ne suffit pas : selon lui, « le recrutement d’enseignants et d’inspecteurs à la hauteur, la fermeture des écoles “boutiques” [des établissements où l’on peut acheter son diplôme] et la réévaluation du salaire du corps enseignant » sont autant de chantiers qui devraient occuper Mariatou Koné, à la tête d’un ministère qui absorbe 42 % du budget de l’Etat.
L’enjeu est avant tout l’amélioration des savoirs, alors que selon la Banque mondiale, moins de 50 % des élèves en école primaire possèdent les compétences adéquates en lecture et en mathématiques. Et dans le secondaire, malgré l’augmentation du nombre d’écoles et d’enseignants ces dernières années, les établissements accueillent en moyenne près de 60 élèves par classe, et même plus de 80 dans le système public.
Les bailleurs de fonds et les partenaires étrangers sont prêts à accompagner cette transformation et multiplient les rencontres avec la ministre. « Avec elle, on parle le même langage, ce n’était pas forcément le cas avant », confie un diplomate.
Levée de boucliers
Mariatou Koné ne veut surtout pas laisser penser qu’elle s’attaque à Kandia Camara, désormais ministre des affaires étrangères et pilier des gouvernements d’Alassane Ouattara depuis une décennie. Après avoir évincé le tout-puissant chef de cabinet de sa prédécesseure, Abdoulaye Kouyaté, Mariatou Koné a fait face à une levée de boucliers. Elle a donc conservé l’ossature de l’ancien cabinet et a convié sa « grande sœur » aux états généraux qu’elle organise en juillet.
Maire de Boundiali, députée de cette circonscription, à la tête d’un ministère stratégique… Sans disposer d’un véritable réseau politique et affairiste, cette chercheuse qui participe encore régulièrement à des jurys de soutenance de thèse a connu jusqu’ici une ascension sans accroc.
Mais « attention », prévient le syndicaliste Théodore Gnagna Zadi, 2022 marquera peut-être « la fin de cet état de grâce », car la trêve sociale signée en 2017 entre le gouvernement et les responsables syndicaux arrivera à son terme. « C’est là qu’on pourra comprendre et juger ce qu’elle veut vraiment pour l’école ivoirienne », lâche-t-il. Le rendez-vous est pris.
Yassin Ciyow
(Abidjan, correspondance)
Source : Le Monde
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