[Tribune] Mauritanie – « Il n’y a pire ennemi du développement que la mauvaise gouvernance »

Malgré les grandes richesses du pays, le réseautage, ancré dans les mœurs et de tradition tribale, empêche de construire une administration solide au service de l’État et de l’intérêt général, selon l’expert en développement Isselmou Ould Mohamed Taleb.

 

Peuplée de 4,5 millions d’habitants et dotée de ressources naturelles considérables, la Mauritanie est pourtant classée parmi les pays les moins avancés, avec la persistance de la pauvreté et un faible développement humain. Pourquoi un tel paradoxe ? Sur le plan culturel, le nomadisme, même s’il est devenu ultra minoritaire imprègne encore les esprits d’une majorité de mes concitoyens.

L’aversion pour les pratiques administratives sans négociation ni marchandage persiste

C’est une quête incessante des origines, de l’appartenance tribale, de la mobilité et du changement des modalités de fonctionnement. Il en résulte une prédisposition aux frondes sociales, à la remise en cause de l’ordre établi qui aboutissent à une instabilité politique et institutionnelle. C’est aussi une aversion pour la rigidité des principes et pour les pratiques administratives sans négociation ni marchandage.

Rejet de la communication écrite

 

Sur les plans politique et économique, les conséquences sont très négatives, qu’il s’agisse des choix d’investissements, de la gestion des finances publiques, de l’indépendance de la justice ou de la répartition des richesses. Et ce, en dépit d’un meilleur accès à l’endettement public et de l’exploitation de nouvelles ressources naturelles.

Ce contrôle social et politique hérité du passé a donné naissance à une administration qui repose sur le parrainage. La plupart des cadres font plus confiance à un mentor qu’à leurs efforts pour leur promotion. L’hommage du vice à la vertu a atteint un point tel que le zèle dans le travail est ridiculisé ou considéré comme le reflet d’une certaine faiblesse de caractère ou d’un manque de personnalité.

Il existe suffisamment de compétences capables d’accompagner cette remise à plat institutionnelle

Le réseautage trouve son fondement dans des considérations raciales, tribales et politiciennes. Il explique pour une large part le cloisonnement entre les secteurs et les structures publiques, et le manque de liaison en leur sein. En conséquence, l’administration est fragmentée, incompatible avec le respect de l’autorité de l’État et la coordination des interventions publiques. En découle aussi un rejet de la communication écrite.

© GLEZ pour JA

 

La réforme de l’administration en vue d’en faire un instrument au service de la cohésion nationale et du développement apparaît comme incontournable. Contrairement à une opinion répandue, il existe dans le pays, ou dans la diaspora, suffisamment de compétences capables d’accompagner cette remise à plat institutionnelle, une fois la volonté politique acquise.

Générations futures

 

Ce travail indispensable permettra de rétablir la crédibilité de l’État et des institutions, d’assurer une séparation effective et intelligente entre les pouvoirs – plus de transparence dans les processus de prise de décision et de nomination –, d’organiser un système de contrôle efficace et enfin d’appliquer avec célérité, fermeté et visibilité, sanctions et récompenses.

Le rôle des élites économiques et politiques est essentiel

Quatre décennies après les efforts louables du père de la Nation – le président Moktar Ould Daddah –, la viabilité de l’État, la légitimité démocratique et la pérennité des institutions restent à reconstruire et à consolider. Le rôle des élites économiques et politiques est essentiel. Celles-ci sont redevables de ces progrès envers elles-mêmes et les générations futures.

Il n’y a pire ennemi du développement que la mauvaise gouvernance. Tout le reste n’est que diversion. Tant que celle-ci trouvera écho auprès de la majorité, la transformation des richesses naturelles en croissance accélérée et en prospérité partagée attendra.

 

 

 

Isselmou Ould Mohamed Taleb

Expert en développement et ancien ministre

 

 

 

 

Source : Jeune Afrique

 

 

 

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