
Le président rwandais a salué le discours de son homologue qui a reconnu la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi. Ce rapprochement mémoriel est le préalable à une coopération plus étroite entre les deux pays.
Ils se sont bien trouvés. Emmanuel Macron et son homologue rwandais, Paul Kagame, ont affiché, jeudi 27 mai, une convergence évidente, dix jours après leur rencontre à Paris. Pas un mot désobligeant, pas une nuance critique, dans un sens comme dans l’autre. Le président rwandais a salué de façon chaleureuse le discours tenu dans la matinée par son invité au Mémorial du génocide, au sujet des responsabilités françaises entre 1990 et 1994. Emmanuel Macron lui a retourné la politesse, en se gardant d’exprimer la moindre réserve sur le modèle autoritaire rwandais, les atteintes au pluralisme ou les arrestations arbitraires, mis en exergue par les organisations non gouvernementales. L’heure est à la réconciliation, à un nouveau souffle.
D’une certaine façon, Paul Kagame est un interlocuteur rêvé en Afrique de l’Est pour Emmanuel Macron, loin des canons classiques de l’Afrique francophone : ambitieux, il fait de Kigali une vitrine impressionnante et mise tout sur l’attractivité de son petit pays, dont les statistiques officielles sont pourtant contestées. Le dirigeant rwandais cherche à combiner l’agilité de l’entrepreneur high-tech avec la poigne d’un dirigeant n’acceptant aucun frein à l’exécution de ses ordres.
Rompu au jeu diplomatique, il voit en Emmanuel Macron un nouvel allié intéressant dans les enceintes internationales, désireux de promouvoir les voix africaines, comme au G20. M. Macron a rendu hommage à Paul Kagame, qui a « su comprendre tôt l’importance de l’éducation et de la santé, pour permettre à la jeunesse de réussir ». Le dirigeant rwandais n’était pas en reste, soulignant le « courage » de son homologue français, qualifié d’« homme d’écoute ».
« Ils ont trouvé leurs marques sans fausse familiarité, analyse un conseiller du président français. C’est très respectueux et concret, sans cette culture passée où l’on se tapait dans le dos et on en faisait des tonnes. Ici, on peut décliner des projets. Quand il se passe quelque chose au niveau des chefs d’Etat, ça suit en dessous, au niveau du gouvernement, des échelons administratifs. »
« Un pardon ne s’exige pas »
Mais avant de se pencher sur les dossiers bilatéraux concrets, comme l’économie verte ou le numérique, il fallait aborder la question mémorielle. Emmanuel Macron a fait la pédagogie de son propre discours, face aux journalistes : « Ce que nous nous devons, c’est la vérité, plutôt que de chercher à nous débarrasser d’un passé qui ne passait pas. Un génocide ne s’excuse pas, on vit avec. Et un pardon ne s’exige pas. Qui serais-je pour le faire ? »
Interrogé sur la présence continue d’anciens génocidaires hutu sur le territoire français, M. Macron s’est engagé à améliorer la coopération judiciaire entre les deux pays, sans évoquer de façon très précise la question d’un traité d’extradition. « Si des modifications qui nécessitent des textes intergouvernementaux sont requises, nous les prendrons, a-t-il dit. D’ores et déjà, les moyens ont été activés et la coopération concrète, judiciaire aussi. »
Le président français a mis en avant plusieurs gestes à l’égard des autorités locales. Ainsi en va-t-il de la désignation imminente d’un nouvel ambassadeur, dont le nom sera soumis à Paul Kagame, après six ans sans titulaire du poste. Emmanuel Macron s’est aussi rendu au Centre culturel francophone de Kigali. Au cours d’une réception, le chef de l’Etat a insisté sur la philosophie qui motivait l’ouverture du centre : « Une francophonie de reconquête, ouverte, modernisée, qui s’enorgueillit des échanges avec l’anglais, le kinyarwanda ».
Il était difficile de ne pas y percevoir une réponse lointaine à l’obsession mitterrandienne, imprégnée d’esprit colonial suranné, d’une lutte d’influence au Rwanda avec le monde anglo-saxon. Une obsession qui fut l’une des clés du soutien aveugle apporté par l’Elysée, à l’époque au régime génocidaire hutu.
100 000 doses d’AstraZeneca
Le président français a aussi rappelé les termes du « new deal » dont il rêve pour l’Afrique, évoqué lors du sommet de financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris, le 18 mai. M. Macron espère la réallocation massive, par les pays riches, de fonds pour les pays africains, dont la dette explose avec la pandémie de Covid-19, afin de leur permettre de développer leurs infrastructures et d’enrayer la pauvreté.
Il a également insisté sur l’initiative multilatérale Act-A, lancée il y a un an, dont l’objectif principal est le partage des moyens dans la lutte contre l’épidémie avec les pays africains. M. Kagame a remercié son invité pour la livraison, dans ses bagages, de 100 000 doses de vaccin AstraZeneca. « Les amis sont faits pour ça », a-t-il salué. Le Rwanda a pour objectif de vacciner 60 % de sa population d’ici à 2022, soit 7,8 millions de personnes sur 13.
Le dernier volet dans la visite présidentielle concernait la jeunesse, celle qui vit dans la mémoire du génocide sans l’avoir éprouvé. Le passage au Centre régional polytechnique intégré de Tumba, à une heure de Kigali, a obligé le cortège présidentiel à emprunter des routes de montagne escarpées, au milieu d’un océan majestueux de verdure.
Emmanuel Macron a dialogué avec une dizaine d’étudiants trop sages, intimidés, sans doute. Interrogé par l’un deux sur les livres dont il ferait l’acquisition avec 300 euros en poche, en référence au Pass culture tout juste généralisé en France, le président a répondu : un recueil de poèmes de René Char – « peut-être les Feuillets d’Hypnos » –, L’Education sentimentale, de Flaubert, un disque de Bach et, enfin, des BD. Plutôt des Astérix.
Piotr Smolar
(Kigali, envoyé spécial)
Source : Le Monde
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