[Chronique] « Tous les trafiquants de crack sont Sénégalais » : la nouvelle sortie afrophobe d’Éric Zemmour

« Tous les trafiquants de crack sont Sénégalais », affirmait le polémiste français Éric Zemmour, le 13 mai dernier, à propos du commerce parisien de ce stupéfiant. Une porte ouverte à tous les amalgames.

Jeudi dernier, l’émission « Face à l’info » de la chaîne CNews établissait un record d’audience avec un pic à 1,01 million de téléspectateurs. Pas de jour férié pour le chroniqueur vedette du talk, la machine à buzz d’une mouvance réactionnaire décomplexée : Éric Zemmour, qui creuse le sillon nostalgique et quelque peu moisi de « sa » France révolue. « Les trafiquants sont issus de l’immigration. En l’occurrence, ce sont des Sénégalais », lançait-il, au milieu d’un débat sur le crack, ce dérivé de la cocaïne.

« Attaque frontale »

 

Rapidement, les effluves afrophobes du propos ne manque pas de susciter l’émoi au pays de la Teranga. Le site d’information senenews.com dénonce une « attaque frontale d’Éric Zemmour », qui « pointe du doigt la communauté sénégalaise de France ».

 

Manifestement immunisée ou blasée, la presse française relaie moins la déclaration que les internautes qui applaudissent ou décrient. Certains, qui n’ont pas suivi l’émission, découvriront, abasourdis, la précision qu’apporte Zemmour sur son compte Twitter : « Je n’ai pas dit “tous les Sénégalais sont trafiquants de crack”, j’ai dit “tous les trafiquants de crack sont Sénégalais”, c’est pas la même chose ! » Rhétorique classique des architectes de clichés…

 

Eric Zemmour
@ZemmourEric
Face à #StalinCrack, il faut : – renvoyer ces Sénégalais ; – faire pression sur le gouvernement sénégalais pour qu’il les reprenne ; – taxer l’argent qu’ils renvoient ou même l’empêcher de partir ; – renvoyer les consommateurs étrangers.

 

 

Alors que des quartiers de Paris comme La porte de la Chapelle voient poindre une tension chez des riverains inquiets du commerce du crack, Éric Zemmour établit, depuis des années, un lien entre immigration et trafic de drogue, oubliant souvent qu’il n’y a pas de rapport intrinsèque entre une couleur de peau et la nationalité française et que les statistiques ethniques sont interdites en France. Quelle source alors, pour ce journaliste en vue de la presse parisienne ?

Polémique

 

En ce qui concerne le crack, le polémiste évoque des journaux français qui établiraient la « sénégalitude » de trafiquants qu’il faudrait, selon lui, « renvoyer » en Afrique, non sans faire pression « sur le gouvernement sénégalais pour qu’il les reprennent ».

 

« De jeunes Sénégalais ont le quasi-monopole du trafic de crack dans le Nord-Est parisien » titrait effectivement, il y a quelques mois, le Journal du dimanche (JDD), évoquant « trois modous » d’Ivry-sur-Seine qui s’approvisionneraient dans des filières guyanaises. « Des migrants en situation irrégulière pour la plupart » dont le port d’attache serait la ville sénégalaise de Louga.

Une enquête ponctuelle est-elle une occasion de généraliser, quand on sait que les idées reçues se nourrissent de la partie visible des icebergs journalistiques ? Pourquoi surligner la nationalité de tel ou tel interpelé, quand on floute pourtant les visages ou dissimule les noms ?

« Zemmourisation » de la société française ?

 

Chaînon manquant de l’amalgame, Éric Zemmour efface les nuances de préfixes comme « quasi », oubliant que le marché du crack survivrait à la mise sur la touche des sans-papiers, tant les consommateurs sont souvent des gens validés par le filtre « zemmourien ». Mais c’est peut-être moins les méfaits de la drogue que les fuites de capitaux qui inquiètent Zemmour. Sur CNews, il affirmait que « tout l’argent » que les trafiquants gagnent « est renvoyé au Sénégal »…

Si la chaîne d’info du groupe Bolloré accorde une émission sur mesure à un chroniqueur déjà condamné pour injure et provocation à la haine, c’est que la France macronienne a boosté une mouvance souverainiste qui fait florès, entre l’épouvantail Marine Le Pen et les sarkozistes orphelins. Certains instituts de sondage glissent même le nom d’Éric Zemmour dans leurs tests des intentions de vote à la présidentielle de 2022. « Zemmourisation » de la société française ? Pas d’amalgame…

 

 

Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

Source : Jeune Afrique (Le 19 mai 2021)

 

 

 

 

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