Soudan – Ces femmes qui ont fait la révolution s’obstinent à réclamer leurs droits

Le 8 avril 2021, des centaines de femmes ont défilé dans les rues de Khartoum. Elles réclamaient l’abolition des lois discriminantes et la mise en place de mesures de protection contre les violences qu’elles subissent au quotidien. Mais une large frange de la société soudanaise ne semble pas prête à les suivre.

Les kandaka1 étaient en première ligne lors de la révolution soudanaise de 2019. Elles n’hésitaient pas à faire face aux forces de l’ordre tentant de réprimer les manifestations. Celles qui risquaient jusqu’alors d’être fouettées pour une tenue jugée indécente ou pour faire du sport aux côtés d’hommes n’avaient plus rien à perdre, admettent volontiers ces derniers. Pourtant, deux ans plus tard, les femmes demeurent sous-représentées en politique, discriminées devant la loi et victimes de harcèlement et violences. Des centaines d’entre elles sont par conséquent retournées dans les rues de Khartoum le 8 avril, trois jours avant l’anniversaire de l’éviction du président Omar Al-Bachir. Tout en restant bien conscientes qu’une large frange de la société continuera de s’opposer à des revendications à l’opposé de l’idéologie inculquée durant les trente années de dictature islamiste.

« Après avoir été les principales actrices de la révolution, nous avons été marginalisées [par le gouvernement de transition], résume Rayan Mamoun, 23 ans. En tant que femmes, nous continuons à subir de nombreuses contraintes concernant nos mouvements et le droit à disposer de notre corps. Il n’existe par ailleurs aucune loi pour nous protéger, que ce soit dans l’espace public ou privé », poursuit cette jeune diplômée en architecture qui a participé à l’organisation de la marche. Silhouette élancée et visage poupin décoré de lunettes de soleil rondes et d’un piercing à la narine droite, elle se tenait, dès 11 heures, devant les portes du ministère de la justice auquel elle a remis, avec d’autres militantes, un mémorandum, également transmis au ministère de l’intérieur et au procureur général.

Interdit de divorcer ou de reconnaître son enfant

 

Ce « Manifeste féministe » réclame entre autres l’abolition de la loi sur le statut personnel, qui empêche les femmes de demander le divorce ou encore de reconnaître leur enfant. « Ce texte doit être complètement revu pour se baser sur les droits humains et non sur la religion », déclare Marine Alneel, une manifestante vêtue d’une robe bleu marine tombant juste en dessous de ses genoux qui, comme la salopette que porte Rayan Mamoun, aurait auparavant été sanctionnée par la loi sur l’ordre public abolie en novembre 2019.

Malheureusement, cette psychologue de 28 ans estime que le gouvernement n’a nulle intention de revenir sur la législation relative au statut personnel. Et ce, malgré la « déclaration de principes », ratifiée le 28 mars par le chef du Conseil souverain et un groupe rebelle, le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N),2, et qui prévoit de séparer la religion et l’État. « Les signataires veulent instaurer la sécularisation pour atteindre leurs objectifs politiques, mais ils ne comptent pas en faire profiter les femmes », déplore Marine Alneel.

Or, cette loi continue de placer les Soudanaises en position de vulnérabilité, et particulièrement les femmes tombées enceintes hors mariage. Certes, la mère échappe désormais aux coups de fouet, de rigueur sous l’ancien régime qui appliquait la charia à la lettre. Mais elle se retrouve prise en étau, surtout si son partenaire décide de fuir ses responsabilités. À Khartoum, l’ONG Shamaa (Bougie) héberge de jeunes mères célibataires en situation délicate pour leur permettre de conserver la garde de leur bambin. Et va jusqu’à arranger des rendez-vous entre ces dernières et de potentiels époux acceptant de reconnaître l’enfant.

Rencontrée en janvier, Sarah3, 24 ans, s’apprêtait à s’unir à un homme de 20 ans son aîné. Pourrait-elle, à terme, aimer ce mari choisi à la hâte ? « Je ne sais pas. Peut-être. Ça a l’air d’être un homme bien… » Elle dit en tout cas agir dans l’intérêt du petit garçon qui gesticule sur ses genoux. Au-delà de l’obstacle législatif, Sarah et la dizaine de femmes accueillies dans ce refuge s’avèrent victimes de la pression exercée par la société soudanaise. « Par peur du regard de la communauté, mes parents voulaient que j’abandonne mon enfant. Le seul moyen pour qu’ils acceptent la situation, c’est de me marier », raconte cette diplômée en conception technique qui mettra un point d’honneur à travailler dès que possible afin d’assurer son indépendance financière.

Le tabou des violences sexuelles

 

Aucune Soudanaise ne peut s’affranchir pleinement de la stigmatisation sociale. Bob sur la tête et boucles d’oreilles rose fluo, Nahla Abdalla Mohamed, 18 ans, se fondait dans la foule multicolore des femmes défilant dans les rues de la capitale. Elle est cependant l’une des instigatrices de ce mouvement pour avoir posté, cinq jours plus tôt, une série de vidéos sur Twitter dans lesquelles elle révélait avoir été abusée sexuellement par son oncle. Soulagée d’avoir partagé ce traumatisme, cette créatrice de bijoux s’est attiré les foudres de sa famille et de nombreux internautes. « Mon père m’a dit de passer à autre chose, tandis que, sur les réseaux sociaux, on m’a accusée de mentir et d’exposer des faits qui relèvent du cadre familial et non de la communauté. On m’a aussi reproché de ne pas me voiler devant mon oncle, bien que l’islam n’oblige pas la femme à porter le hijab en présence d’un homme avec lequel elle ne peut pas se marier », détaille la jeune femme. Elle explique vouloir porter plainte, même si elle doute que ses parents lui pardonnent un tel affront.

« Je viens d’une famille relativement progressiste, tempère toutefois Nahla Abdalla Mohamed. D’autres n’hésiteraient pas à tuer leur fille si elle se retrouvait dans cette situation. Pour beaucoup de Soudanais, une femme devrait garder ses opinions pour elle. Nous sommes censées rester chez nous et nous taire, quoi qu’il nous arrive. » À la suite de son témoignage, plusieurs femmes ont à leur tour rendu public les abus qu’elles ont subis, créant une sorte de #MeToo à retardement. Plusieurs cas de violences domestiques et de féminicides, dont celui de Samah El-Hadi, une adolescente assassinée par son propre père, ont aussi envahi la toile soudanaise.

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Augustine Passilly

Source : Orientxxi.info

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