Origines du SARS-CoV-2 : des scientifiques enjoignent à l’OMS d’éclaircir les zones d’ombre

Dans une lettre adressée au directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, une trentaine de scientifiques de renom demandent une enquête indépendante sur une série de questions précises, à ce jour sans réponse.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été pris au mot. Fin mars, Tedros Adhanom Ghebreyesus prenait publiquement ses distances avec le rapport conjoint OMS-Chine sur les origines de la pandémie de Covid-19, le jour même de sa publication. « Je ne pense pas que l’évaluation [de l’équipe conjointe] d’un éventuel incident de laboratoire ait été suffisamment approfondie, avait déclaré le patron de l’OMS. D’autres données et études seront nécessaires pour parvenir à des conclusions plus solides. »

Un groupe d’une trentaine de scientifiques internationaux de différentes disciplines lui a adressé, vendredi 30 avril, une série de recommandations, de questions ouvertes à traiter en priorité et de zones d’ombre à éclaircir dans la perspective d’une poursuite de l’enquête sur les origines du SARS-CoV-2 et les conditions de sa transmission à l’espèce humaine.

Les signataires insistent, comme ils l’ont déjà fait dans une précédente lettre ouverte à l’OMS, publiée le 4 mars dans Le Monde et le Wall Street Journal, sur les prérogatives limitées du groupe d’experts commun OMS-Chine. Les membres internationaux du comité, opérant sous la tutelle de l’organisation onusienne, ne pouvaient exiger l’accès à toutes les informations disponibles. En plusieurs occasions, la mission conjointe s’est reposée sur des analyses fournies clés en main par les autorités sanitaires chinoises. Voire, pour ce qui est des soupçons pesant sur l’Institut de virologie de Wuhan (WIV), sur de simples déclarations de ses personnels.

Questions précises

 

Le 30 mars, les gouvernements de quatorze pays (Etats-Unis, Australie, Canada, Royaume-Uni, Corée du Sud, Norvège, etc.) ont exprimé, dans une déclaration commune, les mêmes inquiétudes. Ils ont, eux aussi, demandé la mise en place d’une enquête indépendante sur les origines du nouveau coronavirus.

Dans leur nouvelle lettre ouverte, la trentaine de chercheurs formule, cette fois, des questions très précises, à ce jour sans réponse, et auxquelles une enquête indépendante devrait chercher des réponses en priorité. Certaines de ces interrogations concernent l’accès aux données des premiers malades du Covid-19, dans la province de Wuhan, mais aussi la divulgation de l’ensemble des résultats d’analyse des échantillons prélevés dans la faune sauvage et domestique.

Dans son rapport, la mission jointe OMS-Chine faisait état de dizaines de milliers de prélèvements effectués dans de nombreuses régions de Chine, sur plusieurs dizaines d’espèces animales – aucune n’ayant pu être identifiée comme hôte intermédiaire possible. Les scientifiques demandent qu’un accès aux données brutes de ces opérations d’échantillonnage soit ouvert à la communauté scientifique internationale.

Contradictions

 

Une grande part des questions posées concerne les recherches entreprises par le WIV, et ce que les signataires considèrent comme des non-dits, des inexactitudes, des contradictions ou des déclarations erronées. Ils demandent par exemple pourquoi la base de données du coronavirus maintenue par le WIV a été, selon eux, mise hors ligne en septembre 2019 alors que les responsables du centre de recherche virologique de Wuhan ont déclaré qu’elle n’avait été déconnectée qu’au commencement de l’épidémie, début 2020.

De même, les signataires pointent une possible volonté de faire disparaître toute trace de cette fameuse base de données, l’article scientifique décrivant succinctement sa nature et son contenu ayant été supprimé de la revue en ligne China Science Data. En décembre 2020, Le Monde a pu constater la disparition de l’article en question, mais les autres publications – toutes décrivant des jeux de données – demeuraient accessibles. En mars-avril 2021, c’est l’ensemble de la revue qui a été supprimé du Net, notent les signataires, s’interrogeant sur les raisons d’une telle disparition.

Lire notre enquête : Les silences de la Chine, un virus repéré dès 2013, la fausse piste du pangolin… Enquête sur les origines du SARS-CoV-2

 

Les scientifiques estiment en outre crucial que soient éclaircies les conditions d’échantillonnage et d’analyse du virus le plus proche du SARS-CoV-2 connu à ce jour. Ce coronavirus de chauve-souris, baptisé « RaTG13 », a été prélevé en 2013 dans une mine désaffectée du Yunnan par les chercheurs du WIV, et conservé pendant plusieurs années dans leurs laboratoires. Les signataires rappellent que six ouvriers travaillant dans les galeries de cette mine, fréquentée par de nombreuses colonies de chauves-souris, ont contracté en 2012 une maladie dont les symptômes sont proches du Covid-19 – trois en sont morts.

Hypothèse d’un possible accident de laboratoire

 

Quelles sont les informations dont disposent les chercheurs chinois sur la pathologie contractée il y a presque dix ans par ces ouvriers ? Dans quelles conditions RaTG13 a-t-il été prélevé et son génome séquencé ? Des échantillons biologiques du virus sont-ils encore disponibles ? Les huit autres coronavirus de type SARS-CoV, que les chercheurs du WIV ont confirmé avoir prélevé dans cette même mine désaffectée du Yunnan, ont-ils été séquencés ? Ont-ils fait l’objet d’expériences non publiées ? A ces questions, les signataires de la lettre à l’OMS estiment que des réponses doivent être apportées.

D’autant plus que la nature exacte des travaux conduits au WIV ces derniers mois n’est pas complètement connue, selon les signataires. Des parlementaires américains se posent les mêmes questions, dont une part des réponses se trouvent non à Wuhan mais aux Etats-Unis.

Jusque-là très discret sur l’hypothèse d’un possible accident de laboratoire, le Congrès américain a haussé le ton au printemps. Des élus républicains de la Chambre des représentants ont adressé mi-mars une lettre au grand institut américain de recherche biomédicale, le NIH (National Institutes of Health), et, mi-avril, une seconde à EcoHealth Alliance (une ONG américaine spécialisée dans la santé et l’environnement) afin d’obtenir des documents éclairant la nature des travaux menés par des scientifiques américains en collaboration avec le WIV.

Depuis 2008, EcoHealth Alliance – basé à New York – a reçu près de 8 millions de dollars (6,6 millions d’euros) de financements publics des NIH pour mener des recherches sur les nouveaux virus chez les chauves-souris. Une partie de ces fonds aurait été transférée au WIV pour aider les scientifiques chinois à collecter des échantillons et mener des expériences sur des coronavirus. Leurs travaux ont donné lieu à la publication de plusieurs études cosignées par les deux dirigeants d’EcoHealth Alliance, Peter Daszak et Jonathan Epstein.

Avaient-ils accès à la biobanque du WIV, où sont conservés tous les échantillons collectés sur les chauves-souris ? Des prélèvements ont-ils été envoyés aux Etats-Unis ? Les chercheurs d’EcoHealth Alliance ont-ils avalisé des expériences potentiellement dangereuses ? Ont-ils eu des motifs d’inquiétude quant à la sécurité du laboratoire ? C’est à toutes ces questions que les représentants espèrent trouver des réponses, auprès du NIH, qui a été le destinataire de toute une série de rapports sur les recherches menées par EcoHealth Alliance, et directement auprès des scientifiques de cette organisation.

Les représentants républicains entendent notamment récupérer la correspondance entre les différentes parties et des documents internes de nature à les éclairer sur les recherches menées par le WIV sur les coronavirus proches du SARS-CoV-2.

 

 

 

 

 

Stéphane Foucart et Chloé Hecketsweiler

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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