Il est des feux sacrés qui brillent éternellement et vous illuminent la vie. Des rencontres qui vous marquent le destin. Lamine Diop dit Gérard en fut. D’abord un hymne à la douce évocation des années d’insouciance :
Près de la fontaine, un oiseau chantait
J’ai couru l’entendre, il m’a fait pleurer
Il m’a fait, à la volette
Il m’a fait, à la volette
Il m’a fait pleurer
Monsieur Diop dit Lamine
Nous avait beaucoup appris
A présent qu’il est parti
Nos cœurs à jamais meurtris
Et nous te disons merci
Pour la mission accomplie
C’est là une tentative de « remixage » d’une chanson apprise dans notre tendre enfance grâce à un maitre exceptionnel : Lamine Diop dit Gérard. Ma mémoire me survivra. C’est Oumou Kane, fille de feu El Haj Thierno Mamadou Bocar Kane Al Gataaguiyou qui la fredonna la première à Kaédi en 1980 ou 1981. Nous étions au CP1 à l’école de la Jédida. Lamine Diop, qui savait comme personne d’autre, mettre ses élèves en confiance et tirer le meilleur d’eux, avait convaincu la petite écolière de la chanter en classe. Depuis, la chanson colle à la peau de Lamine Diop comme s’il s’agissait de son hymne à lui tout seul.
Gérard fut mon premier maitre d’école à la Jedida. Celui qui me mit les chaussettes et les chaussures au pied, me posa au milieu d’un chemin jonché de ronces et de cailloux et me dit que je pouvais marcher et aller où je voudrais. C’est de lui que tout est parti. C’est lui qui alluma le moteur et mit le feu aux poudres pour provoquer l’infernale explosion. Il m’a profondément fait mordre dans un livre encore tout jeune enfant. Et je ne suis toujours pas guéri de la rage. Il le fit avec persévérance, abnégation, passion et amour du métier d’enseignant.
Avec peu de moyens et dans des conditions difficiles, Gérard nous prit en mains et guida nos premiers pas à l’école. Au début, nous y allions sans trop savoir pourquoi. Mais après les premières séances avec monsieur Diop, un virus nous fut inoculé; le virus de l’école. Même malade, souffrant de varicelle ou d’un de ces maux qui vous clouaient au lit et vous ôtaient toute envie de mettre le nez dehors, je ne voulais rater les cours de Gérard. C’est que monsieur Diop mettait du cœur à l’ouvrage et aimait ce qu’il faisait. Il avait un rare talent pour faire vivre un poème et vous le faire déclamer comme s’il était de votre propre composition. Il fallait nous voir réciter Le corbeau et le renard en liant le geste à la parole ! Mes premiers poèmes datent de cette époque, au cours préparatoire.
Gérard était un virtuose, un de ces voltigeurs virevoltants qui vous happent, vous hypnotisent et vous habitent pour le restant de vos jours. C’était un magicien du verbe qui savait donner une âme aux lettres, aux textes et aux mots. Pédagogue hors pair, il savait tenir par la main toute une classe de bambins agités et les mener où il voulait. Et la lumière fut ! Une lueur dans nos yeux qui brillaient de bonheur. Se pouvait-il seulement qu’un enfant fut plus heureux ?
Quand monsieur Diop voulait le silence, on entendait voler une mouche; un silence à couper à la tronçonneuse. Et quand il voyait que nous décrochions, il enchainait avec une chanson comme celle du début de ce texte.
Finalement, tout est question de rencontres et de fortunes. Comme pour beaucoup d’autres, ma rencontre avec Gérard a eu un impact certain sur ma vie. Je serais incapable de dire ce que serait mon destin sans cette rencontre. C’est de là que tout est parti; ma rencontre avec les lettres, l’alphabet, l’école, les livres… En arrivant à l’école, j’avais certes la chance d’avoir appris de mon père, feu Tijane Mohamed Cheikh Diagana (que le Paradis soit sa demeure éternelle), à écrire quelques mots et à construire des phrases en langue française; mais c’est bien Lamine Diop qui me fit vraiment découvrir les lettres françaises.
La vie de la petite école tournait autour de Gérard. On racontait beaucoup de choses sur ce personnage mystérieux qui nous paraissait insubmersible tant, nous disait-on, il avait su survivre aux épreuves qui s’étaient dressées sur son chemin (notamment des opérations complexes des intestins et des yeux). Cette situation nous avait probablement rapprochés davantage de lui. Comme si nous voulions quelque part le ménager pour mieux jouir de sa présence encore et encore. Il y a de cela bien plus de trois décennies. Il aura su ruser pour gagner quelques années et narguer la vie. Quand je vous disais qu’il était persévérant!
Plus tard, nos chemins se croisaient quand je taquinais le ballon rond dans un club de football à Kaédi (oui oui, bien sûr !). Là aussi il avait su gagner les cœurs et le respect des footballeurs et des supporters. Tous ceux qui l’ont côtoyé vont aujourd’hui légitimement réclamer leur morceau de Gérard. Parce que Gérard était Gérard. Il savait donner à tous sans frustrer personne.
Pour moi il fut un modèle et un mentor à qui je dois tant et tant. Et comment oublier ce jour, au CP2, quand, hardi, j’écrivais un mot dans le cahier de souvenirs d’une camarade de classe (Mariam Ba). Gérard interceptait le cahier et, hilare, sortait de la classe en courant montrer l’objet du délit à ses collègues. Ce fut le fou rire général parmi les enseignants que nous entendions de loin. En classe, tous les yeux se rivaient sur moi et j’avais du mal à cacher ma gêne, manquant d’aller me cacher sous la table. Je m’en voulais d’avoir osé écrire ces mots obscènes. Puis, une autre enseignante (Mintou Ndiaye Mme Diallo) revint avec le cahier qu’elle se contenta de jeter dans la classe à même le sol avant de repartir comme elle était venue. Je m’en emparais et arrachais furieusement la page délictueuse que je réduisais en confettis. Mes camarades de classe ne surent jamais ce que j’avais écris ce jour-là. Je le dévoile aujourd’hui : « Et vive la mour et la mitié ». Quelle horreur ! Finalement, avec Lamine Diop donc, je sus non seulement orthographier l’amour et l’amitié mais je sus aussi que ces mots étaient loin d’être obscènes.
Gérard notre Lamine ! Ami cher que nous aimions tant aimer ! Toi qui sus mettre du temps du talent et du cœur à ce que tu faisais ! Je te dédie ces mots que Jean-Jacques Goldman semble n’avoir écrit que pour toi. Salut l’artiste.
C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien, n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit
Qu’a chacun de s’instruire
Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
Abdoulaye DIAGANA
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