C’est un effet secondaire « positif », bien qu’inattendu, du Covid-19. En 2020, le nombre d’exécutions enregistrées par Amnesty international a baissé de 26 % par rapport à 2019, d’après les chiffres rendus publics dans son rapport annuel sur le recours à la peine de mort dans le monde, mercredi 21 avril. Au moins 483 personnes ont été exécutées, selon les données accessibles à l’ONG, soit le chiffre le plus bas des dix dernières années.
« Les tribunaux étant bloqués ou ralentis par les mesures sanitaires prises pour lutter contre la pandémie, le nombre d’exécutions a mécaniquement baissé », confirme Anne Denis, responsable de la commission peine de mort au sein d’Amnesty international. Comme chaque année, l’étude ne prend pas en compte les exécutions pratiquées en Chine – « au moins des milliers », selon l’organisation –, en Corée du Nord, au Vietnam ou en Syrie, des pays où elles sont impossibles à comptabiliser du fait du manque d’accès à ces données, parfois classées secret d’Etat.
L’adoption par 123 Etats d’un moratoire sur la peine de mort lors de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est réunie en décembre 2020, est un autre signe d’optimisme relevé par Amnesty International. Jamais autant de pays n’avaient agréé une telle décision. « Parmi les votants se trouve la Jordanie, qui il y a encore quelques années exécutait. C’est un signal positif », se réjouit Anne Denis.
« Chaque acquis reste fragile »
Ces chiffres ne gomment pas les inquiétudes des défenseurs des droits humains. « Il ne faudrait pas que 2021 soit un retour en arrière et que les exécutions reprennent », espère Anne Denis, qui estime que l’abolition universelle de la peine capitale « avance lentement ». Outre les Etats-Unis, qui ont repris à la fin du mandat de Donald Trump les exécutions fédérales, après dix-sept ans d’interruption, l’Inde, Oman, le Qatar et Taïwan ont également repris les exécutions en 2020.
« Cela montre bien que chaque acquis reste fragile », commente Anne Denis. Et, « alors qu’un combat était livré à travers le monde pour protéger la vie des personnes face à la pandémie de Covid-19, plusieurs gouvernements se sont de façon inquiétante acharnés à recourir à la peine de mort et à procéder à tout prix à des exécutions », déplore Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty international.
Une région du monde concentre l’attention des chercheurs de l’ONG : le Moyen-Orient. A eux seuls, l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Egypte et l’Irak concentrent 88 % des exécutions pratiquées en 2020 dans le monde, malgré une baisse substantielle de leur nombre (- 25 % dans la zone) en partie à cause de la pandémie. En Irak, chaque condamnation à la peine capitale devant être ratifiée par le président et le ministre de la justice, ce qui alourdit la procédure, les exécutions ont été divisées par deux par rapport à 2019 (de 100 à 45). « Les tribunaux sont restés bloqués à cause du Covid, décrit Anne Denis. Les juges n’ont pas pu faire suivre les dossiers. »
Le cas de l’Arabie saoudite est de loin l’un des plus « encourageants », selon le rapport d’Amnesty international. Le nombre d’exécutions recensées dans le royaume a baissé de 85 % au cours de l’année 2020 (de 185 à 27). « Certes, la pandémie a pu jouer un rôle, mais c’est surtout le G20, que l’Arabie saoudite présidait cette année, qui a permis une baisse des exécutions, estime Anne Denis. Cela aurait eu mauvaise presse dans les pays partenaires de les poursuivre à cette période. Une fois le sommet passé, les exécutions ont repris dès le mois de novembre. » Une preuve, pour Amnesty international, que la pression de la communauté internationale peut « faire bouger les lignes » sur le sujet.
« Contre les dissidents et les minorités »
L’Iran reste cette année encore le pays qui exécute le plus au monde rapporté à sa population (au moins 246 exécutions pour 83 millions d’habitants en 2020), mais le nombre de condamnés à mort diminue, là aussi, depuis plusieurs années. « Il y a quelques années encore, une quantité infime de drogue [30 g pour l’héroïne, contre 2 kg aujourd’hui] suffisait pour appliquer la peine capitale, explique Anne Denis. Mais les tribunaux iraniens se sont retrouvés avec des centaines de personnes arrêtées, le pays étant sur l’une des principales routes du trafic mondial de drogue. Le Parlement iranien a passé une loi limitant la capacité des juges à condamner à mort les trafiquants de stupéfiants afin de réduire le nombre d’exécutions. »
L’entrée en vigueur, en 2018, de cette loi avait permis de suspendre les peines capitales de près de 5 000 trafiquants de drogue en Iran. Malgré cela, le viol, le meurtre et la pédophilie sont encore aujourd’hui passibles de la peine de mort en Iran, qui utilise cette sentence « contre les dissidents politiques et les minorités ethniques », selon Anne Denis.
Un pays ne suit pas la tendance générale à la baisse, bien au contraire : l’Egypte du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, où le nombre d’exécutions a plus que triplé, passant de 32 en 2019 à 107 en 2020. « En Egypte, tout s’est accéléré à la fin de l’année [2020], note Anne Denis. A partir d’octobre, on a compté 57 exécutions, malgré les contraintes du Covid-19 sur la justice. »
Un reflet du climat répressif « inquiétant » qui règne dans le pays, où les aveux forcés et les procès iniques sont régulièrement documentés par les associations de défense des droits de l’homme. « Les libérations annoncées récemment par le président Al-Sissi sont une simple façade, estime Anne Denis. Le régime libère les cas les plus emblématiques, ceux qui attirent l’œil de la communauté internationale, mais des milliers d’autres restent emprisonnés. »
Thomas Guichard
Source : Le Monde
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