Au Burkina Faso, le forgeron « KPG » veut réveiller l’art du conte

Conteur professionnel, Kientega Pingdéwindé Gérard est un « maître de la parole » qui relate des récits historiques et des légendes, mais aussi des créations contemporaines.

Kientega Pingdéwindé Gérard ne parle pas, il conte. Sa voix clame, tonne, gronde. Les mots résonnent, graves, solennels. Et il n’a pas besoin de scène pour que ses interlocuteurs se taisent et l’écoutent, comme ce jour-là, assis dans l’un de ces maquis, bars de rue, sans électricité de Ouagadougou. « Enfant, je parlais beaucoup, j’ai commencé par raconter des histoires à l’école », s’amuse le Burkinabé de 42 ans, vêtu d’un éternel boubou en faso dan fani, le pagne traditionnel tissé en coton du pays.

« KPG », son nom de scène, est conteur professionnel, l’un des rares à vivre de son art au Burkina Faso. S’il reste difficile de retracer l’origine de cette tradition orale, les chercheurs estiment qu’elle existe « depuis la nuit des temps » en Afrique de l’Ouest. Encore aujourd’hui, les conteurs et les griots, les « maîtres de la parole », relatent les récits historiques et les légendes d’origine dans les villages. Ils tissent « la mémoire d’un peuple », estime Alain Sié Kam, professeur burkinabé en littérature orale.

Dans nos archives La visite des griots africains

 

Mais l’arrivée de nouvelles plates-formes de communication, l’urbanisation et la perte de certaines coutumes menacent cet art, s’inquiète KPG, qui tente de transmettre ce patrimoine culturel, hérité de ses ancêtres, aux jeunes générations.

Né d’un père orateur de masques, celui qui fait le lien « entre le monde visible et invisible », dans une famille de la caste des forgerons, le comédien a grandi à Arbollé, dans le nord du pays, bercé par « la mélodie des tam-tams » et le « bruit du marteau et de l’enclume ». Jeune, il passe ses nuits près du feu à écouter les histoires des « anciens », fasciné par « ce moment où l’écoute, la parole et le chant s’entremêlent, se heurtent, créent une énergie apaisante », décrit-il.

Un « thermomètre de la société »

 

En 1997, il troque les bancs de l’école de comptabilité pour les planches. Des metteurs en scène le recrutent pour jouer le rôle de narrateur dans des pièces de théâtre. A l’époque, il n’existe pas encore de cours de conte : il se forme donc comme comédien à l’Atelier de théâtre burkinabé de Ouagadougou. Peu à peu, grâce au « bouche-à-oreille », le conteur autodidacte multiplie les scènes et obtient même, en 2009, la médaille d’argent de « l’art du récit et de l’oralité » aux Jeux de la francophonie à Beyrouth, au Liban.

KPG dans une école de Ouagadougou en 2019.

 

L’année suivante, il monte son premier spectacle, « Paroles de forgeron », dans lequel il parle de ses racines. En 2018, s’inspirant de l’insurrection populaire qui a chassé du pouvoir Blaise Compaoré quatre ans plus tôt, il crée « Kossyam » (du nom du palais présidentiel), une fable politique dans laquelle il n’hésite pas à faire parler l’ancien chef de l’Etat déchu à travers le personnage d’une hyène.

Plus qu’un récit folklorique pour amuser les enfants, le conte est pour lui un « thermomètre de la société » qui permet de « questionner et d’éduquer ». Un moyen d’émerveiller, mais surtout d’édifier et de rappeler les « valeurs ancestrales », comme le respect, la tolérance, la solidarité. « Certaines coutumes ont été reléguées au second plan, on s’est éloigné de nous-mêmes », regrette KPG.

Dans nos archives Un poème-fleuve, une épopée lyrique…

 

Sa dernière création, « Supiim » (« aiguille », en langue moré), a été présentée à la troisième édition de son festival « Les grandes nuits du conte » qui se tenait fin mars à Ouagadougou. Il devrait la jouer dans plusieurs festivals en France cet été et à l’automne. Pour ce « spectacle rituel », il a invité une dizaine de forgerons dogon du Mali et mossi du Burkina. Sur la scène, qui recrée l’univers d’un atelier, éclairé par un feu de camp et tapissé de terre rouge, KPG réalise une démonstration, rare, d’extraction de fer d’un fourneau traditionnel, face au public.

« Réécrire notre histoire »

 

Au Burkina Faso, si la fabrication du minerai, qui remonte au VIIIsiècle avant J.-C., n’est plus pratiquée, le forgeron garde un rôle central dans les villages. « C’est une science, une philosophie », précise KPG, qui a appris ce métier enfant, avec son père. En cas de conflit, le forgeron sert de médiateur. « Il ne juge pas, il réconcilie les hommes et rétablit l’harmonie », explique le conteur.

Dans « Supiim », ses personnages sont des outils de la forge. « Le marteau n’est rien sans la pince et l’enclume, nous sommes liés les uns aux autres, chacun a un rôle complémentaire à jouer dans la société », précise-t-il. Une allégorie pour parler de la « crise identitaire et sécuritaire » que traverse son pays, où les attaques terroristes et les représailles entre communautés ont fait plusieurs milliers de morts et plus d’un million de déplacés depuis 2015.

Pour KPG, natif du nord du Burkina, la partie du pays la plus touchée par les violences, les maux sont profonds. Incivisme, stigmatisation, violences… La faute à une « acculturation » et à une « rupture de l’équilibre social », estime-t-il. « Même nos mécanismes de résolution des conflits ne fonctionnent plus pour certains conflits », regrette le comédien, qui a lancé en 2019 l’initiative « Contes à l’école », une série de récits pédagogiques qu’il rêve de jouer dans « tous les établissements scolaires du pays ».

« Il nous appartient de réécrire notre histoire et de faire rêver les enfants en créant nos propres héros », veut croire KPG, pour qui « le conte résistera, tant que le langage existera ». Les salutations, les proverbes qui rythment le quotidien, les joutes oratoires entre « alliés à plaisanterie » ou encore les « grins à thé », des groupes de discussion : l’oralité reste un art vivace au Burkina Faso, où près de 70 % de la population est analphabète. Pour KPG, qui compte lancer une émission de contes sur les réseaux sociaux cette année, cet art « se nourrit de la vie et doit sans cesse se renouveler ».

 

Sophie Douce

(Ouagadougou, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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