C’est un seuil terrible. Depuis son arrivée en France à la fin du mois de janvier 2020, le Covid-19 serait responsable de près de 100.000 morts, selon le décompte réalisé par Santé Publique France qui comptabilisait 300 nouveaux décès ce jeudi. Mais cette annonce a tout lieu d’être plus symbolique que juste. Comme le notait un article du Monde paru le 14 avril, les données partielles du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’INSERM (CépiDc) montrent que l’on pourrait avoir franchi les 100.000 “des semaines plus tôt”.
Comment expliquer ce décalage? La faute à “un système qui fonctionne cahin-caha”, comme l’indique au HuffPost Gilles Pison, démographe, professeur d’histoire naturelle et chercheur associé à l’INED. Faire remonter les chiffres justes des morts du Covid est loin d’être évident, surtout dans une exigence d’immédiateté qui nuit à la précision.
Les chiffres des décès du Covid établis quotidiennement par Santé Publique France (SPF) proviennent d’un système établi après les attentats de 2015. À l’époque, le système de transmission électronique de certificats de décès par les mairies mis en place au début des années 2000 ne répond pas à l’urgence: les délais de remontée peuvent en effet atteindre une dizaine de jours.
Les morts à domicile absents du décompte
Santé Publique France, à partir de 2015, s’est ainsi appuyé sur les certificats de décès transmis par les hôpitaux pour faire remonter les chiffres des morts, un système très efficace en cas d’attentat…mais moins pour le Covid. “La moitié des gens meurent à l’hôpital”, explique ainsi Gilles Pison, ce qui laisse de larges zones d’ombres y compris pour les victimes de la pandémie, qui sont loin d’aller toutes dans les services hospitaliers.
C’est pourquoi, à partir du printemps 2020, les morts du Covid des EHPAD ont été ajoutés au décompte quotidien. Mais cela laisse encore à désirer pour un décompte précis des certificats de décès: “Au Royaume-Uni, 5 à 6% des morts du Covid se sont éteints chez eux. On peut supposer que c’est analogue chez nous”, continue le démographe, auteur au mois de mars d’une enquête sur les morts non comptabilisés de la pandémie.
Il y a donc d’ores et déjà une sous-estimation du nombre de morts dans les chiffres rapportés au quotidien, que vient justement corriger l’INSERM avec ses propres données, mais d’autres écueils viennent toucher un travail de comptage marqué par le besoin d’instantanée. En mars 2021, SPF avait ainsi reconnu une “surestimation” de ces chiffres.
Des doublonnages troublent les bilans
Sollicité par Le HuffPost, Santé Publique France (SPF) avait reconnu à l’époque “des écarts entre les tests positifs remontés dans SI-DEP (service chargé de centraliser les résultats des tests anticovid et géré par SPF, NDLR) et les données terrain”. Un écart qui, selon cette même source, est bien “lié à l’étape de dédoublonnage en lien avec la pseudonymisation des données”.
“Cette étape permet d’attribuer à un même individu l’ensemble des tests qu’il effectue au cours du temps”, ajoute SPF. Mais dans certains cas, si l’identité du patient est mal renseignée par exemple – erreur dans le nom de famille ou la date de naissance -, Santé Publique France ne parvient pas établir le lien entre les deux tests. Résultat: il peut exister des doublons avec deux tests positifs pour la même personne.
Selon nos confrères du Parisien, la surestimation serait “d’environ 10%”. Le taux d’incidence national, actuellement de 229 pour 100.000 habitants, serait donc plutôt autour de 206, avec des écarts potentiels selon les départements. Des chiffres que Santé Publique France n’avait alors pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer auprès du HuffPost.
Le système a des ratés, mais les données récoltées dans un second temps par l’INSERM permettent de les corriger: l’institut collecte les certificats médicaux de décès établis par les médecins, où la cause de décès est indiquée dans le détail. La procédure peut prendre du temps: seuls 30% de ces certificats sont remplis électroniquement. Mais ce travail permet d’avoir une vue complète de la situation des morts du Covid.
Ces corrections opérées sur le décompte instantané permettent d’avoir un tableau plus précis, mais démontrent aussi à quel point les chiffres communiqués à l’unité près lors des remontées quotidiennes peuvent être trompeurs. L’intérêt de ces rendez-vous quotidiens, selon Gilles Pison, réside d’ailleurs moins dans le bilan chiffré en lui-même que dans ses variations.
“Dès qu’on a des chiffres, on pense qu’on maîtrise la situation. Mais ce sont les changements de tendances, de vitesse qui importent”, explique le démographe. La barre des 100.000 morts, calcul symbolique mais contesté, n’indique pas une tendance: elle fait le bilan de presque quinze mois de pandémie.
Source : HuffPost
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com