[Entretien exclusif] Niger : le président élu Mohamed Bazoum demande aux Français de maintenir leur dispositif aérien

Au Niger, pour la première fois depuis la proclamation de sa victoire, le 21 mars, Mohamed Bazoum s’exprime. Dans une interview exclusive à RFI et France 24, le président élu n’écarte pas un retrait partiel des forces françaises de Barkhane, mais demande à Paris de maintenir son dispositif aérien au Sahel. Mohamed Bazoum révèle aussi qu’en 2016-2017, le gouvernement du Niger a tenté de négocier une trêve avec les jihadistes, mais a dû y renoncer face à leur intransigeance. Un entretien exclusif accordé à Christophe Boisbouvier de RFI et Cyril Payen de France 24.

 

 

RFI : Le Niger vient de vivre un scrutin inédit, car pour la première fois, il y a une transition démocratique qui voit deux présidents élus se succéder. Mais c’est un scrutin qui a été entaché par une crise postélectorale, qui a agité les rues de Niamey, les rues de quelques villes du Niger… Est-ce que l’on ne s’est pas réjoui un peu trop vite, monsieur le président ? Et en un mot, est-ce que cela n’estompe pas une forme d’État de grâce que l’on pouvait espérer pour votre début de mandat ?

Mohamed Bazoum : Non, je ne le pense pas. Il y a eu une petite tension dans la ville de Niamey, moins de deux jours, en vérité, ce qui dénote le caractère un peu artificiel de cette agitation. Après deux jours, cela s’est totalement essoufflé. C’est la preuve que ce n’était pas authentique. En vérité, certains acteurs avaient annoncé qu’il y aurait des troubles le jour même des élections, avant que l’on ait quelque idée que ce soit des résultats. Cela dit, nous aurions souhaité qu’il n’y ait pas ces troubles, parce que c’est la première fois que cela se passe. Mais aujourd’hui, c’est plutôt derrière nous.

Il y a eu les manifestations, mais il y a aussi surtout eu, les attentats terroristes. Pendant la campagne, monsieur le président, vous avez déclaré : « Les attaques meurtrières contre les camps militaires, comme Inates et Chinagodar c’est terminé, on a trouvé la parade ». Mais malheureusement, aujourd’hui, ce sont les civils qui sont massacrés -66 morts près de Bani Bangou, dans la région de Tillabéri, 137 morts près de Tilia, dans la région de Tahoua… Est-ce que les jihadistes de l’EIGS -l’État islamique au Grand Sahara- ne sont pas en train de vous lancer un défi, au moment où vous prenez les rênes du pays ?

Je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec les élections et les résultats. Cela procède seulement d’une dynamique sur le terrain, dans le rapport des jihadistes avec les communautés, sur lesquelles ils veulent imposer leur diktat. S’agissant plus précisément de Tilia, ce que nous savons, c’est que, depuis un certain temps, vous avez beaucoup de motos dans la zone, qui prélèvent ce qu’ils appellent la Zakat sur ces populations, qu’ils sont parvenus plus ou moins à soumettre. Mais ces dernières semaines, du fait de la présence d’une patrouille vigoureuse de la Garde nationale et d’une évolution un peu plus au nord, dans la zone d’Agarak, les populations se sont montrées un peu plus réfractaires à payer la Dîme. Certainement que ce qui s’est passé a quelque chose à voir avec cette situation. Je sais qu’il y a de cela quelques semaines, les jihadistes sont venus voir cette communauté Ifokaritan pour leur dire : Cela ne suffit plus que vous payiez la Zakat. Si vous êtes dans l’optique de l’Islam tel que nous le prônons, vous devez vous rallier à nous. Et pour cela, vous devez nous donner un contingent de jeunes, qui seraient dans nos rangs et qui agiraient pour la cause de l’Islam. Au cours de ces discussions, la tribu Ifokaritan a eu à leur dire que cela n’est pas possible. Alors, ils ont promis que, si cela ne devait pas se passer, ils séviraient. Ils considèrent que, désormais, ils sont avec le régime et non plus avec l’islam. Je pense que cela a à voir avec des dynamiques très locales, plutôt qu’en rapport avec la situation nationale.

Monsieur le président, selon un récent rapport de l’ONG International Crisis Group, il semble que, notamment dans les attaques du 15 et 21 mars, ces agresseurs soient revenus pour venger –c’est une forme de vendetta- certains des leurs qui avaient été tués. Et la question que l’on peut se poser aujourd’hui, c’est : est-ce que le Niger, comme dans certains pays voisins, n’est pas en train de rentrer dans un cycle de violence communautaire ?

Oui, évidemment, lorsqu’il y a des actions de ce genre, de massacres à grande échelle contre une communauté ciblée… Parce que partout, ils avaient des cibles bien déterminées. Avant l’opération, ils ont procédé au tri au sein des populations qu’ils ont trouvées sur place. Il y a des risques, en effet, de conflits intercommunautaires. Parce que les jihadistes relèvent de certaines communautés, malheureusement, et ceux qu’ils agressent aussi, appartiennent à des communautés bien déterminées. Tout le défi, pour nous, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas cette escalade et que cela ne déborde pas du cadre strict d’opérations menées par des voyous que nous connaissons, contre l’État ou contre des populations que nous avons la mission de défendre. C’est le défi de l’État et nous allons y faire face. Nous l’assumerons.

Vous allez y faire face, dites-vous. Donc j’imagine que vous allez faire de nouveaux recrutements dans l’armée. Mais au Mali voisin, le Premier ministre déclare ouvertement qu’il faut négocier avec les jihadistes. Au Niger, est-ce que la manière forte ne montre pas ses limites ? Est-ce qu’il n’est pas temps de changer de stratégie et d’ouvrir un canal de discussion avec certains mouvements jihadistes ?

Vous avez des situations très différentes au Mali et au Niger et comparaison n’étant pas raison, nous ne pourrions pas envisager quelque dialogue que ce soit. Nous, dans la mesure où vous n’avez pas un seul chef jihadiste nigérien, vous n’avez pas une seule base de jihadistes sur notre territoire… Vous n’avez jamais entendu une quelconque déclaration d’un acteur majeur qui fasse allusion au Niger, à la gouvernance dans ce pays et qui pose quelque problème que ce soit. Au demeurant, lorsqu’en avril 2016, j’ai été placé à la tête du ministère de l’Intérieur, j’ai essayé d’avoir un canal de discussion. J’ai envoyé des émissaires chez des jeunes Nigériens qui sont dans l’EIGS et qui sont très opérationnels sur notre territoire. Leur réponse avait été de me dire que, pour le peu, ce qui les intéresse, c’est le jihad au Mali. Ils n’ont rien à voir avec le Niger. Je leur ai dit, à travers les émissaires que je leur ai envoyés, que j’étais prêt à discuter avec eux, s’ils devaient dire qu’ils sont des Nigériens, même appartenant à une certaine communauté, et qu’ils ont des revendications très précises, en rapport avec notre gouvernance, en rapport avec leurs conditions de vie. Et que nous étions prêts à satisfaire toutes leurs revendications. Ils m’ont envoyé une liste de vingt-deux personnes qui étaient détenues dans nos prisons, en me disant : ce sont nos amis que l’armée a arrêtés. Nous souhaitons qu’ils soient libérés. Ils ont donné un ultimatum pour la fin du mois de février 2017. Après quoi – m’avaient-ils prévenu – nous arrêterons le cessez-le-feu que nous sommes en train d’observer depuis que vous êtes au ministère de l’Intérieur et que vous avez essayé de discuter avec nous. Puis, vers la fin du mois de février, ils nous ont en effet attaqués. Depuis lors, la situation s’est dégradée. Nous n’avons pas de Nigériens, nous n’avons pas de partenaires nigériens. Nous avons des gens du Maghreb, qui sont à la tête de l’EIGS et qui font le jihadisme au Mali, principalement -selon eux, en tout cas- et qui font des incursions au Niger. Nous ne pouvons pas discuter avec des gens qui ne sont pas des Nigériens. Et puisqu’il n’y a pas de Nigériens avec lesquels nous pouvons discuter, la question pour nous ne se pose pas. Il ne faut pas comparer notre situation avec celle du Mali, par conséquent.

Vous êtes bien au courant, évidemment, qu’il y a une campagne électorale qui va commencer en France, qui va mettre sur les rangs le président français, et que cette opération Barkhane, qui coûte cher, est de plus en plus impopulaire dans l’opinion française. Si, très concrètement, les Français se retiraient, même partiellement, ce serait, pour vous, un goût d’inachevé, voire vous ressentiriez cela en tant que Nigérien comme un abandon des Français ?

Non, nous ne ressentirions pas cela comme un abandon de la part des Français. Barkhane, c’est surtout au Mali. C’est cela qu’il faut d’abord savoir. Ensuite, évidemment, nous aurions souhaité, dans le cadre de notre coopération avec l’armée française, avoir de meilleurs résultats que nous n’en avons. Cet échec relatif, c’est notre échec à nous tous et l’échec de l’ensemble de la coalition. Mais un retrait partiel de la France, dans la mesure où elle maintiendrait le dispositif aérien, n’aura pas de grand effet sur le cours de la situation et sur le rapport de force. Vous savez que l’armée française n’est pas impliquée physiquement au sol contre les jihadistes. Le mode d’action, le concept des opérations, tel qu’il est mené, procédant d’une volonté de faire le maximum d’économie de pertes en vies humaines, a dicté un comportement à l’armée française, qui fait que, même si certains effectifs sont retirés, cela n’aura pas un grand impact sur le terrain. L’impact sera davantage symbolique, politique, qu’opérationnel tout simplement. Ce qui nous importe, nous, c’est une certaine présence des forces aériennes françaises, qui elle, de mon point de vue, sera garantie, quels que soient les effectifs français qui seront présents dans le cadre de cette opération.

Revenons à la politique nigérienne… Depuis un mois, l’ancien Premier ministre Hama Amadou, l’un de vos principaux opposants, est en prison. Le procureur l’accuse d’incitation à la haine ethnique et de propos à caractère raciste. Pourquoi l’arrêter en mars pour des faits qui datent ?

N’étant pas le procureur, ni le ministre de la Justice, je ne saurais vous apporter une réponse à cette question.

Est-ce que, depuis l’annonce de votre victoire, vous ne devez pas constater que l’ancien Premier ministre Hama n’a tenu aucun propos séditieux. Est-ce que si la situation reste calme, vous verriez d’un bon œil son éventuelle libération ?

C’est une question, pour le moment, que je ne me pose pas. Donc je ne saurais y répondre.

Parlons de vos grands défis, des défis qui attendent votre mandat : la lutte contre la corruption, qui était, d’ailleurs, l’un des chevaux de bataille pendant la campagne de l’opposition. Par exemple, cet audit qui révèle que 76 milliards de francs Cfa ont été détournés dans un contrat d’armement au ministère de la Défense. Est-ce que, dans cet exemple précis, les coupables seront un jour jugés ?

J’imagine bien que, s’il y a des coupables –et certainement qu’il y en a- ils seront jugés et nous ferons en sorte qu’ils le soient. Je voudrais vous dire qu’il n’y a pas eu d’audit. Sur les chiffres, la réalité est très différente de ce que l’on a pu en savoir en général. Cela dit, au ministère de la Défense nationale du Niger, sous notre régime, il s’est passé des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, avec lesquelles le président Issoufou n’est pas d’accord… C’est ce qui a expliqué qu’il ait voulu voir de plus près ce qui se passe. Ce sont des choses qui ne peuvent pas rester impunies. Nous ferons en sorte que l’impunité cesse, lorsque des Nigériens commettent des choses de ce genre.

Vous vous apprêtez, monsieur le président, à gouverner un pays qui souffre de la pauvreté, 40% de la population vit en-dessous de 2 dollars par jour et est maintenue dans cette pauvreté, notamment par la surnatalité. Sept enfants par femme, en moyenne, c’est le record du monde. Comment allez-vous réussir à relever ce défi, là où -il faut bien le dire- tous vos prédécesseurs ont échoué ?

J’entends promouvoir l’éducation dans notre pays. Cela me paraît extrêmement important. Mettre un accent particulier sur la scolarisation des jeunes filles, dans des conditions différentes de celles qui ont été jusqu’à présent à l’œuvre, de façon à ce que nous puissions retenir au maximum les filles à l’école. Pour cela, je compte notamment créer des internats dans les collèges de proximité, au niveau des villages. Nous avons ce que nous appelons les collèges ruraux, et à l’intérieur, je compte construire des internats pour les jeunes filles. Parce que très souvent, ce qui se passe, c’est que, lorsqu’une fille entre en 6ème et que le collège n’est pas dans le village de ses parents, ses parents ont tendance à considérer qu’elle sera dans des conditions qui ne favoriseront, ni son éducation à l’école, ni son éducation à la famille. La pratique, c’est de les sortir du système scolaire. En construisant de nombreux internats dans les collèges de proximité, j’entends faire en sorte que ces filles soient à l’abri de mariages précoces. Et lorsque nous maintiendrons les filles à l’école jusqu’à l’âge de 18 ans, nous aurons évité à chacune de ces filles un mariage précoce et quelques couches, peut-être deux, peut-être même trois… 77% des filles nigériennes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 28% d’entre elles sont mariées avant l’âge de 15 ans. Si nous scolarisons massivement les filles et si nous les maintenons longuement à l’école, nous avons là un biais par lequel nous pouvons lutter contre ce phénomène de mariage des enfants et des couches, alors qu’elles n’ont pas même l’âge de 15 ans. C’est un grand défi et nous en parlons sans tabou. Le président Issoufou en parlait de façon très courageuse, mais nous serons encore tenus d’être courageux et de faire en sorte que nous discutions de ce problème.

Christophe Boisbouvier

Source : RFI

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page