Sénégal : le «visionnaire» Amadou Mahtar Mbow fête ses 100 ans

C’est l’un des sages du continent. Ce samedi 20 mars, le Sénégalais Amadou Mahtar Mbow aura cent ans. Il a été enseignant, militant pour l’indépendance, directeur général de l’UNESCO et enfin président, à la fin des années Wade, des « assises nationales ». Le parcours d’Ahmadou Mahtar Mbow a été marqué par l’engagement et l’humilité. Pour cet anniversaire, RFI reçoit le sociologue Mahamadou Lamine Sagna qui publie un livre d’entretiens avec lui, Amadou Mahtar Mbow, une légende à raconter, publié aux éditions Karan.. Il revient sur les grandes étapes de sa vie avec Laurent Correau.

 

RFI: Le jeune Amadou Mahtar Mbow fait donc ses études en France. Il y jette les bases de ce qui deviendra plus tard la FEANF, la Fédération des étudiants d’Afrique noire. Et cette FEANF va être l’un des endroits où l’on réfléchit à l’indépendance, l’un des endroits où on la revendique.

Mahamadou Lamine Sagna : Amadou Mahtar Mbow, lorsqu’il est arrivé étudiant, en France, il avait d’abord intégré l’Association des étudiants coloniaux. Ensuite, avec son ami Abdoulaye Ly, ils ont créé l’Association des étudiants africains. La Seconde Guerre mondiale a été très importante dans la vie et le parcours d’Amadou Mahtar Mbow, puisque c’est là qu’il s’est posé beaucoup de questions sur ce que veut dire être un être humain dans une société et comment faire face à l’injustice. Et je crois que c’était un point important de sa prise de conscience, par rapport à l’égalité des hommes, puisque quand on fait la guerre, on voit comment tous les hommes sont égaux face à la violence.

Amadou-Mahtar MBow est ensuite enseignant, il le sera en Mauritanie, où le pouvoir colonial l’affecte, parce qu’il veut l’éloigner du Sénégal. Il le sera aussi, par la suite, au Sénégal, avec un vrai engagement dans ce que l’on appelle l’éducation de base. Quelle va être l’action d’Amadou Mahtar Mbow dans le pays profond sénégalais ?

Je crois que c’est l’un des fondements de sa vie. Cela lui a permis, non seulement de s’imprégner de la vie sociale et culturelle des populations, mais aussi de trouver des solutions adaptées à leur environnement. Par exemple, il a été dans un village qui s’appelle Badiana, en Casamance, où on trouvait que beaucoup d’enfants mourraient, à cause du fait que, par exemple, lorsque l’on coupait le cordon ombilical, on le coupait des fois, avec des tessons de bouteille… Donc ce qu’il a fait, par exemple à Badiana, c’est de montrer comment on peut utiliser des outils pour couper le cordon ombilical, ce qui a fait que dans ce village, il y a eu beaucoup moins de mortalité infantile.

Et donc son parcours se poursuit. En 1974, il est élu directeur général de l’Unesco. C’est même le premier ressortissant de ce que l’on appelle alors le tiers-monde, à être élu à ce poste. On est en pleine Guerre froide. Que va-t-il impulser à cette organisation ?

Le champ était très conflictuel. Dans ce champ de combat, il a su porter des idées et les mettre en œuvre. Par exemple, l’Histoire générale de l’Afrique, le retour des objets d’art sur le patrimoine mondial… Il a beaucoup aidé à ce que la culture de différents peuples soit représentée dans le patrimoine mondial. Il a fait libérer beaucoup de prisonniers politiques, notamment en Amérique latine.

Il propose, alors, une idée qui est novatrice pour le début des années 1980 : le NOMIC, le Nouvel Ordre mondial de l’information et de la communication. De quoi s’agit-il ?

A cette époque – en 1982 – il n’y avait pas Internet. Pour moi, le NOMIC c’était extrêmement visionnaire, puisque l’idée c’était de dire qu’il y avait un déséquilibre au niveau de la production, de la distribution et de la circulation de l’information… et de dire qu’il y aurait, un développement technologique et scientifique qui ferait que le problème se poserait encore plus. Et je pense que tout ce qu’il a décrit, c’est presque ce que nous vivons avec internet. En lisant son livre sur « les sources du futur », on se rend compte que la technologie a transformé complètement la distribution et la circulation de l’information. C’était visionnaire. Et cela a été, d’ailleurs, un point d’achoppement, je crois, avec les États-Unis de Reagan et le gouvernement de Thatcher. Cela a été l’un des points importants qui ont fait que Thatcher et Reagan se sont retirés de l’Unesco en 1987. Parce que, remettre en cause l’ordre de l’information et de la communication, c’était remettre en cause leur volonté de puissance dans le monde. On l’a combattu pour cela.

Le dernier engagement en date, celui pour lequel les Sénégalais le plus jeunes le connaissent, c’est la présidence des Assises nationales, qu’il prendra en pleine période de contestation de la gouvernance d’Abdoulaye Wade, en 2008. Quel sens donne-t-il à cet engagement ?

Il donne un sens patriotique à cet engagement… une nécessité – en tout cas de son point de vue – puisqu’on lui a demandé de présider les Assises, alors qu’il avait pris depuis longtemps sa retraite. Il avait 88 ou 89 ans à cette époque-là. Malgré tout, il ne voulait pas, mais vu l’insistance des partis d’opposition et de la société civile, comme son combat c’est, d’unir les populations pour affronter les grands défis qui se posent à la nation, il a accepté de diriger les Assises nationales. Il ne l’a pas fait contre Abdoulaye Wade, en particulier. Dans son discours, quand on l’entend, il a même beaucoup d’affection pour lui, puisque son grand-frère était son ami intime. Simplement, il fallait réfléchir sur les questions qui se posaient à la nation et trouver ensemble des solutions. Et je pense que sur ce plan aussi, il a été visionnaire, le fait d’avoir accepté cela, de présider les Assises… Parce qu’aujourd’hui, quand on voit le débat au Sénégal, cela tourne autour des institutions et de la gouvernance et les Assises nationales avaient fait de belles propositions là-dessus.

 

 

 

Laurent Correau

 

 

Source : RFI  (Le 19 mars 2021)

 

 

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