«Métisse de Belgique», Éveline Schmit, 69 ans, n’a jamais retrouvé sa mère

En 2019, le pays s'est excusé pour avoir séparé de leur mère les enfants métis nés dans ses anciennes colonies.

Elle aurait de quoi être amère, mais aucune once de rancune ou de colère n’émane de ses propos. Dans la bouche d’Éveline Schmit, pas de saillies acerbes, juste de la sagesse. «J’ai beaucoup travaillé, cherché une aide dans la spiritualité, le bouddhisme, j’ai été nonne pendant trois ans en Belgique. Je suis aussi une psychothérapie depuis vingt ans», explique-t-elle avec un léger accent américain, seul indice qui pourrait trahir sa trajectoire hors du commun.

À travers la voix douce d’Éveline résonne celles des autres individus métis de Belgique. Des enfants du pêché, tels qu’ils étaient considérés, nés sur le continent africain, au Congo et au Ruanda-Urundi, d’une mère noire et d’un père blanc. Durant la colonisation belge, ils seraient entre 14.000 et 20.000 à avoir vu le jour de ces unions en majorité forcées. Une partie de ces gamin·es (entre 800 et 950) a été envoyée en Europe au moment où leurs pays de naissance ont glané leur indépendance.

«En raison des troubles qui secouaient le Congo et le Ruanda-Urundi, les Sœurs blanches ont réussi à convaincre le gouvernement colonial belge que les métis allaient être en danger si on les laissait en Afrique, qu’il fallait les envoyer en Belgique et les soustraire à leur famille. C’était une thèse fallacieuse. Le gouvernement belge a déplacé des métis vers la Belgique avec ou sans l’accord des mamans, en disant qu’ils allaient revenir. En fait, c’était un aller simple, une sorte de rapt, car nous avons été placés dans des institutions, dans des centres d’adoption, dans des familles d’accueil, en nous faisant passer pour orphelins alors que nos mamans vivaient toujours.» Ce récit plein d’émotion, c’est celui de François Milliex, qui faisait partie des 300 enfants de l’institution catholique de Save (sud du Rwanda) déplacés vers le plat pays.

Des enfants de l’institution catholique de Save, au sud du Rwanda. | AMB/MVB

 

Avant d’arriver en Europe, le président de l’Association des métis de Belgique a passé des années dans cet «institut pour enfants mulâtres». Sur le continent africain, plusieurs institutions religieuses se sont ainsi spécialisées dans l’accueil des enfants métis, pour s’occuper d’eux, leur offrir une éducation à la belge, et surtout les cacher. «Le simple fait de leur existence menace les fondements idéologiques de la domination coloniale, laquelle se base sur la suprématie “naturelle” de la race européenne», écrit ainsi Sarah Heynssens, historienne à l’université de Gand dans la Revue d’histoire de l’enfance «irrégulière».

«Le métissage était […] considéré comme une source de subversion, vu comme une menace pour le prestige blanc, une incarnation de la dégénérescence européenne et de la décadence morale», explique Ann Laura Stoler, historienne américaine citée dans le même article scientifique. Éveline Schmit, elle aussi, a été retirée des bras de sa mère bien avant la fin de l’ère coloniale.

 

Au Congo, puis à Bruxelles

 

Née le 28 février 1952 au Ruanda-Urundi, Éveline a 2 ans lorsqu’elle est envoyée dans la région du Kivu, au Congo belge, dans un internat tenu par des missionnaires baptistes américains. Dans cet orphelinat, les conditions de vie sont rudes. Personne ne vient la voir. Ni elle, ni ses camarades.

Des jeunes de la mission baptiste du Kivu où Éveline Schmit a été envoyée par son père. | Photo fournie par Éveline Schmit

 

Ce premier placement a duré cinq ans et a été décidé par son père, Pierre Schmit, un Luxembourgeois travaillant à l’époque en Afrique pour le gouvernement belge. Selon elle, il a voulu l’éloigner de ses petites affaires afin de sauver sa carrière. «Il ne pouvait pas s’afficher avec un enfant métis. Il ne pouvait pas me mettre dans une institution catholique dans le Ruanda-Urundi. Comme administrateur, il aurait perdu son job. Il a organisé un mariage coutumier à l’africaine, mais qui n’était pas reconnu par la Belgique. Mon père voulait m’éloigner du Rwanda, d’où venait ma mère et toute sa famille, pour me mettre là-bas, là où elle ne pouvait pas me trouver. Elle ne savait pas où j’étais, combien de temps j’allais être placée. Il lui a dit qu’il m’envoyait en Belgique chez sa famille.»

Éveline (en bas, au centre) sur le tarmac de l’aéroport avant de quitter l’Afrique. | Photo fournie par Éveline Schmit

 

Éveline a bien atterri un jour en Europe, à l’âge de 7 ans, mais pas dans sa famille paternelle. Elle a d’abord été débarquée comme ses autres camarades au 119 de l’avenue Coghen à Uccle, une commune huppée du sud de Bruxelles. Dans cet orphelinat baptiste tenu par un pasteur suisse, des donateurs et donatrices américain·es subvenaient à leurs besoins en envoyant vêtements et argent. Après un an, une femme a entendu parler de cette histoire et s’est empressée de formuler une requête. «Elle voulait la plus jeune, c’était moi.»

Éveline ne souhaitait pas repartir, puisqu’elle considérait les autres enfants des orphelinats kivutiens et ucclois comme des membres de sa famille. Sans qu’on tienne compte de son avis, elle s’est retrouvée assise à bord de la carlingue d’un avion glissant dans l’air au-dessus de l’océan Atlantique. La seule chose qu’elle connaissait du pays de l’Oncle Sam, c’étaient les westerns. À tel point qu’Éveline pense passer le reste de sa vie dans un tipi et pas à Roxbury (Boston) dans un taudis. Le pasteur n’avait évidemment pas pris la peine de se renseigner sur l’endroit où il l’envoyait.

 

 

 

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Jacques Besnard

 

 

 

 

Source : Slate

 

 

 

 

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