Accusé de viol, le député Ousmane Sonko dénonce un « complot » pour l’écarter de la course à la présidentielle. Avant lui, Idrissa Seck, Karim Wade et Khalifa Sall ont connu des déboires judiciaires ravageurs pour leur carrière.
L’opposant sénégalais Ousmane Sonko lors d’une conférence de presse à Dakar, le 8 mars 2021.
Depuis le début du mois de février, le Sénégal vit au rythme de l’affaire Ousmane Sonko, du nom de cet opposant accusé de « viols » et de « menaces de mort » par une employée d’un salon de massage où il avait ses habitudes. La semaine dernière, le dossier a pris un tour politique lorsque le député de 46 ans a été interpellé pour « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée » alors qu’il se rendait, entouré d’un important cortège de sympathisants, à sa convocation au tribunal.
Son arrestation a provoqué des manifestations qui ont parfois dégénéré en pillages, saccages et heurts entre jeunes et forces de l’ordre. Des violences qui ont fait au moins cinq morts – onze selon le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), qui mène la contestation.
Ousmane Sonko, qui a été libéré lundi 8 mars sous contrôle judiciaire, se dit victime d’un complot ourdi par le chef de l’Etat, Macky Sall, afin de l’écarter de l’élection présidentielle de 2024. Lors du précédent scrutin, le candidat antisystème, leader du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), était arrivé en troisième place, avec 15,7 % des voix, derrière Macky Sall (58,3 %) et Idrissa Seck (20,5 %). Pour ses partisans, cela ne fait aucun doute : ces accusations sont une aubaine pour le chef de l’Etat, qui se débarrasserait ainsi d’un nouvel adversaire encombrant… après Karim Wade et Khalifa Sall.
Ces dernières années, plusieurs hommes politiques de premier plan ont été visés par la justice au Sénégal, un pays salué pour son respect du jeu démocratique. Rappel de trois affaires emblématiques qui ont défrayé la chronique.
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Idrissa Seck et les chantiers de Thiès
L’affaire a eu lieu pendant la présidence d’Abdoulaye Wade. L’ancien opposant à Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, qui a accédé à la magistrature suprême en 2000, a choisi Idrissa Seck, l’un de ses fidèles, comme directeur de cabinet puis premier ministre. Très vite, la relation entre les deux hommes vire à l’aigre. Le chef de l’Etat soupçonne son protégé d’avoir les dents un peu trop longues et de vouloir l’évincer lors de l’élection de 2007. De son côté, le premier ministre accuse son mentor de favoriser l’ascension d’un autre dauphin en la personne de son fils, Karim Wade.
Idrissa Seck est limogé du gouvernement en avril 2004 – et remplacé par un certain… Macky Sall –, mais l’affaire ne s’arrête pas là. En 2005, le président Wade passe à l’attaque en lui reprochant sa gestion des chantiers de la ville de Thiès. Selon un rapport de l’Inspection générale de l’Etat réalisé à sa demande, quelque 21 milliards de francs CFA (32 millions d’euros) auraient été dépensés dans des travaux « non autorisés ». En juillet, Idrissa Seck est accusé de « trahison, détournement de deniers publics, corruption et atteinte à la sûreté de l’Etat ». Incarcéré à la prison de Rebeuss, il ne sera libéré qu’en février 2006, blanchi.
Il crée alors son propre parti, Rewmi, et se présente à la présidentielle de 2007, mais son score de 14,9 % ne lui permet pas d’inquiéter Abdoulaye Wade, réélu avec 55,9 % des voix. Idrissa Seck est de nouveau candidat en 2012 et en 2019. Alors qu’à l’époque de sa disgrâce il avait accusé Macky Sall d’avoir participé au « complot » le visant, il semble depuis s’être réconcilié avec lui, puisqu’il a rejoint en novembre 2020 la majorité présidentielle.
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L’enrichissement illicite de Karim Wade
Au temps de sa toute-puissance, on le surnommait « le ministre du ciel et de la terre ». En 2009, à seulement 40 ans, Karim Wade a reçu de son président de père le portefeuille bien rempli de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures. La voie vers le palais présidentiel semblait toute tracée, mais c’était compter sans la volonté d’Abdoulaye Wade de briguer un troisième mandat au prix d’un tour de passe-passe constitutionnel. A l’époque, cette décision fait descendre les Sénégalais en masse dans la rue, un mécontentement qui se traduira dans les urnes en 2012. Abdoulaye Wade est défait, Macky Sall élu… Pour Karim Wade, rien ne va plus.
Dès 2010, des documents publiés par WikiLeaks avaient sonné comme un avertissement : les « mémos » du département d’Etat américain prenaient très au sérieux la réputation sulfureuse du jeune ministre. « Karim est aujourd’hui surnommé “Monsieur 15 %” alors qu’au début de 2007, on l’appelait “Monsieur 10 %” », notait l’ambassadrice des Etats-Unis à Dakar. C’est cet affairisme qui vaudra à Karim Wade ses ennuis judiciaires. En 2013, il est accusé par la justice sénégalaise de « détournements de deniers publics, corruption et enrichissement illicite ». Ecroué à Rebeuss, il sera finalement condamné pour ce dernier chef d’accusation, en 2015, à six ans de prison.
Après trois années de détention, Macky Sall décide de le gracier en 2016. Karim Wade s’envole alors pour le Qatar… sans pour autant tirer un trait sur ses ambitions politiques. Objectif : l’élection présidentielle de 2019. Mais sa candidature est rejetée par la Cour suprême du Sénégal au motif qu’un individu condamné à cinq ans de prison ou plus ne peut être inscrit sur les listes électorales… préalable indispensable pour se présenter à un scrutin. Bien entendu, la règle vaudra toujours en 2024.
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Khalifa Sall et la « caisse d’avance »
La mairie de Dakar devait lui servir de tremplin. Elle n’aura été qu’une planche savonnée. En 2009, Khalifa Sall est élu à la tête de la capitale sénégalaise. Allure juvénile malgré son âge (53 ans à l’époque), regard volontaire, éloquence… Le socialiste, qui fut ministre sous la présidence d’Abdou Diouf (1981-2000), peut nourrir de belles ambitions politiques. Réélu en 2014, le voilà même en passe de devenir un concurrent sérieux de Macky Sall pour l’élection de 2019. Ne s’est-il d’ailleurs pas désolidarisé de la coalition bâtie autour du président ? Sa notoriété ne cesse de croître, au-delà même des limites de Dakar.
Hélas, les ennuis judiciaires n’auront pas attendu la fin de son second mandat pour le rattraper. En mars 2017, Khalifa Sall est placé sous mandat de dépôt avec cinq de ses collaborateurs : la justice lui reproche l’utilisation « sans justification » de 1,83 milliard de francs CFA (2,8 millions d’euros) des caisses de la mairie. C’est donc depuis sa cellule qu’il fait campagne pour les élections législatives de juillet, qu’il remporte dans sa circonscription de Dakar. Mais il aura à peine le temps de savourer sa victoire : l’Assemblée nationale vote, en novembre 2017, la levée de son immunité parlementaire…
Finalement, Khalifa Sall est condamné en août 2018 par la cour d’appel de Dakar à cinq ans d’emprisonnement pour « faux en écriture » et « escroquerie portant sur les deniers publics ». Lui nie ces accusations, arguant que les maires de Dakar ont toujours eu à leur disposition une « caisse d’avance » destinée à leur action politique. Macky Sall le révoque de ses fonctions à l’hôtel de ville, avant de lui accorder, un an plus tard, une grâce présidentielle. Depuis, Khalifa Sall se tient éloigné d’une vie politique où les peaux de banane judiciaires s’avèrent particulièrement glissantes.
Fabien Mollon
Source : Le Monde
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