«The Mauritanian» : Jodie Foster et Tahar Rahim en quête de vérité

La scène se déroule lors des célébrations d’un mariage, en Mauritanie, en 2002. Durant la fête, Mohamedou Ould Salahi, de retour au pays après de brillantes études à l’étranger, est abordé par des représentants des autorités locales. Sans opposer de résistance, il accepte de les suivre pour, lui promet-on, un simple interrogatoire de routine. La famille du jeune homme restera sans nouvelles de lui pendant plusieurs années. Et pour cause : Mohamedou Ould Salahi fut « remis » à l’armée américaine et transporté à la prison de Guantánamo, où il fut torturé. Il y demeura incarcéré jusqu’en 2016 sans qu’une seule accusation soit portée contre lui. The Mauritanian (Le Mauritanien) revient sur l’affaire, avec Tahar Rahim dans le rôle-titre et Jodie Foster dans celui de l’avocate qui prit fait et cause pour Salahi. On a pu leur parler lors d’une table ronde virtuelle.

Outre le fait qu’il a perdu 20 livres avant le tournage, Tahar Rahim, qui parlait déjà, outre son français natal, l’anglais, l’arménien et le gallois, a ajouté l’arabe hassanya et l’arabe classique à son répertoire. Cela, en plus d’insister pour des conditions de tournages très difficiles — on y reviendra. Est-ce à dire que le fait d’incarner une personne vivante, par opposition à un personnage de fiction, induit une pression accrue ?

 

Photo: Entract Films Nancy Hollander, l’avocate qu’incarne Jodie Foster, n’a jamais hésité à s’en prendre à des institutions, ici l’armée et le gouvernement américains. Un rôle en or pour l’actrice, qui compose un personnage non pas idéaliste, mais d’un pragmatisme à toute épreuve.

 

« D’habitude, pour moi, c’est le même engagement, parce que ma responsabilité première est envers le public. Mais dans ce cas-ci, vous avez raison : jouer une vraie personne, jouer Mohamedou, qui a vécu un tel calvaire… je ne voulais pas qu’il soit déçu, ou se sente incompris, ou trahi. Il était mon premier public […] Le message du film est tellement important, et Mohamedou mérite justice, mérite d’être entendu », confie Tahar Rahim, qui se retrouve ici dans un univers carcéral fort différent de celui d’Un prophète, film de Jacques Audiard qui le fit connaître.

Quelqu’un d’extraordinaire

Par rapport auxdites conditions de tournage, Tahar Rahim explique qu’à cause de cette responsabilité qu’il se sentait envers Mohamedou Ould Salahi, il tenait à ce que les conditions dans lesquelles il jouait et les sévices dépeints se rapprochent le plus possible de la réalité. « Je ne suis pas un acteur qui est capable d’inventer tout ça dans sa tête : j’ai besoin de ressentir. Donc oui, dans une certaine mesure, j’avais besoin de le vivre physiquement. »

On parle ici du refroidissement de la cellule où il pouvait tourner six jours par semaine, douze heures par jour, du port de vraies menottes et de vraies chaînes, d’exposition soutenue à du heavy metal tonitruant… Bien entendu, la vie de Tahar Rahim ne fut jamais en danger, mais quand même. « J’étais épuisé, mais ça m’a aidé à atteindre les émotions requises et, je l’espère, à exprimer une authenticité […] Lors d’une scène où Mohamedou hallucine et voit sa mère, j’étais tellement vidé. Ça ne m’est jamais arrivé un truc pareil, mais j’étais convaincu que ma mère était dans la cellule avec moi. J’ai dit à Kevin [Macdonald, le réalisateur] que cette scène-là, je ne pourrais la faire qu’une seule fois. Pendant un instant, j’ai oublié que j’étais dans un film et, après la scène, je me suis effondré. »

Jodie a tellement une belle âme. Rapidement, dans le jeu, on s’est surpris à communiquer entre les mots. C’était comme si nos deux esprits s’étaient mis à danser ensemble.

 

On le précise, l’acteur est extraordinaire de désarroi, de résilience, mais aussi d’humour. Lorsque Tahar Rahim rencontra Mohamedou Ould Salahi, il fut en effet étonné par la foncière bonhomie de ce dernier. « Il n’arrêtait pas de blaguer, de jouer de la musique, de parler de films… Je n’en revenais pas qu’un homme qui a traversé un tel cauchemar puisse être si généreux et plein de vie. Lorsqu’on a commencé à parler de torture par contre, son visage s’est transformé, son humeur a changé. Je l’ai beaucoup observé, écouté. Sa capacité de pardonner, de sortir de Guantánamo non pas brisé, mais plus sage : c’est quelqu’un d’extraordinaire. Il m’a dit : “quand tu pardonnes, tu te fais plaisir, parce que tu deviens libre, même si tu es enfermé”. »

L’histoire de Mohamedou

Atout non négligeable pour le film, Tahar Rahim partage à l’écran une complicité palpable avec Jodie Foster. « Jodie a tellement une belle âme. Rapidement, dans le jeu, on s’est surpris à communiquer entre les mots. C’était comme si nos deux esprits s’étaient mis à danser ensemble », se souvient le comédien.

Une impression partagée par sa partenaire, qui ne tarit pas d’éloges, à raison, quoique, égale à elle-même, la star lauréate de deux Oscar (The Accused, The Silence of the Lambs) livre elle aussi une performance épatante

Kevin [Macdonald], qui est aussi un excellent documentariste, est capable de saisir les différents points de vue et de comprendre que, durant cette période, les Américains ressentaient de la peur, de la terreur et qu’essentiellement, le gouvernement a utilisé ces émotions pour assouvir une vengeance

« Le rôle a pas mal évolué, révèle Jodie Foster. Dans le scénario, il y avait beaucoup de matériel additionnel par rapport à Nancy [Hollander, l’avocate de Mohamedou Ould Salahi], sur son histoire, sa vie personnelle, son ex-mari et tout ça. Je trouvais que c’était superflu. Je jugeais plus important qu’on reste sur l’histoire de Mohamedou. Tout ce qu’on voyait des autres personnages, dont le mien, devait nourrir l’histoire de Mohamedou. Nous nous sommes donc débarrassés de plein d’éléments et, de mon côté, j’ai continué d’épurer », explique Jodie Foster, qui se réjouit de ce que The Mauritanian offre un portrait complexe d’un protagoniste musulman, loin des clichés hollywoodiens.

« Ce n’est justement pas un film hollywoodien, note-t-elle. Il a été produit par une équipe britannique. Nous n’avions pas de distributeur américain, je crois, parce que la production ne voulait pas être censurée ou passer devant un comité américain. C’était une bonne chose puisque nous avons pu faire le film que nous voulions faire et raconter l’histoire de Mohamedou en épousant sa perspective à lui, celle d’un musulman pris dans un contexte exacerbé d’islamophobie […] Kevin,qui est aussi un excellent documentariste, est capable de saisir les différents points de vue et de comprendre que, durant cette période, les Américains ressentaient de la peur, de la terreur et qu’essentiellement, le gouvernement a utilisé ces émotions pour assouvir une vengeance. »

Pragmatisme et empathie

Nancy Hollander, l’avocate spécialisée en droit criminel qu’incarne Jodie Foster, n’a jamais hésité à s’en prendre à des institutions, ici l’armée et le gouvernement américains. C’est un rôle en or pour l’actrice, qui compose un personnage non pas idéaliste, mais d’un pragmatisme à toute épreuve ; une femme qui possède une connaissance et une compréhension approfondies de la loi, qu’elle refuse de voir ainsi bafouée.

Il est, à cet égard, révélateur de constater que, lorsqu’elle accepte de défendre Mohamedou Ould Salahi,elle doute de son innocence, mais, pour elle, le droit à un procès juste et équitable prime, même s’il s’avérait que son client a, comme le prétend l’armée sans pourtant l’accuser, recruté des terroristes liés aux attaques du 11 septembre 2001. C’est dire la force des convictions du personnage.

Or, à mesure que l’ampleur des horreurs infligées à son client lui est révélée, des notes d’empathie viennent colorer la performance brillante de Foster.

« Je n’ai rencontré Nancy qu’après [les réécritures] et avoir endurci le personnage. Et évidemment, je me suis retrouvée devant une femme adorable, une bonne personne qui parle très doucement et méthodiquement… Je lui ai demandé si elle me donnait une licence pour la jouer. Je voulais lui être fidèle, bien sûr, mais j’avais besoin d’effectuer certains changements afin de faciliter cette focalisation sur l’histoire deMohamedou. Elle m’a donné carte blanche. Bref, ma Nancy est plus dure au début que ne l’est la vraie Nancy. »

À terme, Jodie Foster et Tahar Rahim espèrent que le film fera réfléchir, mais surtout, que l’attitude de Mohamedou Ould Salahi inspirera.

 

The Mauritanian sera proposé en VSD dès le 2 mars.

 

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Le mot du réalisateur

 

Le drame judiciaire The Mauritanian est basé sur Les carnets de Guantánamo, mémoires que rédigea Mohamedou Ould Salahi pendant son incarcération. Une lecture marquante pour Kevin Macdonald (Touching the Void, The Last King of Scotland).

« J’ai été secoué. Mohamedou est le seul détenu de Guantánamo qui est parvenu à tenir un tel journal, grâce à ses lettres envoyées à son avocate, comme on le voit dans le film. Cependant, je ne voyais pas comment en tirer un film. C’est lorsque j’ai parlé avec Mohamedou que tout a changé. Il n’était ni amer ni revanchard. Il était chaleureux et drôle, et incroyablement éloquent en anglais. Et son anglais est si drôle, parce qu’il l’a appris de soldats de vingt ans, donc il y a plein de « fuck this, shit that » : il parle comme s’il était dans les marines. Puis, il m’a décrit ce qu’il a vécu, et je me suis dit que cet homme était fascinant. Plus que tout, sa détermination à pardonner à ceux qui lui ont fait ça est remarquable. J’entrevoyais donc une issue lumineuse pour un sujet d’emblée sombre et glauque. »

Pour le réalisateur, The Mauritanian a beau se dérouler dans un passé récent, sa portée est intemporelle. « C’est un film sur la règle de droit, un concept qui peut avoir l’air aride ou abstrait, mais on voit bien, dans ce cas-ci, que si des gens la contournent ou la bafouent, ça donne naissance à des aberrations comme Guantánamo. »

 

 

 

François Lévesque

 

 

 

 

 

Source : Le Dévoir (Canada)

 

 

 

 

 

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