Mauritanie : l’alternance militaire, un gros caillou dans la chaussure de l’opposition

L’alternance démocratique est aujourd’hui un véritable casse-tête pour l’opposition mauritanienne qui en fait son cheval de bataille depuis l’ouverture au multipartisme et aux élections au suffrage universel en 91. Ce qui a permis à Ould Taya de diriger le pays jusqu’en 2005 date du 4ème coup d’état ouvrant ainsi une transition démocratique avec l’élection en 2007 du premier président civil élu démocratiquement mais finalement qui sera renversé par le général Ould Abdel Aziz en 2008.

Depuis le premier coup d’Etat militaire en 78, la Mauritanie est devenue un cas d’école avec un bilan de 5 coups de force depuis l’indépendance. Cette alternance militaire est un frein à la démocratie à laquelle l’opposition mauritanienne est attachée faisant apparaître une gouvernance sous vernis démocratique qui perdure. Cette complexité réside dans la légitimité des coups d’état.Celui de Ould Saleck visait à sortir la Mauritanie de la guerre du Sahara occidental.

Puis les putschistes suivants pointaient les urgences de redresser la démocratie et de lutter contre la pauvreté et la corruption. L’armée apparaît ainsi comme un messie. De Ould Saleck à Ould Aziz c’est le même refrain. Le redressement et le salut national pour Ould Saleck, la restructuration pour Taya la re-démocratisation pour Ely Ould Mohamed Vall et la rectification pour Ould Aziz.

Les différents locataires du palais de Nouakchott se sont appuyés sur des compétitions tribales dont les plus tenaces sont celles du Nord du pays essentiellement les Idawali, Awlad Busba et Smassid qui se sont accaparés les reines du pouvoir et toutes les richesses nationales grâce à une élite politico-commerciale bien préparée sous la tutelle de l’armée et renforcée par de nouvelles formes de financements venant des pays arabes en particulier la Libye et les pays du golfe et de la Chine. Et la politique qui prévaut au sommet de l’Etat a vite été comblé par des forces extra-constitutionnelles qui agissent dans la proximité de la présidence autrement dit des forces du clientélisme ou simplement tribales qui s’activent au moment de toutes les élections en particulier les présidentielles avec de l’argent douteux pour acheter les consciences populaires.

Ce sont des pratiques courantes qui cachent aujourd’hui une oligarchie militaire qui fait la pluie et le beau temps mais avec des craintes d’une Mauritanie profondément divisée qui ne sert pas pour le moment l’opposition qui s’oppose plus aux gouvernants qu’au système. Une déconnexion avec le peuple mauritanien qui permet à chaque fois aux généraux de gagner facilement les présidentielles.

A regarder de près toutes ces gouvernances déguisées en démocratie ont mis de côté l’opposition en l’accusant de tous les maux surtout sous Ould Aziz qui a réglé ses comptes en tenant responsable l’opposition de bloquer le pays ou de manipulation par l’étranger surtout en ce qui concerne les islamistes devenus la première force de l’opposition. Et sans surprise qu’il a passé le témoin à son dauphin Ould Ghazouani selon un agenda bien caché dont les effets collatéraux sont aujourd’hui visibles avec la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la décennie de son mentor dont les observateurs attendent l’épilogue.

Une alternance militaire qui a suscité beaucoup d’espoir pour résoudre la fracture ethnique dont les origines remontent en 89 avec la déportation des noirs au Sénégal et au Mali et l’assassinat de 28 soldats noirs à Inal en 91 sous le régime de Ould Taya.

Des exactions contre principalement la composante nationale de la vallée qui divisent la classe politique et notamment au sein de l’opposition qui fait montre plus de plus de connivence avec le pouvoir sous forme de regroupements au sein de forums comme le FNDD sous la houlette des deux principaux partis l’UFP et le RFD rattrapés aujourd’hui par l’histoire les accords de Dakar en 2008 qui ont consacré l’élection de Ould Aziz en 2009. Le FNDD deviendra FNDU regroupant plus de dix partis qui n’ont pas réussi malgré leurs mobilisations populaires de faire tomber le pouvoir en place.

Une opposition disparate et bien mal aidée par une société civile encore balbutiante. L’opposition négro-africaine sous la houlette de l’AJD-MR les FPC et TPMN fait figure d’une nette rupture avec le système qu’elle qualifie de racisme d’Etat plus mobilisée autour du règlement du passif humanitaire et de la cohabitation et de la fin de l’esclavage plus relayée et défendue par le mouvement abolitionniste IRA plus reconnu au-delà des frontières mauritaniennes.

Cette double opposition ne fait que confirmer l’inexistence d’une force politique enracinée dans la Mauritanie profonde c’est-à-dire tous les mauritaniens à l’intérieur comme à l’extérieur. Aujourd’hui les mobilisations de l’opposition ne font plus de recettes.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Ould Ghazouani c’est l’union sacrée qui cède le pas aux défiances dans un contexte de crise sanitaire provoquée par la pandémie covid-19. Jusqu’à quand ?

Le regard de l’historien Ciré Bâ est sans équivoque sur la gouvernance militaire. « Nul ne peut gouverner paisiblement la Mauritanie en méconnaissance totale de son histoire ou au mépris de celle-ci, faite de recompositions, de brassages, de mélanges de sociétés si différentes que tout éloignait au début, mais qu’il faut désormais administrer harmonieusement selon un principe si simple de justice et d’égalité, non pas de principe, mais d’égalité effective. Pour cela l’armée au pouvoir depuis 1978, n’ayant pas vocation à faire de la politique et considérée comme comptable et responsable du génocide des noirs, n’est pas qualifiée à diriger le pays ». C’est le plus grand défi de l’opposition pour entrer dans l’histoire.

 

 

 

 

 

 

Cherif Kane

Coordinateur journaliste

 

 

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 22 février 2021)

 

 

 

 

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