Sur les 7 000 langues parlées sur notre planète, 50% pourraient cesser d’exister d’ici la fin du siècle et c’est une certaine vision du monde qui s’évanouit avec chacune d’elles.
Chaque année des dizaines de langues cessent d’être parlées. Pour la plupart, il ne restera rien d’elles quand le dernier locuteur de la langue disparaîtra. Afin de lutter contre une disparition totale de ces langues, une équipe de chercheurs du CNRS est en train de constituer une arche de Noé des langues, appelée Pangloss. Guillaume Jacques, linguiste au CNRS, fait partie de cette équipe. Il éclaire les trois principales raisons pour lesquelles les langues disparaissent.
Le réchauffement climatique
Ce qui est particulièrement alarmant pour les linguistes c’est que les régions du monde qui ont la plus grande diversité linguistique sont précisément celles qui vont subir le plus le changement climatique. Guillaume Jacques, chercheur en linguistique, CNRS
4 % de la population mondiale parle 97% des langues, et à l’inverse, la moitié des êtres humains parle seulement une vingtaine de langues. Ces dernières sont plus fragiles et menacées d’extinction, surtout celles à tradition orale, parlées dans une région restreinte et limitée. En particulier la Papouasie, berceau de centaines de langues. Ces îles sont plus riches linguistiquement que des continents entiers. Mais leur territoire est directement menacé par la montée des eaux. Certaines populations ont déjà commencé à migrer et leur langue se perd dans celle de leur nouvel environnement.
La diversité linguistique de l’Amazonie, ou du Nigéria avec ses 500 langues, vont aussi être durement impactées par le changement climatique.
L’hégémonie culturelle
Au cours des derniers siècles, plusieurs pays ont tenté de supprimer la langue de certaines populations.
La France n’est pas particulièrement brillante mais c’est [surtout le fait] des Américains et des Australiens. Ils ont fait des boarding school [internats] pour séparer les enfants de leurs parents afin qu’ils oublient leur langue. Ça a été fait exprès pour ça. Ça a eu lieu à la fin du XIXe et ça existait encore dans les années 1950-1960.
Guillaume Jacques, chercheur en linguistique, CNRS
La disparition d’une langue peut aussi être le résultat d’un processus a priori positif, comme l’alphabétisation qui valorise certaines langues au détriment d’autres, ou l’ambition de la réussite scolaire.
En Chine typiquement, les gens souhaitent tous que leurs enfants réussissent à l’école, on ne peut pas leur reprocher ça, mais le problème c’est que les langues traditionnelles n’ont aucun intérêt, aucune reconnaissance. On peut faire des études quand même en langue tibétaine, en mongol, etc. Mais ce sont des cursus moins valorisés.
Guillaume Jacques, chercheur en linguistique, CNRS
La colonisation
Après la conquête d’un territoire, la population passe par une phase de bilinguisme : la langue traditionnelle est employée en privé, celle du conquérant devient langue nationale. C’est ce qui s’est passé par exemple pour le gaulois dont il nous reste seulement quelques mots en français.
La mort du gaulois a été progressive. Il y a eu un bilinguisme assez généralisé et petit à petit ils ont abandonné la langue gauloise qui devait peut-être leur paraître une langue de paysan, une langue socialement moins prestigieuse que le latin. Guillaume Jacques
Une partie de l’histoire d’une population meurt en même temps que son idiome. Quelques courts textes en gaulois ont été retrouvés mais ce corpus est insuffisant.
On aimerait bien savoir ce que pensaient les Gaulois. Mais tout ce qu’on sait de ce qu’ils pensaient c’est ce que les auteurs grecs et romains ont bien voulu dire d’eux.
Guillaume Jacques, chercheur en linguistique, CNRS
Avec la colonisation, les massacres, les génocides… des peuples entiers ont disparu et leur langue avec eux. Comme en Tasmanie au début du XIXe siècle. En près de 30 ans, la quasi totalité des aborigènes ont été tués. On ne sait presque rien de leurs langues.
Pour garder une trace de ces langues tant qu’il est encore temps, des chercheurs ont lancé un projet immense, le projet Pangloss. Ils collectent et enregistrent ces langues pour constituer une arche de Noé des langues menacées, comme un legs aux générations futures.
Elsa Mourgues
Source : France Culture
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