Valse des étiquettes : Les ménages ‘’prix’’ à la gorge

Les denrées de première nécessité ont enregistré, il y a quelques semaines, une hausse incompréhensible de leur prix. Certains ont même failli doubler. Même si les consommateurs sont habitués à subir, sans grogner, des augmentations récurrentes, la coupe leur était, cette fois-ci,  vraiment trop pleine, poussant le président de la République à sortir de son silence. Sur ses instructions, le « comité de suivi du marché » a été activé.

Tentant de calmer la tempête, le ministère du Commerce rencontrait les grossistes et annonçait dans la foulée des « baisses consensuelles » sur certains produits vitaux. Qu’à cela ne tienne ! La spéculation semble perdurer, les commerçants ne tiennent quasiment pas compte des directives gouvernementales et les ménages démunies – il y a beaucoup plus avec la COVID 19… – continuent de se plaindre auprès de leur boutiquier du coin. « Je n’y suis pour rien », leur répond-il, « ce sont les gros commerçants qui imposent leur tempo ».

Produits « stratégiques » ?

L’augmentation presque généralisée des produits vitaux est tombée au mauvais moment. La COVID, qui sert désormais de prétexte à tout, est passée par là, dit-on. On veut bien l’entendre et accepter mais le gouvernement, via son département du Commerce, se doit d’expliquer et justifier la décision subite des commerçants de faire valser leurs étiquettes. Or on en est toujours à « des concertations ont eu lieu avec les hommes d’affaires »… sans rien apprendre de leur motivation. Le communiqué susdit parlait de mesures prises pour endiguer la hausse. Ponctuelles, craignent toujours certains.

Mais, apprenait-on dans la foulée, les services concernés se sont réunis « pour réprimer, s’il y a lieu, toute éventuelle violation des règles du marché : trust, monopole et autres spéculations illégales sur les prix ». Et la ministre du Commerce, Naha mint Mouknass, de rassurer : « les prix des denrées alimentaires de base continueront d’être réduits », avant d’ajouter, « ces marchandises seront également exclues du champ des fluctuations du marché et de la spéculation, en leur qualité de produits stratégiques dont le prix est réglementé par l’État, avec l’orientation de l’activation du Comité de suivi du marché, entre autres mesures. »

La seule explication qu’on nous sert, c’est comme toujours la crise des marchés internationaux. Selon la FAO, les prix des denrées alimentaires ont atteint un niveau jamais égalé depuis 2014. Et l’on ajoute que « les prix sont plus élevés chez nos voisins », avant d’appeler les importateurs à « se concerter, en vue d’essayer de parvenir à un prix consensuel pour dépasser les circonstances actuelles ». Mais depuis quand ces messieurs ont-ils jamais parlé le même langage ? Et quel rôle va jouer le gouvernement ?

Après lesdites concertations – fait rare à souligner – les « prix consensuels » ont été fixés, sur le papier, comme suit : huile,  860 MRU le bidon de 20 litres en gros, 870 MRU les 20 litres en demi-gros, 47 MRU, le litre au détail ; sucre,  18 900 MRU la tonne en gros, 19 200 MRU la tonne en demi-gros, 23 MRU le kg au détail ; blé, 11 800 MRU la tonne en gros, 12 100 MRU la tonne en demi-gros, 14,5 MRU le kg au détail. Les fournisseurs locaux de riz ont également convenu des prix suivants : riz local long, 26 500 MRU la tonne en gros à Rosso et Kaédi,  27 100 MRU la tonne à Nouakchott ; 27 MRU le kg de détail au détail à Rosso et Kaédi, 28 MRU à Nouakchott. Riz local brisé, 27 500 MRU la tonne en gros à Rosso et Kaédi, 28 100 MRU à Nouakchott, tandis que le prix du kg au détail est de 28 MRU à Rosso et Kaédi et 29,1 MRU à Nouakchott.

Ce sont ces prix qui seraient en vigueur depuis le 23 Janvier sur le marché mauritanien. Théoriquement, disent certains boutiquiers du coin. Le gouvernement n’a pas situé les responsabilités ni pris aucune sanction contre les responsables d’augmentations abusives. Sa réaction est restée très timorée. Du coup, les prix ainsi fixés ne semblent pas respectés. Selon un grand commerçant d’Arafat, « le gouvernement ne peut pas infléchir les prix, seuls les commerçants peuvent le faire ». En attendant, seuls ceux qui ont les moyens peuvent acheter aux prix fixés par les boutiquiers, les autres n’ont qu’à… se débrouiller.

Entre intention et réalité

Entre la volonté du gouvernement de stopper la hausse des prix, et la détermination des commerçants à n’en faire qu’à leur guise, force est de constater le gap. Un tour sur les marchés d’Arafat et de Sebkha, samedi 6 Février, a pleinement démontré combien les prix pratiqués par les importateurs diffèrent de ce qui a été convenu avec le gouvernement. Le riz mauritanien – qui commence à se raréfier – se négocie entre 720 et 800 MRU le sac de 25 kg, soit entre 288 et 300 MRO le kilo. Le riz gros (dit Zankelouni) est passé, lui, de 700 à 900 MRU.

Le bidon de 20 litres d’huile coûte 870 MRU contre 690, il y a quelques semaines ; 1030 MRU, le sac de 50 kgs de sucre ; poulet complet entre 1450 et 1600 MRU, alors qu’il ne coûtait que 1100 MRU, et qu’il commence, selon nos informations, à manquer sur le marché, signe d’une « probable augmentation de son prix dans les deux à jours à venir », affirme un commerçant. L’oignon et la pomme de terre vendus par paire de 25 kgs oscillent entre 780 et 1400 MRU. Le lait en poudre INCO, 3400, et BINCO, 2680 MRU ; le lait frais (ROSE et MANA) ont suivi le rythme ; les 25 kgs macaronis Medina à 310 et Atlas à 280 MRU. Carton d’œufs 2000 contre 1200 MRU, il y a peu. Quant à la farine de blé, vendue il y a quelques jours à 720 MRU, elle atteint aujourd’hui les 820 MRU. Les diverses variétés de thé ont également emboîté la cadence générale. Et ces prix, notons-le, sont ceux des grossistes et donc susceptibles de majoration chez le boutiquier du coin qui doit y ajouter sa marge bénéficiaire… Les ménages qui achètent en détail en subissent fatalement le contrecoup.

L’augmentation des prix ne touche pas que ces produits : le poisson, devenu de plus en plus rare, et la viande ont aussi connu une hausse de leur ticket. Le kg de mouton est vendu à 250 MRU,  celui du chameau ou du bœuf à 1800 MRU. Les étals sont de plus en plus vides et ce sont des variétés jadis honnies qui occupent les bassines et petites tables des femmes revendeuses de ces produits. Beaucoup de familles ont introduit dans le plat du jour le poisson sec accompagné de niébé. Seuls le pain et le gaz domestique n’ont pas (encore ?) subi d’augmentation. Se serait-on souvenu que celle du premier, un produit très sensible, avait entraîné des émeutes à Nouakchott en 1995 ? La réalité n’en est pas moins explosive…

Ils ont tué la SONIMEX

Les commerçants mauritaniens sont connus pour le peu de cas qu’ils font de leurs concitoyens. Ils font valser les étiquettes à leur guise, procèdent à des rétentions calculées des produits, afin de générer une pénurie artificielle pour faire monter les prix… qui ne redescendront pas une fois la crise dépassée. A cause certainement de la docilité de la population mais, aussi, de la nonchalance des gouvernants qui ne s’en soucient que peu : leurs poches sont pleines et, comme disait  feu le docteur Mohamed Mahmoud ould Mah, « les militaires en ont beaucoup dans leurs tenues ». Ce sont les commerçants qui ont toujours décidé de la vie et, dans une certaine mesure, de la mort des citoyens. Résultat des courses, ils ont tué la SONIMEX et certains ont acquis, avec la complicité du pouvoir, un monopole sur certaines denrées de première nécessité. Ayant longtemps joué un grand rôle dans l’approvisionnement du marché, cette société d’État réussissait, bon an mal an, à régulariser les prix de produits comme le riz, l’huile, le sucre, le lait, le thé… Fondées pour atténuer le choc de sa disparition, les boutiques EMEL n’ont pas réussi à combler le vide. Leurs dotations sont maigres, il faut faire la queue pour quelques kilos de riz, macaronis, un peu d’huile et elles sont souvent fermées. Leurs gérants sont fréquemment accusés de clientélisme et de complaisance. A l’intérieur du pays, des rumeurs racontent que les produits arrivés dans la journée peuvent repartir dans les véhicules des commerçants ; au détriment, bien entendu, des bénéficiaires.

Réactiver le service « Contrôle des prix »

Avec le monopole accordé à certains gros bonnets, particulièrement sous Ould Abdel Aziz, les commerçants ont fini d’étaler au grand jour leur mépris envers les citoyens de seconde zone. Toujours selon ledit grossiste à Arafat, « qui veut ou qui peut achète, tant pis pour qui ne le peut pas ». Pauvres citoyens qui n’ont personne à qui s’adresser ! En Mauritanie, l’absence d’une société civile assurée dans son fonctionnement, notamment dans la défense des consommateurs, n’a fait qu’accentuer la tyrannie des importateurs et gros producteurs locaux. Notons tout de même le communiqué de la CGTM dénonçant la présente situation. La centrale syndicale y rappelle vigoureusement au gouvernement « l’urgence de prendre ses responsabilités à garantir une vie acceptable, à défaut d’être décente, aux populations qui ont droit à bénéficier des énormes richesses de leur pays, en commençant par la satisfaction de leurs besoins fondamentaux (nourriture, eau, soins, éducation…etc.) ». Et la CGTM de réclamer « un service de contrôle des prix au détail avec toute la rigueur qu’il faut », en notant que « l’écrasante majorité des Mauritaniens vit au jour le jour, à l’achat au détail de leurs besoins quotidiens… pour ceux qui le peuvent ».

De fait, si les services de contrôle des prix n’existent pas sur le terrain, que peut faire un « comité de suivi du marché » dont les membres ne parviennent qu’à se réunir entre quatre murs et à se séparer illico presto après avoir griffonné un bout de papier ? On se rappelle le lointain passé où le « service du contrôle des prix » abattait un autrement réel et gros travail. On se rappelle également que seuls les services du ministère de la Santé eurent l’audace de fermer des pharmacies pour avoir vendu des produits périmés ou n’avoir pas respecté les prix homologués. Aujourd’hui, ce qui tient lieu de contrôle n’est connu de quasiment… personne. Comme les impôts, il cède à la tentation de l’argent des commerçants.

Quelques enseignements à ne surtout pas oublier !

On se rappelle enfin que la fermeture du passage de Gargaratt, il y a quelques mois de cela,  provoqua une flambée inégalée du prix des légumes. Pour ne citer que le citron, son kilo atteignit 100 MRU dans les marchés nouakchottois. En a-t-on médité la leçon ? Liée aux fluctuations des marchés internationaux, à la pandémie COVID et aux conséquences de la fermeture du point de passage des marchandises en provenance du Maroc, l’augmentation des prix  des denrées de base doit interpeler l’État sur l’approvisionnement du marché national en ces produits vitaux. Même si l’on ne peut pas se passer totalement des importations, la Mauritanie doit désormais se battre à couvrir seule certains de ses besoins incontournables. On note que le ministère du Développement rural semble s’y atteler. Une volonté d’accroître la production maraîchère et rizicole est affichée. Dans l’une de ses déclarations, Dy ould Zeïn, l’actuel ministre dudit département, l’affirme : « L’État est déterminé à aller de l’avant dans la mise en place d’un climat propice à la production, par le biais d’un certain nombre de mesures : revue de la situation des semences, réhabilitation des affluents d’eau, électrification des zones agricoles, désenclavement, offre et distribution équitable des équipements agricoles aux paysans, construction d’infrastructures de base du secteur… ». Mais attention donc à bien méditer les expériences du Crédit agricole et de la CDD ! Attention aussi à l’excès de com’ ! Les investissements doivent aller aux véritables producteurs, non aux belles villas et autres voitures de luxe…

 

 

 

 

 

 

Dalay Lam

 

 

 

 

 

 

Source : Le Calame (Le 10 février 2021)

 

 

 

 

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