Mauritanie : à Chami, la ruée vers l’or

Passée de 2 600 habitants en 2013 à près de 11 000 aujourd’hui, la ville de Chami est devenue « la capitale de l’or » dans le pays. Trois mille personnes y travaillent à produire jusqu’à 30 kg de métal jaune par jour.

Accroupi dans le vent et la poussière de Chami, une ville sortie des sables du désert mauritanien, Mohamed Khadir brûle avec son vieux chalumeau une petite bille de mercure. De l’autre main, il maintient son chèche sur son nez pour se protéger des émanations toxiques. Puis, soudain, au milieu des vapeurs et de la flamme bleue, l’or apparaît. L’homme contemple la bille dorée qui fait la taille d’une demi-fève. Puis il sourit. Personne ne peut rester insensible en regardant de l’or brut dans le creux de sa main. Pas même Mohamed Khadir, qui en a tenu des kilos.

La Mauritanie a la fièvre de l’or. « Je suis propriétaire d’un puits minier depuis trois mois, se félicite Sidi Brahim, 29 ans. Avant, je vendais des produits alimentaires. Des amis m’ont parlé de l’exploitation de l’or, alors je me suis lancé. J’en connais certains qui ont gagné beaucoup d’argent. » Le pays, grand comme deux fois la France et peuplé de 4 millions d’habitants, compte aujourd’hui 50 000 orpailleurs et une production artisanale annuelle d’environ 6 tonnes. Chami, située à 235 kilomètres au nord de Nouakchott, la capitale administrative, est devenue la « capitale de l’or ».

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De ses cinq sacs de minerai, Sidi Brahim va extraire ce matin 1,4 gramme du précieux métal qu’il va s’empresser de vendre au marché noir. « Aujourd’hui, c’est pas beaucoup. Ça va tout juste me permettre de rembourser le transport, déplore-t-il. Mais je reviendrai dès la semaine prochaine avec d’autres sacs. Un jour, je serai riche. »

Le site de production aurifère, surnommé « le grillage » – en référence au mercure qui est « grillé » pour libérer le précieux métal –, s’étire sur 42 hectares à l’ouest de Chami. Près de 3 000 personnes y travaillent jour et nuit. Chaque heure, des camions et des pick-up y pénètrent, chargés de sacs de terre d’une cinquantaine de kilos. Certaines viennent de Tijirit, à l’est de Chami, mais la grande majorité arrive de la mine de Tasiast, à 70 kilomètres au nord.

 

Orpailleurs artisanaux

 

Depuis une dizaine d’années, le groupe Kinross Gold Corporation y exploite un bassin minier qui a produit 11 tonnes d’or en 2019. Mais les gravats qui arrivent à Chami ne sont pas ceux de l’industrie canadienne qui possède sur place ses propres machines. La roche de Chami appartient à des milliers d’orpailleurs artisanaux qui s’éreintent en creusant et remontant les pierres des entrailles de la terre.

Ils envoient ensuite leurs cailloux et leurs espoirs à Chami où, selon les autorités, entre 300 000 et 350 000 tonnes sont déchargées chaque jour dans les 800 concasseurs du grillage. Dans ces machines qui appartiennent à des sociétés privées, la roche est broyée avec de l’eau et du mercure versé à mains nues. « On en trouve partout en ville », assure un orpailleur qui souhaite garder l’anonymat.

Un employé d’une société de concassage montre les pépites de l’un de ses clients. A Chami, en décembre 2020. Le Monde

 

Après une quarantaine de minutes de concassage, au cours de laquelle l’eau est évacuée progressivement, la roche broyée forme une pâte grisâtre. Avec un nouvel apport d’eau, une batée, et grâce à ce mouvement lent et circulaire que réalise avec minutie Mohamed Khadir, l’or va s’agglomérer au mercure et former une bille qu’il faudra brûler pour récupérer le métal précieux. Mais en quelles quantités ? Un orpailleur n’est jamais très bavard. « C’est comme au poker, il faut payer pour savoir », prévient le responsable d’une société de concassage.

En recoupant les confidences et les estimations, entre 25 et 30 kilogrammes d’or, d’une qualité allant de 22 à 23,5 carats (24 carats correspondant à l’or pur), seraient extraits quotidiennement des pierres amenées à Chami. L’or étant fondu en lingots d’un kilo, le prix à la revente oscillerait entre 1,25 et 1,5 million d’euros.

 

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Mais tout le monde n’en voit pas la couleur, à commencer par l’Etat. A l’entrée du « grillage », la Banque centrale de Mauritanie a ouvert un bureau d’achat, mais il est souvent vide. « Ici, l’or est pesé avec une machine fiable et le prix est fixé deux fois par jour par la Bourse de Londres », promet Mohamed Salem, le responsable. Quelques orpailleurs, comme Abdelkader, y viennent « pour une question de citoyenneté » et « ne prendre aucun risque avec des balances qui pourraient être défectueuses ». Mais comme le prix d’achat est moins intéressant qu’au marché noir, la plupart des chercheurs d’or préfèrent rouler les galettes dorées dans leur drâa, leur boubou maure, ou leur haouli, leur chèche, et aller voir ailleurs.

 

« Des pépites grosses comme le poing »

 

La majeure partie de l’or (on parle de 70 %) est vendue par des circuits parallèles, alimentant au passage divers trafics d’armes, de drogue, pour finir à Dakar, Bamako ou Dubaï. Mais, l’été 2020, la fermeture des frontières aériennes et terrestres à cause de la pandémie de Covid-19 a forcé les orpailleurs mauritaniens à vendre leur production à la banque centrale : les transactions officielles ont alors été multipliées par vingt.

Le risque d’une contamination de la nappe phréatique par le mercure fait peser une menace sur le Parc national du Banc d’Arguin, à une dizaine de kilomètres

A en juger par le nombre de banques et de boutiques de transfert d’argent, des fortunes se bâtissent à Chami. A partir de 2016, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre à travers les oasis et les dunes du désert mauritanien. Des rumeurs disaient que dans cette ville, située à équidistance de Nouakchott et Nouadhibou, capitale économique du pays, il y avait « des pépites grosses comme le poing », se souvient Sidi, un épicier. Depuis, c’est la ruée vers l’or et Chami est en plein essor. De 2 600 habitants en 2013, la population est estimée aujourd’hui à plus de 11 000 personnes. Une gendarmerie a été créée car on déplore quelques vols et un peu de prostitution.

Sur le plan environnemental, la situation est critique. « Les émanations de mercure à l’air libre provoquent des nausées et des maux de tête, assure un orpailleur. C’est pour cette raison que vous ne verrez quasiment aucune femme et très peu de jeunes enfants dans la ville. » Le risque d’une contamination de la nappe phréatique par le mercure est également important et fait peser une menace sur le Parc national du Banc d’Arguin, à une dizaine de kilomètres.

 

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« Une première usine de traitement des eaux fonctionne et il y en aura d’autres, assure Hamoud Ould M’Hamed, directeur général de Maaden, une structure mise en place en mars 2020 pour encadrer les exploitants artisanaux. Nous travaillons avec la coopération allemande pour que le mercure ne soit plus utilisé, mais les projets ont pris du retard à cause du Covid-19. » En termes de gestion des déchets, tout reste à faire : des centaines de milliers de bouteilles en plastique jonchent le sol de la ville.

 

Un puits au milieu du désert

 

Il n’empêche que, pour s’offrir un avenir meilleur, on vient de tout le pays et même au-delà. « Des cousins m’ont conseillé de venir à Chami et je ne le regrette pas, assure Mohamed Khadir. J’ai commencé à travailler dans le domaine de l’or à l’âge de 16 ans, chez moi, dans les environs de Khartoum. » Partout où il y a de l’or en Afrique, on croise des Soudanais. Leur savoir-faire est ancestral.

Vingt ans plus tôt, Chami n’était qu’un puits au milieu du désert. Il n’y avait aux alentours du trou que des baraquements en tôle, balayés par un vent sec et écrasés toute l’année par un soleil de plomb. A l’intérieur vivaient d’anciens nomades, souvent des chameliers ayant décidé de se sédentariser. En 2005, la construction de la route goudronnée entre Nouakchott et Nouadhibou a vu apparaître à Chami une première station essence, puis une auberge et quelques restaurants. Fin 2009, à la suite de l’enlèvement de trois humanitaires espagnols par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), près de Chami, le développement s’est accéléré.

Après avoir broyé la roche et l’avoir mélangée avec de l’eau et du mercure, les orpailleurs obtiennent une pâte. Par un procédé de tamissage, ils récupèrent une bille de mercure contenant l’or. A Chami, en décembre 2020. Le Monde

 

« Pour combler un vide sur le plan sécuritaire et développer des services de renseignement, les autorités ont créé cette ville et lancé plusieurs projets », explique Mohamed Mahmoud Ould Jaafar, directeur général d’Iskan, la société nationale d’aménagement de terrain et de développement de l’habitat. L’Etat a construit un quartier résidentiel avec des logements, des services de santé, des mosquées. Il a aussi ouvert un site d’artillerie de la gendarmerie et une usine d’habillement militaire pour accroître l’attractivité de la ville, où les prix des logements et des restaurants sont devenus aussi élevés qu’à Nouakchott.

La soif de l’or se propage aujourd’hui dans toute la Mauritanie. Fin décembre, un convoi de deux mille véhicules d’orpailleurs a quitté la capitale pour prospecter dans la région de Chagatt, près d’une région instable à cause des tensions qui persistent entre le Maroc et le Sahara occidental et soumise à de nombreux trafics dans le nord du pays. L’eldorado se mérite. Selon plusieurs médias mauritaniens, certains orpailleurs auraient été accueillis par des tirs de sommation de l’armée marocaine.

 

 

 

Pierre Lepidi

envoyé spécial à Chami, Mauritanie

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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