En pleine pandémie, l’Union africaine met la culture à l’honneur

Le 34e sommet de l’Union africaine, qui se tient ce week-end à Addis-Abeba, a choisi la culture et le patrimoine comme thème général. De quoi susciter une certaine perplexité dans le monde culturel africain, qui se sent souvent négligé.

« Arts, culture et patrimoine : un levier pour construire l’Afrique que nous voulons. » En pleine pandémie de Covid-19 et après « Faire taire les armes » en 2020, le grand thème choisi pour le sommet annuel des chefs d’État et de gouvernement qui a lieu samedi et dimanche dans la capitale éthiopienne a de quoi surprendre. Bien sûr la réponse sanitaire face au coronavirus et les différents conflits en cours devrait figurer en bonne place au programme des discussions, mais le président de la commission de l’Union africaine a voulu mettre l’accent sur ce qu’il considère, comme il l’a déclaré lors de la 38e session du Conseil exécutif de l’institution cette semaine, comme le « principal marqueur de l’identité » : la culture.

Mieux, l’UA explique dans un communiqué que le patrimoine culturel sera « sera pour les douze prochains mois au centre des discussions dans la plupart des événements organisés par l’UA ».

 

« Les slogans ne suffisent plus »

 

Une annonce qui laisse Marie-Cécile Zinsou dubitative. L’historienne de l’art, qui a fondé il y a seize ans la Fondation Zinsou afin de favoriser l’accès à l’art contemporain au Bénin, s’interroge sur la portée réelle de ce thème, alors que « l’UA n’a aucune action visible » dans ce domaine, estime-t-elle. Quant à l’écrivain congolais Boniface Mongo-Mboussa, il enrage carrément. Pour l’auteur de Désir d’Afrique, « ce sont des mots qui sonnent creux. S’ils œuvraient pour la culture, ça se saurait depuis le temps ! À partir du moment où les États n’ont pas de politique culturelle, je ne vois pas pourquoi l’Union africaine, qui est constituée des chefs d’État du continent, en aurait ! »

Dans son communiqué, l’institution rappelle pourtant que la culture est inscrite dans les priorités de l’UA depuis sa naissance, dès la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963.

L’économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr se veut plus optimiste. « Ces questions sont toujours reléguées au second plan derrière les questions économiques et géopolitiques. Tout en étant conscient des limites de la grande machine administrative qu’est l’Union africaine, je pense qu’il faut saluer le fait qu’ils aient trouvé que la culture et le patrimoine étaient des sujets assez sérieux pour être au programme du sommet. Et si les gens peuvent contribuer à ce qu’ils aient les bonnes idées, les bons contenus, à ce qu’ils aient une vision intéressante, il faut le faire », estime-t-il.

Sur la question du patrimoine, le coauteur de Restituer le patrimoine africain se félicite de l’avancée du processus, aussi modeste soit-elle : « Il y a des tout petits pas avec les restitutions annoncées au Bénin, au Sénégal, à Madagascar. Quelque chose est en mouvement, sept pays ont fait des demandes officielles de restitutions et le débat a essaimé en Europe, en Afrique et jusqu’en Asie. »

 

« Le terrain crie partout »

 

Parmi les personnalités de la culture interrogées, beaucoup fustigent un « énième débat autour de la culture, levier de développement en Afrique » voué à demeurer sans effet. « On sait qu’il y a besoin de la culture pour permettre à l’Afrique de se réconcilier avec elle-même et avec les autres et de participer à la marche du monde. Les artistes le disent, mais ils ne sont pas entendus », explique le directeur du festival les Récréatrales à Ouagadougou, qui a pu se tenir en octobre. « Une bouffée d’oxygène » en pleine épidémie de Covid-19. Aristide Tarnagda raconte pourtant les efforts déployés à chaque édition pour éviter la disparition du festival, faute de financement. « On nous répond qu’il n’y a pas les moyens, la priorité est toujours ailleurs. Pourtant le festival fait un travail énorme auprès des jeunes. Il leur donne du sens, et on a besoin d’une jeunesse qui soit fière, qui puisse se projeter », souligne le metteur en scène pour qui « les slogans ne suffisent plus : maintenant il est temps de mettre en place des mécanismes concrets pour soutenir le milieu artistique. Autrement dit des subventions, comme ailleurs, pour pouvoir garantir l’existence d’événements ou de lieux culturels qui se battent pour survivre depuis des années. »

« Le terrain crie partout, renchérit Koyo Kouah. La directrice exécutive du plus important musée d’art contemporain africain, le Zeitz MOCAA au Cap en Afrique du Sud, pourtant l’un des pays les plus dynamiques du continent culturellement, ne place aucun espoir dans l’initiative de l’Union africaine. Nos pays ont beaucoup de mal à saisir l’ampleur de la contribution artistique et intellectuelle, même s’il y a beaucoup ici et là, en Afrique du Sud bien sûr, mais aussi au Sénégal, au Mali, au Maroc, au Kenya, en Égypte ou bien sûr au Nigeria. »

L’argent, le nerf de la guerre dans la culture comme ailleurs, vient souvent de l’extérieur, regrettent les acteurs du secteurs : de l’Union européenne ou des Institut français ou Goethe. « C’est très bien, mais on ne peut pas confier notre part de rêve et d’imagination aux autres, se désole Aristide Tarnagda. C’est dangereux. »

 

Une lettre ouverte pour passer des paroles aux actes

 

L’écrivain tchadien Nocky Djedanoum a préféré prendre au mot l’Union africaine, saisissant l’occasion pour publier sur Facebook une « lettre ouverte » aux dirigeants africains dans laquelle il se félicite que l’UA se soit emparé du thème de la culture, « parent pauvre des priorités gouvernementales ». Considérant que l’organisation panafricaine a un rôle important à jouer dans le soutien de la culture, en sensibilisant les États africains à ce que la culture peut apporter à l’Afrique économique, il l’exhorte à « avoir l’audace de passer des paroles aux actes ». En commençant notamment par donner une place dans son organigramme à la culture « noyée dans le département des Affaires sociales » au milieu de la santé, du travail, de la migration, de la prévention du crime, etc.

Aujourd’hui encore, dans les textes, la culture semble en bonne place dans l’Agenda 2063, qui fixe les orientations stratégiques pour l’avenir de l’UA, note Nocky Djedanoum dans sa publication. L’« Aspiration 5 » promeut « une Afrique dotée d’une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, de valeurs et d’une éthique partagées. » Avec comme projet phare, « un grand musée de l’Afrique » qui doit voir le jour en 2023 à Alger. « Une belle vitrine pour l’Afrique, qui permettra de montrer la diversité de nos patrimoines, se réjouit l’écrivain. Sauf que l’Afrique, c’est 54 pays, rappelle-t-il. Et si on a un grand musée en Algérie, mais qu’au Tchad, chez moi, ou au Zimbabwe, on n’a pas de musée digne de ce nom, comment on fait ? »

Le président du Fest’Africa Toumaï en appelle également aux « fortunés et philanthropes d’Afrique », tel que l’homme d’affaires nigérian Aliko Dangote, qu’il voudrait intéresser à la culture.

« Cela fait plus de 30 ans que j’ai créé l’ONG Linga Tere et que je travaille à former de jeunes artistes en Centrafrique, explique le metteur en scène Vincent Mambachaka, qui s’est associé à cette lettre ouverte. Mais le constat c’est que quand on parle de culture en Afrique, à quelques pays près, les politiques ne voient que l’aspect totalement traditionnel, folklorique et que le rôle de la culture comme facteur d’émancipation ou en tant que secteur économique n’est pas pris en compte. C’est pour cela qu’il n’y a souvent pas de réelle politique culturelle. Pourtant, si on y met plus de moyens, la culture peut devenir un secteur pourvoyeur d’emplois pour les jeunes et participer à développer d’autres secteurs, comme le tourisme par exemple. Mais pour cela, il faut accompagner les artistes et structurer le secteur : avec des lieux de formation, des administrateurs, des gestionnaires de lieux culturels, des techniciens, tout l’écosystème autour de la culture. »

La chanteuse malienne Rokia Traoré, qui a également relayé cette lettre ouverte, estime qu’il y a urgence à agir : « Nous sommes conscients de toutes les difficultés mais il est temps que la culture ne soit plus vue, même pas comme un luxe, mais comme une folie, car c’est une énorme erreur », insiste-t-elle. Pour l’auteure-compositrice à l’origine de la Fondation Passerelle, qui aide la jeune création musicale et artistique au Mali, « nous avons investir personnellement, mais nous ne pouvons remplacer les États ». Pour elle, en l’absence d’une industrie musicale structurée sur le continent, c’est tout une culture qui est menacée.

Après des années passées à échanger avec des artistes sur tout le continent, à s’entre-soutenir, la chanteuse pense que le moment est venu de « passer à la vitesse supérieure pour aller vers quelque chose de plus officiel »… S’unir pour essayer de peser dans le débat. Et pourquoi pas à l’occasion de cette année placée sous le signe de la culture ?

Aurore Lartigue

Source : RFI

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