C’est une histoire de femmes.. / Par Mamadou Sakho

Soudain un cri déchirant qui évoque la première douleur du monde; un cri expulsé de la bouche d’une innocente qui se demande ce qui lui arrive. Ce cri qui traverse les portes des salles à eaux, se poursuit dans la cour, se fixe et disparait pour revenir un autre jour dans une autre maison et dans un autre pays, le plus souvent africain.

Ce cri, nous ne l’entendons pas, il ne nous concerne pas. Nous sommes des hommes avec nos virilités géographiques. Mais ce cri est celui d’une fillette africaine qui vient de recevoir sa première leçon de féminité.

Tous les pays africains, sur du beau papier, interdisent la pratique de l’excision , mais presque dans tous les pays africains l’excision est pratiquée. Les gouvernants ont peur de s’y attaquer et de dire clairement que l’excision est un crime; et c’en est un ! Ils ont peur des réactions de leurs marabouts et des tenants d’une tradition dont ils ignorent l’origine.

A ce jour, aucun érudit n’est venu nous donner une justification rationnelle ou même religieuse de cette pratique qui nous renvoie à l’obscurité du monde. Et il m’étonnerait que dans les temps immémoriaux des femmes se soient réunies pour s’infliger une telle barbarie. Ce sont certainement des hommes, sûrs de leur pouvoir, qui en ont pris la décision.

Les justifications et les raisons pour lesquelles cette pratique est indispensable, on les trouve plus tard. Car ce que d’aucuns aiment à appeler une tradition, je l’appelle une barbarie, et c’en est une ! Nous savons aujourd’hui que l’excision a, tôt ou tard, des conséquences néfastes sur la femme que sera devenue cette fillette qui se rompait les cordes vocales à force de cris. On nous dit souvent que cette « chose » n’est pas une affaire d’hommes.

Mais la fillette, à qui on inflige cette douleur, qu’on ampute dans le secret est ma fille, elle est ma nièce, elle est ma cousine. Et il est de mon devoir de veiller sur son intégrité physique et morale. Elle est venue au monde entière et elle doit naviguer entière dans son futur et repartir entière !

Je suis Soninké, et les Soninké qualifie l’excision de « Sunnandé », ce qui veut littéralement dire  » la faire entrer dans la Sunna. Or il se trouve qu’aucun Livre saint n’évoque la pratique de l’excision. Le pays d’où nous est venu l’ Islam ne le pratique pas.

Alors il est quand même temps de se poser des questions sur une pratique qui repose sur rien. vraiment rien du tout ! L’autre explication, c’est celle de la tradition. La tradition est misogyne, sexiste et très phallocratique. Elle conjugue tout au masculin.

Mais une tradition ne doit pas être figée, elle doit se régénérer en puissant dans les nouvelles connaissances offertes par la science. Une tradition qui se réfère éternellement, et pour tout, aux ancêtres ne peut produire que des traditionalistes. C’est à dire des aveugles qui ne sont pas au courant de l’évolution du monde.

J’en parlais avec un de mes cousins. Je lui expliquais que même le Docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, dit que l’excision est une torture infligée aux femmes. Il m’a regardé longuement, a sorti son portable, composé un numéro. Et avant que son correspondant ne décroche, il a eu le temps de me dire en bon Soninké: « C’est ainsi que nos ancêtres faisaient. » Je n’ai pas pris la peine de lui rappeler que son grand-père n’a jamais eu de portable. » J’en ris encore !

Mamadou Sakho

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