Travailler en Mauritanie et y vivre avec sa famille, avoir droit aux soins, à l’état-civil, à l’éducation de ses enfants…Des droits reconnus en principe aux étrangers vivant en Mauritanie par la législation nationale et les conventions ratifiées, notamment la Convention 143 de 1975 sur les travailleurs migrants. Mais qu’en est-il réellement des droits des migrants en Mauritanie ? Une étude récente vient l’étayer. Ses résultats ont été restitués jeudi 4 février 2021 à Nouakchott, sous l’égide du Ministère du Travail avec l’appui du Bureau International du Travail (BIT), à travers le Projet d’Appui à la Migration Equitable au Maghreb (AMEM) et le financement de l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement.
« L’atelier qui nous réunit est le fruit d’un consensus en vue de faire ressortir des recommandations essentielles dans l’application de la Convention 143 relative aux droits des migrants. L’amélioration continue des conditions des travailleurs étrangers exerçant leurs activités en Mauritanie est une priorité essentielle pour le gouvernement ». C’est en ces termes que le Ministre de la Fonction Publique, du Travail et de la Modernisation de l’Administration, Dr. Camara Saloum Mohamed, a ouvert jeudi 4 février 2021 à Nouakchott, les travaux de l’atelier de restitution des résultats de l’étude « Etat des lieux de la législation nationale et les implications législatives de la ratification de la Convention 143 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaire) de 1975 par la Mauritanie ».
Les travailleurs migrants au cœur du partenariat BIT-Gouvernement
Selon le ministre de la Fonction Publique, « le flux migratoire de plus en plus important qu’a connu notre pays, qui est à la fois un pays de passage et un pays d’accueil, renforce notre conviction à doter notre législation d’un arsenal juridique cohérent, efficient et prometteur de droits ». C’est dans ce cadre, souligne-t-il en substance, que la Mauritanie a ratifié la Convention 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants. Poursuivant sur sa lancée, il a ajouté que cette vision cadre avec les engagements électoraux du président Ghazouani pour la période 2019-2024 et que le gouvernement du Premier ministre Mohamed Ould Bilal est en train de mettre en œuvre. « Ce programme vise la réforme de la législation en vue de renforcer les acquis et asseoir les bases d’une amélioration des conditions de vie des travailleurs étrangers en Mauritanie » a-t-il déclaré.
Auparavant, M. Federico Barroeta, Point Focal du BIT en Mauritanie, avait rappelé que comme partout ailleurs, « la problématique de l’emploi croise celle de la migration » et que « la Mauritanie porte légitimement une attention particulière à la gouvernance de la migration ». Il s’est félicité des efforts déployés depuis ces dix dernières années par le gouvernement mauritanien. Celui-ci a su, selon lui, « renforcer ses cadres de gouvernance et ses moyens d’intervention en matière migratoire ». Il a cité dans ce cadre l’adoption d’une Stratégie nationale de gestion de la migration, dont la révision est en cours depuis 2019 avec l’appui du Réseau des Nations Unies pour les migrations en Mauritanie.
M. Barroeta a également rappelé que la Mauritanie a ratifié la Convention 143 en 2019. Une grande avancée aux yeux du Bureau de l’OIT à Alger pour le Maghreb, lequel serait prêt selon lui, à offrir son appui technique. Cela, dans le but d’engager en Mauritanie des réformes législatives suite à la ratification de cette convention, entrée en vigueur depuis septembre 2020. Evoquant le contexte particulier de la pandémie Covid-19, M. Barroeta a mis en exergue ses répercussions sur les travailleurs migrants « en tant que groupe vulnérable », d’où la pertinence selon lui, de l’approche adoptée par le gouvernement mauritanien.
Une législation idéale sur la migration en Mauritanie
Les participants ont suivi une présentation faite par le consultant Mohameden Moctar Fall sur l’état des lieux de la législation nationale par rapport aux dispositions de la Convention 143.
Le consultant Fall – Crédit Aidara
Il a d’emblée rappelé que « la Mauritanie est partie à des instruments juridiques de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) protégeant les travailleurs migrants et les membres de leur famille ». Il a énuméré dans ce cadre les textes régionaux régissant les conditions de travailleurs migrants, ceux de l’Union africaine, de la Ligue Arabe, de l’Organisation de la Conférence Islamique, de l’Union du Maghreb Arabe, ainsi que les conventions bilatérales. Il a aussi cité les instruments juridiques nationaux, tels que la Constitution qui admet selon lui un principe majeur de droit, l’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne.
Il a évoqué ainsi les conditions d’admission, de séjour et d’expulsion des travailleurs migrants et des membres de leur famille, régulées par le décret de 1965 modifié en 2012 portant régime de l’immigration en Mauritanie. Mais aussi, les instruments régissant les entrées particulières et le droit d’asile conformément aux dispositions de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et repris au niveau national dans le décret de 2005. Il a également rappelé la loi 2020-017 relative à la prévention et à la répression de la traite des personnes et la protection des victimes.
Sur les conditions de recrutement, le consultant a souligné que « le droit mauritanien institue le principe de non-discrimination au travail », avec l’article 387 du Code du Travail qui pose les principes du libre accès à l’emploi. Seulement, a-t-il précisé, « les étrangers qui désirent occuper en Mauritanie un emploi salarié de quelque nature que ce soit doivent obtenir au préalable un permis de travail ». La législation mauritanienne garantit selon le consultant, à compétences égales, les mêmes salaires et traitement à tous les travailleurs nonobstant leur statut (Article 191 du Code du Travail).
Les étrangers peuvent aussi se faire syndiquer et même accéder aux fonctions de direction ou d’administration d’un syndicat à condition qu’ils aient exercé en Mauritanie au moins pendant cinq années dans l’activité syndicale. Ils peuvent aussi créer des sociétés commerciales selon certaines conditions définies par l’article 13 du Code du Commerce.
Des règles existent aussi, selon lui, pour l’accès des travailleurs migrants à la protection sociale, à un compte bancaire et au transfert d’économie selon des règles établies par la Banque centrale de Mauritanie (circulaire n°23 de 1995).
L’accès à la justice, et même à l’aide judiciaire est aussi garanti aux étrangers résidents en Mauritanie. La loi mauritanienne garantit aussi la spécificité pour le statut personnel des étrangers qui dérogent ainsi à la loi mauritanienne régie par la Charia. Ainsi, les étrangers qui se marient sur le sol mauritanien sont exempts du « tutorat ». La loi mauritanienne relative au statut personnel n’est applicable aux époux que si l’un d’eux est mauritanien au moment de la conclusion du mariage.
Lacunes et faiblesses de la législation nationale sur la migration
Mohameden Moctar Fall a fait ressortir les lacunes et les faiblesses de la législation nationale dans le domaine de la migration, tant au niveau institutionnel que normatif.
Photo de famille des participants – Crédit Aidara
Sur le plan institutionnel, il a cité la multiplicité des acteurs, les insuffisances de la politique migratoire, la faible professionnalisation des autorités en charge de la migration, la faible implication de la société civile, des données et statistiques non intégrées et non cohérentes.
Sur le plan normatif, il relève un régime juridique de l’immigration inadapté, un droit non conforme à la Constitution, un droit figé et désuet, un droit qui consacre plus les pouvoirs de l’administration que les droits des étrangers souhaitant s’installer et exercer des activités, des sanctions administratives insuffisamment encadrées par le droit, l’inefficacité du droit à l’assistance d’un interprète, le droit à un statut personnel difficile à mettre en œuvre, un accès au droit limité, des restrictions au droit au compte bancaire.
Mettre en place une Cellule chargée de la migration
Après le diagnostic exhaustif sur les instruments juridiques relatifs aux travailleurs migrants en Mauritanie et les lacunes et faiblesses relevées dans leur application, le consultant a dégagé un certain nombre de recommandations qui ont été largement enrichis par les participants.
Parmi les recommandations générales, il a évoqué la révision en cours de la Stratégie nationale de gestion de la migration devenue obsolète dix ans après sa mise en œuvre. Cette révision est menée depuis 2019 avec l’appui du Réseau des Nations Unies sur les Migrations en Mauritanie, dont l’OIT est membre, sous l’égide de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM).
Le consultant a également émis comme recommandation, le renforcement des capacités des services de collecte et d’information sur la mesure de la migration, l’organisation de campagnes d’information et de communication sur la migration et la protection des migrants, l’organisation d’un retour durable de la diaspora mauritanienne.
Il a aussi dressé des recommandations destinées à la société civile, soulignant que devant la complexité de la question migratoire en Mauritanie, et dans un contexte fortement marqué par le terrorisme et le crime organisé, « la gestion de la migration doit se faire dans un cadre de concertation et de coordination entre les acteurs institutionnels et la société civile ».
Sur le plan institutionnel, il a recommandé la mise en place d’une institution de coordination efficace chargée spécifiquement des questions migratoires. Il a aussi formulé comme recommandation, l’accroissement des moyens matériels, financiers et humains ainsi que le renforcement de capacités des structures gouvernementales chargées du respect de la règlementation en vigueur sur la migration.
Parmi les recommandations, celle relative à la protection des droits humains des travailleurs migrants et des membres de leur famille contre toute sorte de violence, l’instruction aux agents de l’état-civil de ne pas entraver la célébration d’un mariage ou l’enregistrement d’une naissance fondée sur le seul motif de la nationalité étrangère du demandeur. Ce que le consultant trouve d’illégal. Il recommande ainsi d’adopter une circulaire fixant les procédures pour l’enregistrement de tous les actes d’état-civil des travailleurs migrants.
D’autres recommandations ont été aussi formulées lors des échanges et débats avec les participants. Avaient pris part à la rencontre, plusieurs cadres du Ministère du Travail, dont le Directeur général du Travail, Cheikh Sidya Hamoud, le Coordinateur du Projet AMEM, Sy Samba, le Coordinateur du projet MAP 16, Aboubakry Dieng, des représentants du Ministère des Affaires Sociales, de l’Office National des Statistiques, de l’Agence « Tech Ghil » ex-ANAPEJ (agence nationale de promotion de l’emploi des jeunes), des syndicats des travailleurs et du Patronat, de représentants du HCR, de l’OIM, et de la Représentante adjointe du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Mme Rania Al-Ragly.
Cheikh Aïdara
Source : Thaqafa
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