Demandeurs d’asile : le gouvernement veut desserrer la pression sur l’Ile-de-France

Un nouveau schéma national d’accueil prévoit notamment le transfert d’exilés de la région parisienne au reste du territoire, alors que l’Ile-de-France concentre 50 % des demandes d’asile.

La reconstitution inlassable de campements de migrants dans l’espace public francilien jette chaque fois une lumière un peu plus crue sur les dysfonctionnements du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile. Alors que l’Ile-de-France connaît, depuis 2015, un niveau de tension élevé, le gouvernement va mettre en place, à partir de janvier 2021, un nouveau schéma national d’accueil devant desserrer la pression sur ce territoire, la région concentrant 50 % de la demande d’asile, pour seulement 19 % des places d’hébergement.

Le 18 décembre, Marlène Schiappa, la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur chargée de la citoyenneté, a annoncé la mise en œuvre d’un système d’orientation systématique des demandeurs d’asile franciliens vers des régions moins chargées, avec des objectifs chiffrés. Parallèlement, 4 500 places d’hébergement doivent être créées à compter du deuxième trimestre de 2021.

A ce jour, le dispositif national d’accueil (DNA) compte 107 000 places. Alors même que ce chiffre a plus que doublé depuis 2012 – on en recensait 45 000 –, seul un demandeur d’asile sur deux est pris en charge par le dispositif le temps de sa procédure. En Ile-de-France, la situation est plus critique encore : seuls 30 % d’entre eux sont hébergés. Pour toutes les personnes qui se retrouvent de fait exclues des structures de prise en charge, se tourner vers l’hébergement d’urgence de droit commun est bien souvent vain, le 115 étant également saturé.

 

« Sortir de cette logique d’urgence »

 

Bilan : les camps de migrants se reforment les uns après les autres. Dernier exemple en date, à Saint-Denis, près de 3 000 personnes ont vivoté dans des conditions sanitaires dramatiques, pendant plus de trois mois, entre le début du mois d’août et le 17 novembre, jour de l’opération d’évacuation du camp. D’après les premiers recensements effectués par la préfecture de région – les chiffres ne sont pas définitifs –, au moins 33 % des personnes mises à l’abri se sont déclarées en cours de procédure de demande d’asile. Elles devraient, en principe, bénéficier d’une prise en charge dans les structures d’hébergement.

Le gouvernement entend aussi jouer sur d’autres leviers, comme l’accélération de l’examen des procédures de demande d’asile

Ces derniers mois, des orientations de l’Ile-de-France vers d’autres régions avaient déjà eu lieu. En novembre et décembre, après l’opération de mise à l’abri des personnes migrantes évacuées à Saint-Denis, on comptait 160 transferts en province par semaine. « Jusqu’à maintenant, ces orientations se faisaient de façon hebdomadaire, au coup par coup et dans l’urgence. Souvent, l’orientation arrivait bien loin dans le parcours de demande d’asile. On va sortir de cette logique d’urgence. L’idée est d’arriver à un système où dès qu’un demandeur d’asile s’enregistre dans une région excédentaire, on lui propose de rejoindre une région qui dispose de capacités d’accueil suffisantes », explique-t-on au ministère de l’intérieur. En cas de refus, des fins de prise en charge – notamment le droit à un petit pécule – pourraient être décidées. Ce sera par exemple le cas si le demandeur d’asile ne rejoint pas le lieu d’hébergement prévu dans un délai de cinq jours.

Au premier trimestre 2021, une première phase de mise en œuvre doit avoir lieu, avec l’orientation de 1 000 personnes par mois de l’Ile-de-France vers le reste du territoire. Malgré la création de 4 500 places d’hébergement, les marges de manœuvre semblent limitées : le taux d’occupation du DNA est de 98 % pour l’ensemble du pays. « Ce chiffre est une moyenne nationale, les capacités des régions sont plus hétérogènes », répond-on côté ministère de l’intérieur. Le gouvernement entend jouer sur d’autres leviers – comme l’accélération de l’examen des procédures de demandes d’asile – pour aboutir à des sorties plus rapides des hébergements et libérer des places.

« Il faut accélérer la répartition en région. Pour autant, le besoin de mise à l’abri en Ile-de-France reste réel. On appelle à la généralisation des mises à l’abri au fil de l’eau, sans attendre que les camps grossissent de façon démesurée, comme à Saint-Denis », rapporte Delphine Rouilleault, la directrice de France terre d’asile.

 

Des personnes exclues des dispositifs

 

Pour les associations, la responsabilité de la situation en Ile-de-France tient à l’exclusion de certaines catégories de migrants des dispositifs de prise en charge. Un rapport réalisé par le Secours catholique, Utopia 56 et Action contre la faim établit qu’après les démantèlements de campements en région parisienne, « 75 % des personnes ayant bénéficié d’un hébergement ont dû le quitter car elles ont été remises à la rue ». Certaines personnes placées en procédure accélérée ou en procédure Dublin (selon le règlement Dublin, une personne doit demander l’asile dans le premier pays de l’UE où elle a été enregistrée) peuvent être exclues des dispositifs.

En outre, « les personnes qui ont un parcours de demande d’asile haché peuvent se retrouver écartées de l’accès au DNA. Une fois qu’on est sorti du circuit, c’est très difficile d’y retourner », précise Mme Rouilleaut.

« Il faut une politique d’hébergement et d’accueil qui soit digne et inconditionnelle », estime Corinne Torre, de Médecins sans frontières. L’adjoint à la Mairie de Paris chargé de la protection des réfugiés, Ian Brossat, explique que la municipalité serait prête à remettre à disposition un lieu d’accueil inconditionnel, comme l’était l’ancien centre humanitaire installé à la Chapelle, fermé depuis.

Didier Leschi, le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, note comme difficulté principale pour les autorités la présence indue de réfugiés dans le DNA ; plus de 10 % des bénéficiaires ont obtenu la protection internationale et dépendent désormais de l’hébergement d’urgence de droit commun. Un autre point de tension tient aux « dublinés ». « On est devenu le pays de recours des perdants du système européen. En France, la demande d’asile continue d’augmenter alors qu’elle baisse dans le reste de l’Europe. »

Dans une tribune publiée le 23 décembre sur le site du Monde, plus de 130 élus locaux d’Ile-de-France ont, eux, réclamé la création de 20 000 places d’hébergement ainsi que des mesures d’urgence, dont la réunion d’une conférence régionale de l’accueil sous l’autorité du préfet de région. Ils demandent « l’élaboration d’un plan de création de places réparties de manière équilibrée à l’échelle francilienne, et une stratégie collective de résorption des campements et squats dans le respect de la dignité des personnes ». Cette grande concertation est également réclamée par plusieurs associations comme Médecins du monde et Médecins sans frontières.

Juliette Bénézit

Source : Le Monde

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