Au rythme où vont les taux de contaminations et d’hospitalisation ne risque-t-on pas une saturation de nos structures de santé ? Certains spécialistes l’avouent en off. C’est dire combien nous devons nous inquiéter et surtout nous interroger sur la façon dont avons géré les moyens et équipements octroyés par nos partenaires comme la Chine et les bonnes volontés mauritaniennes.
Après l’annonce présidentielle de la mise en place d’un fonds de riposte COVID 19 de 24 milliards d’anciennes ouguiyas, pas un jour ne passe sans que la télévision mauritanienne ne nous montre, à travers des images et discours, des dons en matériel et en nourriture. La Primature et les ministères des Affaires sociales et de l’Intérieur ont, chacun en son domaine, réceptionné des aides. Ce fut une belle compétition, pour ne pas dire formidable émulation entre nos hommes d’affaires, nos cadres et nos autres commerçants.
Au plus fort de la pandémie, on a eu comme l’impression que les kits alimentaires constituaient une priorité au détriment des équipements médicaux. Des tonnes de matériels ont ainsi atterri à Nouakchott mais les populations, victimes collatérales de la COVID, suite à la fermeture des marchés, l’instauration du couvre-feu, de l’interdiction de circuler entre les différentes régions et les frontières, n’ont en réalité que peu profité de cette générosité. Certains n’ont pas hésité à dénoncer la manière dont les vivres et autres cashs ont été attribués. La grogne est montée jusqu’au sein de l’Hémicycle.
On a pensé que quelques kilos de vivres suffiraient à garder les populations à la maison et donc leur éviter de croiser le virus. Mais il en faut plus, parce qu’elles sont obligées de courir toute la journée pour trouver de quoi chauffer la marmite et couvrir diverses autres charges. De nombreuses petites et moyennes entreprises ont renvoyé leur personnel à la maison… parfois avec des lettres de remerciements.
Déficit de ressources humaines qualifiées ?
Comme quasiment tous les pays du Monde, la Mauritanie a été prise au dépourvu par la pandémie. Non seulement elle manquait d’équipements : test, respirateurs, combinaisons, lits… ; mais, plus grave, elle accusait un déficit en personnel qualifié: épidémiologistes, cardiologues, réanimateurs, radiologues, urgentistes, pneumologues, neurologues et neurochirurgiens, gastroentérologues, pharmaciens, spécialistes en vaccination et en pandémie capables de prendre en main la situation (accueil, prise en charge et traitement)…Les meilleurs d’entre eux ont choisi de travailler hors du pays ou d’ouvrir leur propre structure. Ceux qui officient dans les structures publiques sont oubliés : un spécialiste consulte une seule fois par semaine, d’autres affectés à l’intérieur refusent de rejoindre leur poste…
Au vu de ce qui se passe dans les structures de santé, on se rend compte que la Mauritanie ne manque pas de médecins spécialistes, surtout depuis qu’on a fondé une Faculté de médecine à Nouakchott. Celle-ci ressemble fort à une unité industrielle de production au point qu’on a des médecins-chômeurs qui manifestent régulièrement devant le ministère de la Santé pour demander leur intégration. Entre 2009 et 2019, le nombre de spécialistes est passé de 165 à 362 et, en ce qui concerne les généralistes, de 479 à 768.
Autre fait marquant, nombre de nos médecins sont devenus en un clic professeurs agrégés et se targuent presque tous de donner des cours en vacataires à nos futurs docteurs. Ailleurs, il faut suer son pantalon et sa cervelle pendant presque deux décennies pour obtenir le titre de professeur. Cela dit, nous ne devrions donc théoriquement pas manquer de médecins et de grands spécialistes. Avant la fondation de la Faculté de médecine de Nouakchott, beaucoup de fils-à-papa obtenaient des bourses pour se former à l’extérieur, mais nous nous sommes rendus compte à l’évidence, grâce au COVID, que bon nombre de ceux qui portent aujourd’hui des blouses blanches dans nos hôpitaux, bureaux et cliniques sont très peu outillés et trop limités, ce qui n’a hélas pas empêché certains d’entre eux de courir s’incruster dans les unités COVID pour profiter au maximum des retombées financières. Car le ministère avait prévu des primes alléchantes pour le personnel impliqué dans la lutte contre la pandémie…Depuis et selon diverses sources concordantes, plusieurs médecins, en particuliers des résidents et contractuels, ont fini par abandonner leur poste. Le COVID a semé la trouille…
Avec la seconde vague, on continue à apprendre : nos gouvernants et nos responsables de santé privilégient beaucoup plus la communication que la prise en charge des patients. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la télévision publique : nos responsables y défilent à nous informer que « toutes les mesures sont prises pour maîtriser la situation »… alors que les taux de contaminations et de morts refusent de dégringoler.
De l’oxygène pour respirer
Avec ces cas critiques, parfois mortels, on apprend, de l’intérieur du système, le déficit en oxygène médical et l’opacité inquiétante dans l’approvisionnement de ce produit indispensable à la réanimation des malades. Selon un médecin, ce gaz devrait provenir de la CAMEC, centrale spécialisée dans la fourniture de médicaments et consommables, mais il est hélas fourni par des privés suspectés, par plusieurs médecins, de ne pas respecter les cahiers de charges. D’où une polémique au niveau du département qui a vite réagi en affirmant qu’il dispose d’oxygène en quantité et qualité suffisantes.
Quoiqu’il en soit, ce qui est aujourd’hui à déplorer, c’est qu’en dépit des moyens et équipements obtenus lors de la première phase de la pandémie, nos structures de santé peinent toujours à remplir totalement leur mission et hésitent sur les tests PCR : d’abord payants puis gratuits. Des décisions qui sèment le doute sur le travail des autorités. Pendant qu’on s’interroge encore sur les conséquences de la seconde vague, l’agence Taazour annonce qu’elle va distribuer4,7 milliards d’anciennes ouguiyas, soit 12,2 millions de dollars, à deux cent dix mille familles pauvres, afin de les aider à faire face au coronavirus : qui vivra verra…
Couvre-feu mal compris
Avec le retour en force du COVID19, les autorités ont décidé de fermer les établissements scolaires et universitaires alors que dans les autres pays, excepté le Mali, les écoliers poursuivent leurs cours en respectant un strict protocole sanitaire. Elles ont ensuite instauré un couvre-feu de 18 à6h du matin et interdit la grande prière du vendredi… sans pour autant fermer les grands centres de commerce ni mettre de l’ordre dans le transport urbain et interurbain. Bon nombre de citoyens ne comprennent pas ces mesures. En dehors de la grande prière du vendredi, les fidèles continuent à se masser dans les mosquées.
S’agissant du couvre-feu, on s’interroge sur son efficacité contre la transmission du virus. Dans certains de nos quartiers, les citoyens continuent à circuler à pied ou en voiture jusque tard dans la nuit. Qui pour aller à la boutique, qui pour rendre visite à des amis… au nez et à la barbe des forces de l’ordre. Se seraient-elles lassées après des mois de consigne ?
Tevragh Zeïna, notre cluster national ?
Les Mauritaniens, surtout ceux de Nouakchott, ne cessent de se poser la question de savoir pourquoi le quartier chic de Tevragh-Zeïna ravit chaque soir la première place dans le classement des quartiers ayant totalisé le plus grand nombre de contaminations. Serait-ce que ces nantis ne respectent pas les mesures-barrières, sortent dans les restaurants, auberges et cafés, voire hôtels ? Trop libres d’organiser de somptueux mariages et autres cérémonies mondaines ? De voyager ou de recevoir leurs proches venus de l’étranger sans aucun contrôle sérieux ?Les autorités – qui y habitent presque toutes – sont interpelées sur ce quartier qui ressemble fort à un cluster…
Dalay Lam