Le « deal » de Donald Trump entre le Maroc et Israël

Le président américain « reconnaît » la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de l’engagement de Rabat à « reprendre » ses relations avec Israël.

Le Maroc à son tour bascule. L’activisme diplomatique de Donald Trump visant à enrôler un maximum de pays arabes dans la normalisation de leurs relations avec Israël a remporté, jeudi 10 décembre, un nouveau succès en convainquant le royaume chérifien de franchir le pas dans la foulée des Emirats arabes unis, de Barheïn et du Soudan. La rumeur allait bon train depuis des semaines, mais les efforts de la Maison Blanche semblaient buter sur de lourdes hésitations à Rabat. Il aura fallu que le président américain sur le départ abatte la carte du Sahara occidental pour finalement arracher l’assentiment du roi Mohammed VI.

Tel est le « deal » annoncé par M. Trump en deux Tweet quasi simultanés : le premier annonçant la « reconnaissance » par Washington de « la souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental ; le second se félicitant comme « une avancée historique » de la conclusion d’un « accord » entre le Maroc et Israël visant à « normaliser complètement » leurs relations. Un communiqué du cabinet royal à Rabat a très vite confirmé l’information, annonçant une « reprise des contacts officiels » et des « relations diplomatiques dans les meilleurs délais ». Sahara occidental contre Israël : un cas d’école de la diplomatie transactionnelle de Trump.

 

 

Au Maroc, la presse présente le « deal » principalement sous l’angle d’une victoire diplomatique du Maroc sur le dossier sahraoui. La rupture à la mi-novembre d’un cessez-le-feu vieux de trente ans au Sahara occidental, à la suite d’incidents entre l’armée marocaine et le Front Polisario (Frente Popular de Liberacion de Saguia el Hamra y Rio de Oro), avait accru aux yeux de Rabat l’enjeu stratégique autour de ses « provinces du Sud ».

 

« Le Maroc joue dans la cour des grands »

 

Le départ en 1976 de l’ancien colonisateur espagnol de cette région avait débouché sur un conflit entre les indépendantistes sahraouis du Polisario – soutenus par l’Algérie – et Rabat, qui en revendique la « marocanité ». Un référendum d’autodétermination sur l’avenir du Sahara occidental avait été promis par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de 1991, mais le Maroc n’a cessé de s’y opposer, jouant de son influence auprès des capitales occidentales.

Le geste de Trump ne fait ainsi que conforter un rapport de force diplomatique de plus en plus favorable à Rabat, notamment dans sa rivalité historique avec l’Algérie. « La contrepartie [à la normalisation diplomatique avec Israël] est énorme, commente la politologue Khadija Mohsen-Finan, enseignante à l’université Paris-I. Elle est économique, stratégique. Et elle positionne désormais le Maroc comme une puissance régionale jouant dans la cour des grands. » Les relations militaires entre Washington et Rabat, dont 91 % des achats d’armes à l’étranger proviennent des Etats-Unis, sont déjà très profondes.

Une telle victoire diplomatique sur le Sahara occidental, cause patriotique très populaire au Maroc, permettra-t-elle de faire avaliser à un influent courant d’opinion pro-palestinien l’autre volet du « deal » de Trump, à savoir la concession sur les liens avec Israël ? En août, le premier ministre marocain, Saad-Eddine Al-Othman, issu du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), avait dénoncé toute « normalisation avec l’entité sioniste ». Maintiendra-t-il sa position ? Afin de ménager les sensibilités, le roi Mohammed VI, qui est également le président du comité Al-Qods, créé par l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour œuvrer à la préservation du patrimoine de Jérusalem, a tenu à mettre en avant « les positions équilibrées » du royaume sur la question palestinienne, rappelant en particulier son soutien à la solution des « deux Etats ».

 

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A Jérusalem, où il allumait une première bougie devant le mur des Lamentations pour la fête religieuse de Hanoukka, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a salué un accord « historique », tout en indiquant que les deux pays avanceraient prudemment. Israël et le Maroc comptent d’abord mettre en place de simples bureaux de liaison, a-t-il précisé, première étape avant de nouer des relations diplomatiques de plein droit et d’ouvrir des lignes aériennes directes. A Washington, le gendre du président américain, Jared Kushner, artisan des rapprochements israélo-arabes en cours, a précisé que les deux pays prévoyaient d’approfondir dans un premier temps leurs relations commerciales.

 

Un lot de consolation pour Jared Kushner

 

Pour l’équipe de M. Kushner, cet accord apparaît comme un succès, certes, mais aussi comme un lot de consolation, alors que l’Arabie saoudite rechigne à emboîter le pas aux Emirats arabes unis et au Bahreïn, qui se sont lancés dans une normalisation de leurs relations avec Israël en septembre, suivis fort prudemment par un Etat client et aux abois, le Soudan. Riyad avait marqué son déplaisir, à la mi-novembre, après qu’une rencontre sur son sol entre le prince héritier, Mohammed Ben Salman, et M. Nétanyahou, avait été rendue publique en Israël. L’Arabie saoudite pourrait conserver cette carte pour faciliter ses relations avec la future administration démocrate. Mais le Maroc, pour sa part, avait un intérêt à presser le pas : il lui aurait été difficile de soutirer la concession sur le Sahara occidental à l’administration Biden. Celle-ci se trouve désormais contrainte, sur un dossier qui ne lui est pas prioritaire. Elle peut ne pas ouvrir le consulat américain que l’équipe Trump promet à Dakhla, au Sahara occidental. Mais il lui sera malaisé de revenir entièrement sur cet accord.

Selon le journaliste israélien Barak Ravid, proche de l’équipe Kushner, l’Etat hébreu n’aurait pas participé aux négociations tenues ces derniers mois avec le ministre des affaires étrangères marocain, Nasser Bourita. Qu’importe : ce « deal » résonnera puissamment dans la communauté juive d’origine marocaine (700 000 personnes), l’une des principales minorités d’Israël. Depuis les années 1970, celle-ci forme un socle de l’électorat du Likoud, le parti de M. Nétanyahou. La percée diplomatique au Maroc vient à point nommé pour remobiliser sa base, alors que son gouvernement chancelle, et qu’une nouvelle campagne électorale pourrait s’ouvrir dans quelques semaines.

 

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Les relations entre Israël et le Maroc sont anciennes : leurs services de renseignement ont coopéré dès les années 1960, le roi Hassan II allant jusqu’à laisser le Mossad enregistrer le sommet de la Ligue arabe de Casablanca, en 1965, deux ans avant la guerre israélo-arabe de 1967. Selon le journaliste Ronen Bergman, la même année, le Mossad aurait aidé les services marocains à localiser l’opposant Mehdi Ben Barka, tué à Paris en octobre 1965. Les agents israéliens auraient fait disparaître son corps dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye.

 

Drones et en logiciels espions

 

Par la suite, Rabat aura été un intermédiaire de bonne volonté pour Israël : c’est au Maroc, en présence d’Hassan II, que le général Moshe Dayan avait pris langue avec le vice-premier ministre égyptien, en septembre 1977, pour préparer les accords israélo-égyptiens de Camp David. La signature des accords israélo-palestiniens d’Oslo, dans les années 1990, autorisera un début d’officialisation de cette relation, avec l’inauguration d’une représentation diplomatique israélienne à Rabat, en présence du premier ministre Yitzhak Rabin. La deuxième Intifada en fermera les portes au début des années 2000. Ce qui n’empêche pas le royaume d’accueillir aujourd’hui plus de 40 000 visiteurs israéliens chaque année, et de se fournir en drones et en logiciels espions auprès de l’Etat hébreu.

Pour le spécialiste du renseignement du quotidien Haaretz Yossi Melman, cette assistance est vouée à s’approfondir, dans un contexte sécuritaire tendu au Sahara occidental : « On peut estimer, avance-t-il, qu’Israël a donné son accord pour assister le Maroc militairement et en matière de renseignement dans sa lutte contre le Front Polisario. » Avec ce nouvel axe Israël-Maroc en voie de cristallisation, l’équilibre stratégique régional est en pleine mutation.

 

Louis Imbert (Jérusalem, correspondant) et Frédéric Bobin

Source : Le Monde

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