Au Ghana, l’exemplarité démocratique à l’épreuve des urnes

Le président sortant, Nana Akufo-Addo, brigue un second mandat, à l’occasion des élections générales du lundi 7 décembre.

L’initiative n’est pas banale sur un continent où bien des dirigeants privilégient la manière forte pour rester au pouvoir. Vendredi 4 décembre, le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, et son principal opposant – et prédécesseur – John Mahama, ont signé un « pacte de paix ». Un contrat les engageant à respecter le verdict des urnes alors que ce pays anglophone d’Afrique de l’Ouest se prépare à voter, lundi 7 décembre, sans convulsion majeure.

Le scrutin s’annonce pourtant très ouvert. Dix-sept millions d’électeurs ghanéens se rendront aux urnes pour choisir leur président et leurs députés. Un sur six votera pour la première fois dans ce pays où la moyenne d’âge est de moins de 21 ans. Le chef de l’Etat sortant brigue un deuxième mandat face à l’ancien président Mahama, qu’il a déjà affronté à deux reprises, en 2012 et en 2016.

 

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Dix autres prétendants sont en lice mais ils feront essentiellement de la figuration. Comme tous les quatre ans, la bataille pour la magistrature suprême se résume à un duel entre deux grandes formations, le Nouveau Parti patriotique (NPP) actuellement au pouvoir, et le Congrès national démocratique (NDC), dans l’opposition. Les rues d’Accra, la capitale, sont pavoisées de panneaux publicitaires géants à l’effigie des deux candidats qui promettent plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus d’emplois, ou tout simplement « plus en quatre ans de plus », comme l’assène un slogan du président Akufo-Addo.

Après une longue série de coups d’Etat, l’ancienne Gold Coast (« Côte de l’or ») britannique, indépendante depuis 1957, a instauré la démocratie en 1992. Depuis, le pays a déjà connu sept élections transparentes et trois alternances pacifiques. Freedom House, une ONG américaine qui scrute les droits politiques et les libertés, lui attribue une des trois meilleures notes d’Afrique subsaharienne. La société civile joue pleinement son rôle, comme en atteste la vitalité de la presse. « Ici, les gens votent avec leurs tripes et prennent cette responsabilité très au sérieux », affirme un diplomate en poste à Accra.

« Les alternances l’ont montré, les élections sont efficaces »

A Jamestown, vieux quartier populaire et déshérité de la capitale, la campagne bat son plein. Sous un soleil de plomb, des militants du NDC s’époumonent dans un mégaphone, tandis qu’une sono crépitante déverse une musique de discothèque. « Le pouvoir vous ment et ne s’occupe pas de vous, choisissez le numéro 2 ! » crie un militant, en référence à la place qu’occupe le candidat Mahama sur le bulletin de vote. En face, les supporteurs du NPP protestent et alpaguent les passants.

Quelques ruelles plus loin, Samuel Ankrah se rafraîchit sous un auvent de fortune. Ce pêcheur de 45 ans – le bord de mer est à deux pas – ne donnera pas sa voix au NDC. Nana Akufo-Addo a beau passer pour libéral, il lui sait gré de sa gestion sociale de la pandémie de Covid-19, quand Accra s’est retrouvé confinée pendant près de deux mois. « On nous a distribué de la nourriture, nous avons été dispensés de payer nos factures d’eau et d’électricité. Déjà avant cela, le président avait rendu le lycée gratuit pour les jeunes », énumère-t-il. Et si son champion venait à perdre ? « Je n’y crois pas. Mais si c’est le cas, il faudra bien faire avec. Ce sont les élections. »

 

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Il suffit de regarder juste au-delà des frontières pour prendre la mesure de l’exception ghanéenne. A l’Est, le Togo est sous la férule de la famille Gnassingbé depuis cinquante-trois ans, un record mondial de longévité seulement battu par la Corée du Nord. A l’Ouest, en Côte d’Ivoire, le président sortant, Alassane Ouattara, a été remis en selle fin octobre pour un troisième mandat au terme d’un « arrangement » constitutionnel très décrié. Plus loin, au Mali, un coup d’Etat militaire a chassé cet été un président élu, Ibrahim Boubacar Keïta.

« De tels scénarios ne sont pas imaginables chez nous, estime Rhoda Osei-Afful, chercheuse au Centre ghanéen pour le développement démocratique. Nous avons connu ce genre de régimes dans le passé et nous ne voulons plus y revenir. Le système n’est pas parfait, mais les alternances ont montré que les élections sont efficaces. Les Ghanéens croient en la démocratie. »

Secteur bancaire assaini, inflation domptée

Cette image de « bon élève » ne laisse pas indifférent sur la scène internationale. A la fois séduit et soucieux de ne pas rester enfermé dans un face-à-face avec les anciennes colonies françaises, Emmanuel Macron qualifie d’ailleurs son homologue ghanéen de « role model » en Afrique. Le chef de l’Etat s’est rendu à Accra dès 2017, à la fin de sa première tournée africaine, avant de recevoir un an et demi plus tard, à Paris, Nana Akufo-Addo.

L’occasion pour le président ghanéen de délivrer un discours très remarqué sur le continent, appelant à rompre avec « l’image de mendicité de l’Afrique ». Visage jovial et petites lunettes rondes, cet ancien avocat âgé de 76 ans répète à l’envi qu’il faut cesser de « dépendre » de l’aide internationale pour financer l’éducation et les systèmes de santé africains.

 

Malgré cette aura à l’étranger, et une courte avance dans les sondages, la partie n’est pas gagnée pour ce parfait francophone, issu de l’élite politique ghanéenne. En 2016, il avait remporté une nette victoire face à John Mahama dans un pays économiquement mal en point. Sous son mandat, le Ghana est redevenu un champion de la croissance, avec une activité progressant de 6 % à 8 % par an. Le secteur bancaire a été assaini et l’inflation domptée.

Mais la crise du Covid-19 augure de temps difficiles : la croissance a brutalement décéléré et l’endettement, déjà conséquent, est monté en flèche. Surtout, l’économie reste trop dépendante des matières premières – or, cacao et pétrole – pour être véritablement partagée. Les promesses d’industrialisation tiennent beaucoup du vœu pieux. Les inégalités se creusent et le nord du pays, pauvre et aride, souffre de mal développement.

Prévenir les soupçons de fraude

Les critiques portent aussi sur le volet de la corruption, à laquelle Nana Akufo-Addo avait promis de s’attaquer. Fin 2016, il avait nommé un procureur spécial, Martin Amidu, pour enquêter et poursuivre les fonctionnaires corrompus. Mais celui-ci a démissionné un mois avant le scrutin, accusant le président de vouloir se mêler des dossiers sensibles.

« Cette administration est au moins aussi corrompue que la précédente, estime Franklin Cudjoe, directeur du cercle de réflexion Imani. Mais les électeurs ne s’en soucient pas trop puisque tout le monde a quelque chose à se reprocher. Pour la majorité des Ghanéens, la seule idéologie qui compte, c’est avoir assez à manger et un toit pour dormir. »

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La préparation du vote n’est pas dénuée de tensions. L’opposition accuse le pouvoir d’accointances avec la commission électorale. Par médias interposés, les candidats brandissent des scandales de pots-de-vin présumés.

Si les scores sont trop serrés, ils pourraient être contestés. Pour prévenir les soupçons de fraude, des centaines d’observateurs ghanéens et internationaux seront déployées à travers le pays. Les candidats pourront réclamer des recomptages dans tous les bureaux. « Ça va être intense, comme à chaque fois, souligne la chercheuse Rhoda Osei-Afful. Mais il faut parier que comme à chaque fois aussi, tout se finira bien. »

 

 

 

Marie de Vergès

(Accra, envoyée spéciale)

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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