Offensive – En Éthiopie, après la guerre, le spectre de la guérilla

Après avoir lancé l’assaut final contre Mekele, la capitale de la province rebelle du Tigré, les autorités ont annoncé avoir remporté la bataille, samedi 28 novembre. Mais cet éditorialiste prévient : la partie est encore loin d’être finie.

Depuis le 4 novembre dernier, l’armée éthiopienne est en guerre contre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). L’objectif de cette opération était de faire revenir dans la République fédérale la région dissidente du Tigré. Addis-Abeba a mis un point d’honneur à faire plier par la force des armes Mekele, la capitale de la région rebelle, et ceci dans les meilleurs délais.

Cet objectif, à en croire les autorités éthiopiennes, a été atteint. L’annonce a été faite d’abord samedi 28 novembre par le Premier ministre Abiy Ahmed en ces termes :

Le gouvernement fédéral a maintenant pris le contrôle total de la ville de Mekele.”

La guerre n’est pas terminée

 

 

Pour Addis-Abeba donc, non seulement l’assaut promis sur Mekele a eu lieu [jeudi 26 novembre], mais il a été couronné d’un succès total. En l’absence d’une confirmation de cette éclatante victoire par une source indépendante, l’on peut se permettre de garder un peu de distance par rapport aux annonces des autorités éthiopiennes. Cette attitude est d’autant plus justifiée que l’accès des humanitaires à la zone est empêché et que les communications sont toujours coupées.

 

 

Mais quoi qu’il en soit, on peut prendre le risque de dire que le tout militaire n’est pas la solution pour résoudre ce genre de conflit. Et comme argument, on peut revisiter l’histoire de bien des pays d’Afrique et d’ailleurs. Le premier cas que l’on peut évoquer est celui du Soudan [voisin]. En effet, après plusieurs décennies de guerre pour venir à bout des velléités sécessionnistes de John Garang [leader d’une rébellion indépendantiste contre le régime d’Omar Al-Bechir], puis de celles de ses héritiers, Khartoum avait fini par infléchir sa position en acceptant l’indépendance du Soudan du Sud.

Un autre exemple tout aussi parlant est celui de l’Érythrée. En effet, le pays s’est séparé de l’Éthiopie et, au terme d’un long conflit de 1961 à 1991, a obtenu son indépendance le 24 mai 1993. Trente ans de langage de la poudre n’ont donc pas suffi pour contraindre l’Érythrée à demeurer une province éthiopienne.

 

Experts en guerilla

 

Le tout militaire est d’autant moins la solution la plus indiquée pour résoudre le conflit au Tigré que le TPLF a une expertise avérée en guérilla. C’est cette qualité qui lui avait permis de triompher des forces du “Négus rouge”, Mengistu Haïlé Mariam, en 1991 [arrivé au pouvoir en 1974, il avait imposé un régime marxiste autoritaire avant d’être renversé par une coalition de mouvements rebelles au sein de laquelle les Tigréens ont joué un rôle majeur].

 

 

Depuis la chute du dictateur, les Tigréens ont gardé entre leurs mains la réalité du pouvoir, aussi bien politique que militaire, et cela jusqu’en 2018, date de l’arrivée [du Premier ministre actuel] Abiy Ahmed à la tête du pays. De ce point de vue, l’on peut dire que les personnalités qui animent aujourd’hui le TPLF seront difficiles à réduire au silence par la force des armes.

L’autre argument en faveur des Tigréens est celui lié au nerf de la guerre, c’est-à-dire l’argent. En effet, le long temps que les Tigréens ont passé à la tête de l’Éthiopie leur a permis probablement de se doter d’une puissance financière. À cela, il faut ajouter que le Tigré a une diaspora de qualité, basée surtout aux États-Unis.

Le courage du dialogue

 

On doit donc s’attendre à une guerre qui a de fortes chances de s’installer dans la durée, à la grande joie des marchands d’armes. Ceux qui vont payer le plus lourd tribut dans ce drame qui se profile sont les populations innocentes. Déjà, l’on enregistre une centaine de morts et une fuite éperdue de milliers de Tigréens, baluchon sur la tête, en direction du Soudan.

Le Premier ministre éthiopien devrait comprendre que lui non plus n’a pas intérêt à faire dans le tout militaire contre la province dissidente. C’est vrai, après l’annonce de la prise de Mekele par l’armée fédérale, il a annoncé l’arrêt des opérations militaires dans le Tigré. Mais il doit avoir le courage d’aller au-delà. Il pourrait, par exemple, engager un dialogue franc avec ses frères tigréens. C’est d’ailleurs ce à quoi l’invitent l’ONU et l’Union africaine.

 

 

S’il s’obstine dans l’option militaire, il pourrait, peut-être, pendant un temps, réduire la capacité de nuisance du TPLF, mais il ne pourra pas le faire tout le temps. Abiy Ahmed a encore l’occasion de démontrer à la face du monde que son prix Nobel de la paix n’a pas été usurpé. Pour le moment, malheureusement, il renvoie l’image d’un va-t-en-guerre puisqu’il se montre hostile à toute idée de sortie de crise par le dialogue.

Pousdem Pickou
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Le Pays – Ouagadougou

Source : Courrier international

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