Indignation au Brésil après la mort d’un Noir tué par des agents de sécurité dans un Carrefour

La scène, filmée par un témoin, a eu lieu à l’entrée d’un supermarché du groupe de grande distribution. Des manifestations de colère ont éclaté aux quatre coins du pays, qui célébrait le Jour de la conscience noire.

Ce sont des images terrifiantes et qui tombent à un moment tragique : le décès, jeudi 19 novembre au soir, d’un homme noir frappé à mort par des agents de sécurité d’un magasin du groupe Carrefour, à Porto Alegre, à la veille du très symbolique Jour de la conscience noire, a ému et révolté une grande partie du Brésil.

Sur la vidéo, filmée par un témoin, on peut voir Joao Alberto Silveira Freitas, 40 ans, jeté à terre et battu à mort par deux agents de sécurité blancs à l’entrée du magasin. On peut y entendre aussi le choc des coups de poing, lancés en plein visage, et les cris de détresse d’un homme qui agonise. Sur le sol orangé, éclairé au néon, on peut apercevoir des gouttes de sang.

Selon la police, la victime, morte sur place, aurait succombé à une asphyxie, alors que les agents auraient tenté de l’immobiliser. Les deux suspects, âgés de 24 et 30 ans, employés de la société Vector, sous contrat avec Carrefour, ont été arrêtés et placés en détention. L’un d’eux, policier militaire, travaillait à la sécurité du magasin en dehors de ses heures de service.

 

« C’est un acte de racisme »

 

La cause exacte ayant provoqué le drame n’a pas encore été établie. Ce 19 novembre, M. Silveira Freitas allait faire ses courses au Carrefour du quartier Passo d’Areia, dans le nord de Porto Alegre, en compagnie de son épouse. Selon la police, une altercation aurait eu lieu entre la victime et une salariée du supermarché. Mais, pour la famille du défunt, la nature du crime ne fait aucun doute. « Pour moi, c’est un acte de racisme », a commenté le père de la victime, évoquant une agression motivée par « la haine, la furie ».

Le drame a provoqué une vague d’indignation. Et pour cause : il a eu lieu en pleine campagne municipale, mais surtout à la veille du Jour de la conscience noire, célébrant la mémoire de Zumbi, esclave insurgé et héros des Afro-Brésiliens, décédé le 20 novembre 1695.

Une employée du groupe Carrefour tente d’éteindre un début d’incendie provoqué par des manifestants qui ont fait irruption dans ce supermaché de Sao Paulo, au Brésil.

 

Dans ce contexte, la colère est grande contre le géant français des hypermarchés Carrefour, accusé de racisme. La chaîne possède au Brésil plus de 700 points de vente, où travaillent 90 000 salariés. Des manifestations ont eu lieu vendredi devant l’entrée de plusieurs magasins du pays. A Sao Paulo, les protestataires ont brisé les vitrines et envahi l’une des enseignes du groupe, avant de tenter d’y mettre le feu, aux cris de « Carrefour raciste ! ».

 

Carrefour sous le feu des critiques

 

Des accusations rejetées par la chaîne de distribution. « C’est une tragédie, nous sommes catastrophés, horrifiés. C’est inexcusable, a expliqué au Monde Stéphane Engelhard, secrétaire général de Carrefour au Brésil. Nous agissons déjà beaucoup contre le racisme, à travers des formations pour sensibiliser les employés. » Le magasin de Porto Alegre a été provisoirement fermé, son responsable au moment du drame démis de ses fonctions. Carrefour a aussi annoncé avoir rompu son contrat avec la société de sécurité Vector.

La vidéo de la mort de Joao Alberto Silveira Freitas a jeté une nouvelle fois le trouble dans le dernier grand pays au monde à avoir aboli l’esclavage, en 1888, et où la population noire essuie quotidiennement discriminations et violences. La tension est particulièrement forte à Porto Alegre, ville peuplée par des immigrants européens, où les Blancs représentent entre 75 % et 80 % de la population (contre 46 % au Brésil).

« Porto Alegre est une des villes les plus racistes du pays, déplore Matheus Gomes, qui y a été récemment élu conseiller municipal et qui est une figure locale du mouvement noir. On est forcés d’habiter tous dans les mêmes quartiers, il y a un régime de suspicion permanent contre nous, en particulier dans les supermarchés, où on nous prend pour des voleurs. »

 

Comme un écho au meurtre de George Floyd

 

Les images du drame ont aussi rappelé celles du meurtre de l’Américain George Floyd, décédé le 25 mai à Minneapolis (Minnesota). « Malheureusement, au Brésil, nous n’avons pas un, mais toute une série de George Floyd », s’indigne la chercheuse afro-brésilienne Ynaê Lopes dos Santos. Pointé du doigt : le président Jair Bolsonaro. « Avec l’ascension de l’extrême droite fasciste, on a une montée du racisme : les actes racistes sont incités et se multiplient. Personne ne répond jamais devant la justice », dit-elle.

 

Connu pour ses propos racistes, Jair Bolsonaro n’a pas directement réagi au drame, mais s’est tout de même fendu dans la soirée de vendredi d’un message posté sur les réseaux sociaux, au ton particulièrement vague. « Comme homme et comme président, je suis daltonien : tout le monde a la même couleur », explique laborieusement le chef de l’Etat, disant souhaiter envoyer à « la poubelle » ceux qui « instiguent le peuple à la discorde, fabriquant et promouvant des conflits ». M. Bolsonaro a préféré laisser son vice-président, Hamilton Mourao, commenter directement l’affaire. « Pour moi, au Brésil, il n’existe pas de racisme. C’est une chose que certains aimeraient importer. Mais il n’y a pas de ça ici », s’est contenté de déclarer ce dernier.

Bruno Meyerfeld

(Rio de Janeiro, correspondant)

Source : Le Monde (Le 21 novembre 2020)

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