Ce que Barack Obama dit de l’Afrique dans ses Mémoires

Dans « Une Terre promise », l’ancien président américain Barack Obama évoque sa première tournée sur le continent, ses relations avec ses homologues africains et revient sur les temps forts d’un premier mandat marqué par le printemps arabe.

Plus de deux semaines après sa défaite à la présidentielle américaine, Donald Trump s’accroche encore au pouvoir à coups de tweets rageurs et de théories conspirationnistes. Une rhétorique incendiaire que Barack Obama connaît bien : dans Une terre promise, le premier tome de ses Mémoires, l’ancien président rappelle qu’il a été la cible favorite du milliardaire bien avant Joe Biden.

« Notre président actuel est sorti de nulle part… Les gens qui étaient à l’école avec lui, ils ne l’ont jamais vu, ils ne le connaissent pas. C’est fou », affirmait ainsi Donald Trump lors d’un meeting conservateur en 2011. Alors qu’il envisage de se présenter face à lui, il affirme sur tous les plateaux de télévision que l’acte de naissance du chef de l’État, né d’une mère américaine et d’un père kényan, est introuvable.

 

Angoisses raciales

 

« Aux millions d’Américains terrifiés d’être dirigés par un Noir, il a offert un élixir contre leurs angoisses raciales », analyse aujourd’hui Barack Obama, dans cet ouvrage très attendu, qui a fait l’objet, avec le best-seller Becoming, de sa femme, Michèle Obama, d’un mirobolant contrat de 60 millions de dollars signé avec la maison d’édition Penguin Random House.

 

 

Dans ce livre de près de 900 pages porté par une campagne de promotion très soignée, inaugurée par une chronique de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie dans le New York Times, l’ancien président accuse les médias d’avoir laissé Donald Trump, depuis les origines de son ascension politique, déverser ses contre-vérités : « À aucun moment, ils ne lui ont rétorqué simplement et sans détour qu’il mentait ou que la théorie du complot dont il se faisait le porte-voix était raciste. »

Dans les pas de Mandela

 

Barack Obama, sa femme Michelle et ses filles Malia et Sasha dans la cellule de Nelson Mandela à Robben Island, le 30 juin 2013

 

Ironie du sort, c’est au lendemain de la victoire de Trump, encore abasourdi par le choix de « quelqu’un de diamétralement opposé à tout ce que nous défendions », qu’il entame l’écriture de ce premier opus. Il y retrace les moments forts de son premier mandat, jusqu’à la mort d’Oussama Ben Laden, en 2011, mais aussi des souvenirs d’enfance et son ascension politique. Obama se remémore notamment sa première tournée africaine en 2006, alors qu’il n’était encore que sénateur de l’Illinois. En Afrique du Sud, il rencontre des membres de la Cour suprême, des médecins luttant contre le sida et l’archevêque Desmond Tutu, qui se réjouit déjà de le voir devenir le « premier président africain des États-Unis ».

L’héritage de Mandela a été « dilapidé pour cause de corruption et d’incompétence des dirigeants de l’ANC »

 

À Robben Island, il se recueille dans la cellule de son modèle Nelson Mandela. Mais l’héritage de « Madiba », estime-t-il plus loin dans son récit, a été « dilapidé pour cause de corruption et d’incompétence des dirigeants de l’ANC, laissant une proportion significative de la population noire encore embourbée dans la pauvreté et le désespoir ». Obama fait tout de même preuve d’indulgence envers son ancien homologue Jacob Zuma, le décrivant comme « assez avenant » et progressiste dans son discours.

 

De Nairobi à Washington

 

À Nairobi, dans le bidonville de Kibera ou dans la province de Nyanza, la terre de ses ancêtres, le démocrate, Michelle et leurs filles, Sasha et Malia, reçoivent « un accueil délirant ». « Je te jure, Barack, ces gens croient que tu es déjà président ! » lui lance son amie Anita Blanchard, qui fait partie du voyage. En attendant, le potentiel présidentiable se félicite d’avoir pu « échapper à toute cette agitation » le temps d’une pause safari.

 

 

Vingt-cinq ans après la parution des Rêves de mon père, Obama parle peu dans cet ouvrage de son géniteur et de sa famille africaine. Ou simplement pour mesurer le chemin parcouru, lorsque la belle-mère de son père quitte son village du nord-ouest du Kenya pour venir le voir prêter serment à Washington. « J’ai souri en voyant cette femme âgée qui n’était pas allée à l’école, dont la maison avait un toit de tôle et était dépourvue d’eau courante, se faire servir le repas, à Blair House, dans un service en porcelaine dans lequel avaient mangé des Premiers ministres et des rois […]. Comment pouvais-je résister à la tentation de croire qu’il y avait une vérité dans tout cela, quelque chose qui peut-être durerait ? »

À chacune de mes étapes africaines, on me répétait que l’Amérique aurait pu faire beaucoup plus »

Son périple le mènera ensuite à la frontière entre le Kenya et la Somalie, où sévit le groupe terroriste Al-Shabaab ; en Éthiopie, après les inondations qui ont fait plus de 800 morts ; et au Tchad, dans un camp de réfugiés du Darfour. « À chacune de mes étapes, je voyais des hommes et des femmes œuvrer avec héroïsme, dans des circonstances effroyables. À chacune de mes étapes, on me répétait que l’Amérique aurait pu faire beaucoup plus pour aider à soulager la souffrance de ces populations », se remémore-t-il.

 

Discours du Caire et pirates somaliens

 

Une fois au pouvoir, il apprend, comme ses prédécesseurs, à accepter les principes du « réalisme politique » : « cela faisait partie de mon travail, c’est en tout cas ce que je me disais pour me réconforter. » Si la neutralisation des trois pirates somaliens auteurs de la prise d’otages du porte-conteneurs Maersk-Alabama, en avril 2009, est saluée comme sa première victoire militaire, il en garde un souvenir plus amer, déplorant que le désespoir pousse de jeunes hommes à choisir les armes. « Je voulais d’une façon ou d’une autre les sauver. […] Et pourtant, le monde dont ils faisaient partie et la machine que je commandais étaient tels que, le plus souvent, j’étais au contraire dans la position de les faire tuer. »

 

Deux mois plus tard, à l’université du Caire, dans un de ses plus célèbres discours, il s’adressera à la jeunesse du monde, et plus particulièrement à la jeunesse musulmane. En faisant le mea culpa de l’Amérique, en parlant colonialisme, complicité avec des régimes corrompus et en reconnaissant les humiliations subies par les Palestiniens, il espère pouvoir rendre audible un discours contre l’oppression des femmes, le fondamentalisme islamiste et l’incurie de certains de leurs dirigeants.

 

Négocier avec Moubarak

 

Ses services l’alertent d’ailleurs sur la grogne qui monte contre plusieurs régimes au Maghreb et au Moyen Orient, certes autoritaires mais alliés des États-Unis. Avec ses équipes, il tergiverse sur la position à adopter face « aux premiers bourgeons de ce qui allait devenir le Printemps arabe », en Tunisie, en Algérie, au Yémen, en Jordanie et à Oman.

Mais son administration s’intéresse surtout aux troubles en Égypte. Alors que Benyamin Netanyahou et les monarques d’Arabie saoudite et de Jordanie craignent une contagion de la révolte et lui demandent de soutenir Moubarak, Joe Biden et Hillary Clinton, qui connaissent bien le président égyptien, prônent aussi la prudence.

Il tente donc de négocier avec son homologue, qui lui avait laissé, lors de leur rencontre en 2009, « l’impression que j’aurais souvent en rencontrant des autocrates d’un certain âge : enfermés dans leurs palais […] ils étaient incapables de faire la distinction entre leurs intérêts personnels et ceux de leur nation ».

Sans la ténacité des jeunes gens de la place Tahrir, j’aurais continué à travailler avec Moubarak

Percevant dans la jeunesse de la place Tahrir l’élan de celle qui avait abattu le mur de Berlin et s’était dressée devant les tanks de la place Tian’anmen, il finira, le 11 février, par pousser Moubarak vers la sortie. « J’étais conscient que le dirigeant qui lui succéderait serait peut-être un partenaire moins fiable pour les États-Unis – et éventuellement pire encore pour le peuple égyptien. En vérité, si Moubarak avait présenté un plan de transition digne de ce nom, j’aurais pu m’en contenter […], avoue-t-il. Sans la ténacité des jeunes gens de la place Tahrir, j’aurais continué à travailler avec Moubarak jusqu’à la fin de ma présidence, malgré tout ce qu’il représentait – de même que j’aurais continué à travailler avec les autres “dictatures corrompues et pourrissantes”, selon les mots de Ben [Rhodes, son conseiller national adjoint], qui régnaient sur le Moyen-Orient et le Maghreb. »

« Un vrai sac de nœuds »

 

Quand le régime de Kadhafi vacille à son tour, Obama est d’autant plus réticent à intervenir en Libye pour mettre fin à la répression que Tripoli est « sans réelle importance stratégique ». S’il finira par rejoindre la coalition internationale, il s’interroge sur cette politique d’ingérence : « Combien de morts faudrait-il […] pour déclencher une réponse militaire des États-Unis ? Pourquoi en Libye et pas au Congo, par exemple, où un enchaînement de conflits avait coûté la vie à des millions de civils ? »

 

 

Non sans pragmatisme, l’ex-commandant en chef des armées assume également de ne pas s’être élevé contre les régimes du Bahreïn ou de Syrie : « Il m’était impossible d’expliquer notre incohérence de manière élégante, sauf en admettant que le monde était un vrai sac de nœuds. »

 

Un président noir à la Maison Blanche

 

Lors de la campagne électorale de 2008, Barack Obama, mais aussi sa femme Michelle, sont régulièrement la cible d’attaques racistes. Le candidat démocrate, qui prend soin de ne pas trop insister sur les « questions jugées spécifiques à la population noire », comme les droits civiques ou les violences policières, sous peine de « susciter la méfiance, sinon le rejet, de la grande majorité des électeurs », choisit de les classer dans la catégorie des coups bas propres aux compétitions de haut niveau. Michelle Obama y voit quant à elle une volonté délibérée de jouer sur des stéréotypes qui lui sont douloureusement familiers et ainsi d’attiser la peur « de voir un homme noir prendre en charge les décisions les plus importantes pour le pays et s’installer avec sa famille noire à la Maison-Blanche. » Une fois élu, Barack Obama prendra d’ailleurs conscience de la réaction « émotionnelle, presque viscérale » qu’a suscitée son élection : « À croire que ma seule présence à la Maison-Blanche avait provoqué une panique profonde, le sentiment que l’ordre naturel avait été perturbé. » Auxquels certains observateurs incrédules, voire sous le choc, ont attribué l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

Julie GONNET

Source : Jeune Afrique

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