Plutôt adepte du bistouri que du langage politique, le Pr Outouma Soumaré a troqué, le temps d’une interview sa blouse blanche pour son costume de politique.
Sans gants, frontal, direct mais mesuré, Outouma Soumaré revient avec Kassataya, sur la sortie du tonitruant député Mohamed Bouya Ould Cheikh Mohamed Vadel élu sur la liste de l’AFCD.
Mais au-delà de cet incident révélateur du malaise mauritanien par rapport à la place de la langue française dans l’espace politico-administratif, le Pr Outouma Soumaré dissèque avec une précision chirurgicale les enjeux autour de cette question.
Quelle appréciation faites-vous de l’attitude du député face au ministre Kane Ousmane ?
Le temps de la couverture médiatique n’étant pas toujours nécessairement en phase avec celui de l’action ou de la réaction politique et non politicienne mais responsable, je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer tout en précisant d’emblée que je vais tenter de m’attacher à un certain sens de la mesure dans mon expression, pour tenir compte de l’effet « buzz » de l’événement que je ne souhaite pas alimenter. Celui-ci consiste à faire un triple amalgame entre, la défense louable de la sacralité du prophète de l’Islam qui doit néanmoins s’inspirer de la tradition prophétique que tout musulman doit nécessairement suivre par son exemplarité, un label chauvin d’« anti-constitutionnalité » du parler en langue française dans une activité officielle en Mauritanie, et, la condamnation de tout ce qui est lié à la France sous le prétexte d’une certaine islamophobie, réelle mais néanmoins relativement circonscrite, qui a malheureusement fait l’actualité récemment dans ce pays dans des circonstances que je condamne sans équivoque. Je m’applique donc un principe de précaution dans mon expression afin de favoriser l’apaisement et la sérénité dans notre pays et ne pas alimenter les extrémismes nationalistes et religieux de tous les bords qui tentent de faire feu de tout bois.
En tant que président fondateur de l’Avant-Garde des Forces de Changement Démocratique (AFCD), parti politique titulaire du siège de ce député élu sur la liste des députés de Nouakchott dans le cadre d’une coalition avec le parti Wafa, actuellement dissous, dont il était lui même le président, je dénonce, et je désapprouve avec la plus grande fermeté sur le fond et la forme les propos tenus qui n’engagent que son auteur et qui ont entravé de manière injustifiable le bon déroulement de la séance parlementaire du lundi 09 novembre 2020.
Sur les images vraisemblablement diffusées par ses soins en direct à travers les réseaux sociaux dans le cadre d’une lamentable mise en scène, suggérant une préméditation et attestant d’une irresponsabilité notoire, indigne d’un représentant du peuple, j’ai pu par contre, comme tous, apprécier la dignité et la sérénité du Ministre KANE Ousmane.
Nous devons également, comme tout patriote sincère, être rassurés par les interventions de tout bord, menées par des députés de la majorité comme de l’opposition, représentants toutes les franges de notre peuple qui ont tenté, en véritables garde-fous, mais vainement, de ramener à la raison ce député, pour tout le moins singulier, qui était, à l’évidence et de manière délibérée, à travers la véhémence de ses propos et la manipulation par l’image, dans une démarche dangereuse de clivage.
Ses propos sont à l’opposé de l’essence même de l’AFCD dont le corps et l’âme sont fondés sur des valeurs de fraternité, de tolérance et d’unité. L’intervention de ce député ne peut et ne doit pouvoir attiser les braises de la division d’un peuple plurinational, uni par le temps long de l’Histoire et qui a montré plus d’une fois sa capacité de résilience face aux différentes crises existentielles que notre jeune pays en construction a eu à traverser. Nous restons convaincus que notre peuple dans ses différentes composantes nationales saura encore une fois ne pas être le terreau de ce populisme dangereux.
Partagez vous sa position sur la place du français dans le système politico-administratif ?
Bien évidemment non, je ne partage pas du tout sa position.
Il n’est pas inutile de rappeler ici que la Mauritanie est un pays membre de la francophonie et que la langue française a été la première et unique langue officielle de notre pays avant que la langue arabe lui soit associée pour finir par ne plus avoir de place définie dans la constitution depuis 1991. Il n’en demeure pas moins, sans avoir besoin d’en définir formellement son rôle, qu’elle garde une place importante et naturelle dans notre système politico-administratif issu de notre histoire coloniale malgré certaines velléités schizophrènes manifestes de l’effacer.
Pour bien se construire, notre pays doit accepter son Histoire dans sa totalité, si douloureuse soit-elle sur certains aspects, et l’héritage colonial n’est pas nécessairement celui qui porte la plus grande part d’ombre. Il faut, justement dans le cadre de ce fait colonial, malgré certaines controverses dont nous pouvons débattre démocratiquement en toute sérénité, tenir compte de notre environnement géographique où les pays voisins ont tous conservé, même pour ceux où la langue française n’est plus une langue officielle, un usage courant de cette langue dans leur système politico-administratif.
Quant à l’usage de nos langues autochtones dans notre système politico-administratif, pour lesquelles, certains, dans une position paternaliste se voulant plus royalistes que le roi jusqu’à faire l’injonction surréaliste et ironique de les utiliser en alternative au français traditionnellement d’usage pour les non arabophones dans les prises de parole à l’Assemblée Nationale, il est évident de rappeler qu’il faut d’abord les enseigner à l’École de la République ce qui a d’ailleurs déjà été expérimenté avec succès dans des écoles pilotes grâce aux travaux de l’ancien Institut des Langues Nationales.
Ce dernier a été un outil remarquable de développement de nos langues autochtones mais malheureusement il a été dissous alors qu’il jouait un rôle important, reconnu dans toute la sous région avec laquelle nous avons en partage ces langues. Cette initiative structurante a été avortée alors qu’elle nous aurait permis aujourd’hui de nous exprimer dans ces différentes langues pour les discours les plus techniques et à l’occasion des événements officiels. Les langues dites nationales dans notre constitution doivent être tout simplement officialisées comme l’est la langue arabe, et, à la manière des pays du Maghreb qui ont officialisé le berbère avec des mesures d’accompagnement institutionnelles fortes, l’Institut des Langues Nationales doit être réhabilité avec une importance renforcée.
Par ailleurs, le nom qui désigne notre pays n’est issu d’aucune des langues de notre pays mais a une origine provenant du latin, donné par la France dont nous sommes devenus souverainement indépendants et avec laquelle nous avons des relations d’alter ego.
Ses dirigeants politiques actuels ont fait le choix dangereux d’un débat sur un séparatisme orienté et islamophobe, entretenant des amalgames à des fins électoralistes, en réaction au développement patent de l’Islam en France, qu’ils n’ont eu de cesse d’occulter et qui en fait maintenant partie intégrante. Quand l’effet de surprise passera, ils n’auront d’autre choix que de l’accepter.
C’est dans la gestion de crise identitaire paranoïde que se trouve, pour tout pays, l’enjeu du cours de son Histoire et de sa place dans le Monde.
Il faut aussi rappeler que nos constitutions mauritaniennes successives sont inspirées par les constitutions françaises d’avant 1958 puis de la cinquième république française et ont d’abord été écrites en langue française avant d’être traduites en langue arabe pour faire ensuite de cette dernière la référence officielle.
Malgré tout, sur les images transmettant officiellement les séances parlementaires, on peut très bien identifier à la partie inférieure du Sceau de la République au-dessus du siège du Président de l’Assemblée Nationale « République Islamique de Mauritanie » en toute lettre en français. D’autre part, les documents nécessaires aux travaux de l’Assemblée Nationale sont rédigés en arabe et en français et non dans les langues autochtones. Si le règlement intérieur de ladite Assemblée ne prévoit pas la traduction orale du français vers l’arabe et les langues nationales il n’en interdit pas l’usage. Nous savons tous qu’un des grands principes de l’Islam est que « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » et que la civilisation musulmane a, dès le début de son expansion, encouragé l’apprentissage des langues et même administré certaines provinces conquises en langues locales.
Il suffit aussi de naviguer sur les réseaux sociaux pour retrouver des images du député pyromane, avec moins d’assurance qu’il ne le fait en arabe, parfaitement s’exprimer paradoxalement en français dans l’enceinte même de l’Assemblée Nationale s’adressant au Ministre de la Justice d’un gouvernement antérieur issu de l’ethnie Pulaar qui pourtant est connu et reconnu pour s’exprimer avec beaucoup de maitrise et d’éloquence en langue arabe.
Les choses ne sont pas aussi simples qu’elles ne paraissent et il faut se méfier des schémas et plans de clivage politico-ethniques préconçus. Notre peuple est une entité dynamique, mixte dans son Histoire et au sein de ses Hommes.
Quelle est sa place au sein du parti ?
Comme indiqué précédemment, il n’est pas membre de l’AFCD, mais dans notre accord de coalition avec son parti politique, actuellement dissous, le siège de député est inscrit à l’Assemblée Nationale au nom de l’AFCD et le deuxième sur la liste est un membre fondateur éminent de l’AFCD, Monsieur Jemal DAHI, bien connu et populaire pour son tempérament modéré sur la blogosphère arabophone qui lui attribue d’ailleurs respectueusement le titre de « Doyen ».
Participe-t-il aux réunions du parti depuis son élection sous votre étiquette ?
Malgré notre volonté maintes fois exprimée à son encontre de le voir se concerter avec nous avant ses prises de parole dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale il ne l’a jamais fait.
Constatant sa propension aux sorties médiatiques tapageuses et populistes, à l’opposé de notre ligne politique et de nos méthodes, nous avions eu précédemment avec lui quelques échanges pour obtenir de lui plus de modération dans ses positions et ses propos mais malheureusement sans succès.
Il a manifestement choisi de faire cavalier seul, il doit par conséquent en porter seul la responsabilité devant Dieu et devant les Hommes.