Fatma Said, un chant lumineux entre Orient et Occident

Radio France a accueilli le premier concert parisien de la soprano égyptienne, qui sort chez Warner Classics un récital de musique française, espagnole et arabe.

Ce dernier concert d’avant le couvre-feu présentait, jeudi soir, à l’auditorium de Radio France, la jeune soprano égyptienne Fatma Said, dont le premier album intitulé El Nour (La lumière), vient de sortir chez Warner Classics. Un joli florilège de mélodies et airs populaires français, espagnols et arabes, symbole d’un multiculturalisme que la Cairote de 29 ans, passée par Berlin et sa prestigieuse Musikhochschule Hanns Eisler puis par l’Académie de La Scala de Milan, entend bien incarner.

La fille d’Ahmed Hassan Said, homme d’affaires influent, ancien champion de natation et leader politique du « printemps arabe » (cofondateur du Parti des Egyptiens libres), n’est pas complètement inconnue en France : elle a notamment participé au « Concert de Paris » enregistré le 14 juillet sans public et transmis en direct sur France Inter, France 2 et les antennes de plus de dix pays dans le monde. Ce soir du 15 octobre est sa première apparition publique à Paris. Pas vraiment un concert de promotion puisque c’est à la capitale autrichienne, Vienne, et à l’un des fleurons de l’opérette conçue par le compositeur Adolf Müller à partir d’œuvres de Johann Strauss, le fameux Wiener Blut (l’opérette Sang viennois), que l’élégante cantatrice en robe rose a prêté sa grâce et son art subtil.

 

Des sommets d’extase

 

L’air d’entrée de la comtesse Gabriele requiert en effet un art du faire et du dire que la cantatrice, entre ironie et hédonisme, possède à ravir, tout comme son allemand acquis in situ. Mais le timbre rond et lumineux, la ligne déliée du chant ne sont pas de taille face à un Orchestre national de France, certes au garde-à-vous, mais chaussé de bottes napoléoniennes. La voix de Fatma Said ne jouit pas d’une projection suffisante pour passer le mur instrumental. La célèbre valse, Wiener Blut, qui suivra, idéalement érotique et spirituelle, souffrira des mêmes insuffisances. La chanteuse, qui se définit comme une « femme égyptienne, africaine et arabe », sera enfin acclamée dans le mystique Aatini Al Naya Wa Ghanni (« Donne-moi la flûte et chante »), de Najib Hankach sur un poème de Khalil Gibran – le ney et le kanoun présents dans la version du disque sont ici tenus par la flûte (excellente Marina Piccinini) et la harpe –, dont la belle cadence ornementale finale, chantée au bord du souffle, atteindra des sommets d’extase.

De part et d’autre de cette oasis vocale, Brahms, dont une photo de 1894 prise dans le village montagnard de Bad Ischl, témoigne de la familiarité qu’il entretint avec Johann Strauss, lequel lui a dédié, deux ans plus tôt, la valse Seid umschlungen Millionen. C’est d’ailleurs encore Vienne la folklorique qu’évoquent les trois Danses hongroises pour orchestre (n° 1, n° 3 et n° 10, tirées des Ungarische Tänze pour piano), qui ouvrent la soirée de leur verve irrésistible. Brahms encore, qui la clôturera avec une Quatrième symphonie, que la direction charpentée et musculeuse de Cristian Macelaru sculpte à grands traits. Tragique exacerbé du premier mouvement (avec une merveilleuse plage frémissante avant la réexposition), éloquence mystérieuse de l’« Andante moderato », énergie martiale de l’« Allegro giocoso » avant un « Finale » aux allures contrastées, entre marche funèbre et déploration intime.

 

Concert Fatma Said (soprano), avec l’Orchestre national de France, Cristian Macelaru (direction). Auditorium de Radio France, Paris-16e. Radiofrance.fr Disponible sur la plate-forme Web Francemusique.fr

Disque : « El Nour », avec Fatma Said (chant), Malcolm Martineau (piano), Rafael Aguirre (guitare), Burcu Karadag (ney), Tim Allhoff (piano), Itamar Doari (percussion), Henning Sieverts (contrebasse), Tamer Pmarbasi (kanun), Vision String Quartet. 1 CD Warner Classics.

Marie-Aude Roux

Source : Le Monde
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