Coronavirus : une rentrée pas vraiment idyllique pour les étudiants africains en France

La majorité des inscrits ont pu rallier leur campus hexagonal, mais les déconvenues dues aux cours en distanciel, la solitude et le stress de l’adaptation sont bien là.

Quand elle ne pleure pas, Rokia s’échine à manipuler les sites de cours en ligne. Une gageure pour la jeune étudiante qui, faute d’équipement informatique, doit suivre son enseignement sur son téléphone portable : « Je fais tout avec : les recherches, les cours, tout ! » Pas tout à fait la rentrée universitaire qu’attendait la jeune Malienne débarquée mi-septembre de Bamako pour suivre les cours d’administration économique et sociale à l’université de Toulouse. « A cause de la crise sanitaire, on vient de mettre tous nos cours en distanciel jusqu’à novembre, explique-t-elle. C’est triste, car tu viens d’un autre pays, tu as envie de découvrir la France, de te faire des camarades mais ce n’est pas possible. »

Mame Birame Séne, étudiant sénégalais à l’Institut national des sciences appliquées (INSA), un établissement rattaché à l’université polytechnique des Hauts-de-France, à Valenciennes, ressent le même spleen. « Il n’y a pas d’autre compatriote dans ma promo. Je ne connais personne, se désole-t-il. Je m’attendais à savourer la vie du campus. Mais la distanciation physique imposée en cours nous empêche de créer des liens d’amitié. C’est chacun pour soit et Dieu pour tous, », regrette-t-il avant d’ajouter que « le Covid a aussi empêché les Sénégalais de se rencontrer en début d’année. Alors je ne peux demander à personne de me faire visiter la ville. Je reste à la maison et je suis mes cours ».

 

Isolement et détresse morale

 

Car d’ordinaire, les associations d’étudiants africains ont l’habitude d’organiser, à chaque rentrée, des « journées d’intégration ». Un moment durant lequel les anciens accueillent les nouveaux pour partager expériences et conseils. « Nous qui sommes ici depuis plusieurs années, nous savons comment fonctionne le système universitaire, ce qui n’est pas évident à appréhender pour les nouveaux cantonnés à la maison, constate Bréhima Sidibé, le président de l’Association des étudiants maliens d’Ile-de-France (AEMIF). C’est une vraie difficulté pour eux, ajoute-t-il, alors qu’ils sont déjà confrontés à des problèmes de solitude et d’adaptabilité. » En attendant de trouver une solution pour organiser une cette journée d’accueil alternative, l’association a élaboré un guide téléchargeable sur son site.

Les responsables associatifs craignent qu’à cette détresse morale s’ajoutent des problèmes financiers. « Normalement, à cette époque de l’année, on distribue des habits pour l’hiver aux nouveaux. Eh bien on n’a pas pu le faire, pas plus que la mise à disposition de matériel pour étudier à domicile, à ceux qui n’en disposaient pas », regrette Souleymane Gueye, le vice-président de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (Fessef). « Cet isolement est un vrai sujet qu’il faut traiter cas par cas », ajoute Mohamed Amara, qui lui, essaie de monter « des dispositifs de tutorats pour accompagner les étudiants étrangers ».

 

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Face à cette situation, Souleymane Gueye veut quand même garder espoir, observant que « les étudiants savent prendre sur eux », insiste-t-il. D’autant que, comme il le reconnaît volontiers, le premier obstacle potentiel : la phase administrative, elle, s’est bien passée. Même si les étrangers sont arrivés avec quelques semaines de retard dans leur classe parce que les activités consulaires n’ont repris qu’à la mi-août, ils sont bel et bien là. Ce qui n’était pas évident il y a quelques mois encore.

Birame séné a bien cru qu’il n’arriverait jamais à Valenciennes (Nord) et qu’il passerait en définitive une année de plus à Parcelles Assainies, son quartier de Dakar. A cause de la crise sanitaire mondiale liée au coronavirus et des fermetures de frontières il a beaucoup craint que son rêve absolu de venir étudier en Europe, reste un mirage.

Comme lui, des milliers d’étudiants africains ont en fait rejoint leur chambre de résidence universitaire, faute d’investir les amphithéâtres ou les écoles de l’Hexagone. « Pour nous, c’est administrativement une rentrée normale, estime même Souleymane Gueye. Nous n’avons pas eu de remontée de problèmes particuliers depuis début septembre. Tout se déroule comme les autres années alors qu’on craignait de vrais blocages. »

 

« Une belle mobilisation »

 

Au fil de l’été, les responsables d’associations d’étudiants africains et de l’enseignement supérieur en France ont en effet craint le pire pour les futurs élèves en provenance de ce continent. Ils ont eu peur de refus de délivrance des visas par les services consulaires pour contenir l’épidémie, et ce en dépit des inscriptions dans les établissements, et ont dû feinter pour trouver des vols abordables au sein d’un trafic aérien très ralenti. En définitive, « plus de 80 % des étudiants africains attendus sont arrivés, se félicite M’Hamed Drissi, président de la commission des relations internationales de la Conférence des grandes écoles (CGE). C’est beaucoup mieux que ce qu’on espérait. Il y a eu un effort de la France envers l’Afrique, c’est une belle mobilisation qu’il faut saluer là. »

De manière plus générale, selon les premières tendances de Campus France, l’agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, l’arrivée des étudiants africains en France devrait être « quasi stable » par rapport à 2019 et ce malgré la crise sanitaire (soit quelque 160 000 personnes en 2019). Car, comparée à l’Asie (et notamment l’Inde) ou à l’Amérique latine, l’Afrique s’en sort beaucoup mieux.

 

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Les étudiants africains ont aussi été « considérés comme prioritaires pour l’obtention des visas » faisant « partie des catégories dérogatoires à la fermeture des frontières » rappelle Campus France. Ils ont pu venir en France même s’ils provenaient de pays en zone rouge, à condition de respecter les protocoles sanitaires en vigueur [quatorzaine ou test PCR]. « On a fait un effort pour montrer aux étudiants qu’on voulait qu’ils viennent. Nous sommes l’un des rares pays à l’avoir fait au monde », se félicite Campus France. Un bon point pour la France dans la course mondiale aux futures élites.

Mustapha Kessous

Source : Le Monde

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