Quelle est la bonne dose de manifestation pour venir à bout d’un despote ou d’un dictateur ? Une politologue de Harvard spécialisée dans l’observation des régimes autoritaires tente une approche à la fois quantitative et qualitative de ce qui peut faire basculer un despote.
Il est utile de regarder en arrière pour se faire une idée de ce qui peut, dans une situation de paroxysme, faire tomber un autocrate. La politologue de Harvard Erica Chenoweth radiographie depuis des années les renversements de régimes autoritaires qui se sont produits depuis 1900, et en tire quelques enseignements généraux, relate BBC News.
La toute première conclusion de la chercheuse est “qu’un mouvement de contestation d’un dictateur a deux fois plus de chances d’aboutir s’il est non-violent”, rapporte le site britannique, et la seconde, qu’une manifestation doit rassembler “3,5 % de la population pour que son succès soit incontournable” et qu’elle exerce ainsi une forte pression sur le pouvoir.
Une participation minimum pour réussir
Erica Chenoweth l’admet, ce taux de participation ne semble guère énorme, et n’est pas non plus “gravé dans le marbre”, comme le montre l’exemple du soulèvement de Bahreïn en 2011 qui, en dépit d’un soutien massif de la population, a pour sa part échoué.
Mais 3,5 % des citoyens, c’est pour l’instant davantage que le nombre de participants aux manifestations en Biélorussie, souligne BBC News qui s’interroge avec la chercheuse sur les chances de succès de la résistance actuelle contre Alexandre Loukachenko.
En effet, les rassemblements les plus importants en Biélorussie ces dernières semaines ont regroupé jusqu’à 200 000 personnes selon l’agence Associated Press, soit moins des 300 000 participants qui constitueraient 3,5 % des neuf millions d’habitants du pays. “Si l’histoire peut nous éclairer, il est trop tôt pour dire que Loukachenko est fini”, avance le site.
Le succès passe par la non-violence
La non-violence dans la résistance est donc également une condition pour déboulonner potentiellement un dictateur. Pourquoi cela ? “La violence réduit le soutien des gens à une manifestation.” Ils seront bien davantage enclins à se joindre à un rassemblement s’il est pacifique et à l’inverse, les forces de l’ordre seront moins répressives si des familles entières défilent paisiblement.
Les récents mouvements de foule contre des régimes autoritaires – le cas des démocraties n’étant pas examiné – sont d’ailleurs le plus souvent non-violents, constate Erica Chenoweth.
Entre 2010 et 2019, observe-t-elle, “le monde a connu bien plus de soulèvements pacifiques que de mouvements armés” que par le passé, comme le montrent les exemples de l’Algérie (2019), de la Tunisie (2011) ou du Soudan (2019).
Mais l’observation des soulèvements récents révèle aussi que des manifestations massives et l’appui logistique des réseaux sociaux qui a grandement aidé les insurgés ne suffisent plus à assurer le succès, conclut la chercheuse.
“Les régimes despotiques ont trouvé des moyens d’utiliser ces armes [numériques] contre leurs opposants, car elles sont vulnérables à la surveillance et à l’infiltration” des réseaux sociaux, sans compter la propagande et la désinformation dont se sert le pouvoir par les mêmes moyens.