
A quoi pouvait penser Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », dans le convoi qui allait faire de lui un prisonnier, un président déchu ? Imaginer un dernier coup politique pour sauver son pouvoir, en expliquant aux « jeunes gens » que leur aventure putschiste serait vouée à l’échec ? Essayer à tout prix de préserver l’intégrité de sa femme et de leur fils Karim, devenus au fil de sa présidence les incarnations de la corruption, dénoncée tant par la rue de Bamako que par les partenaires internationaux ? Faire en sorte, comme il l’a indiqué dans sa déclaration de démission diffusée nuitamment par la télévision nationale le mardi 18 août, qu’« aucun sang ne soit versé pour [s]on maintien aux affaires » ?
Comme une boucle qui se ferme, « IBK » a été renversé par une armée qui, huit ans plus tôt, en 2012, avait largement contribué à son accession aux commandes en poussant à la fuite son prédécesseur, Amadou Toumani Touré. Depuis, la déliquescence de l’Etat malien n’a fait que se renforcer.
Comme un mauvais présage, ces derniers mois, la fragilité de son pouvoir semblait avoir marqué ses traits. Son visage, barré d’un masque lors de sa dernière allocution de chef d’Etat, s’était émacié. « Il a été clairement contraint au départ mais je pense que c’est un soulagement pour lui », veut croire l’un de ses proches.
« Pas fait pour le job »
La démission forcée d’« IBK » amène de nouvelles incertitudes pour ce pays. Mais tant au niveau local qu’international, rares sont les voix qui viennent aujourd’hui exprimer la moindre compassion pour celui qui s’était fait élire en 2013 sur la promesse, jamais tenue, de redresser l’Etat malien. Après sept années d’« IBK » au pouvoir, l’Etat demeure un bateau ivre, incapable de se réimplanter dans le nord du pays, et ayant abandonné le centre aux groupes djihadistes et aux milices communautaires.
« Paresseux », « velléitaire », « indécis », « faible », sont les qualificatifs qui reviennent dans la bouche des ministres, fonctionnaires et diplomates qui ont travaillé avec Ibrahim Boubacar Keïta. « Il n’était pas fait pour le job. Il est en fait persuadé que le peuple le considère comme un monarque et son dernier discours, où il a encore parlé de l’affection et de la chaleur du peuple malien, montre à quel point il est déconnecté des réalités », glisse, cinglant, son ancien ministre de la justice, Mamadou Ismaila Konaté, aujourd’hui proche de l’opposition.
Contesté par la rue depuis le mois de juin, le président malien n’a jamais eu le contrôle sur ses soldats. Ceux-ci ont donné le coup de grâce à sa présidence. « Il n’a toujours pas compris là où il a eu tort », analyse une source française qui le connaît bien et considère que cet épilogue est « la chronique d’un désastre attendu ». « “IBK” n’a jamais exercé le pouvoir, il en jouissait », analyse cette dernière sous couvert d’anonymat.
Rolex et révolte estudiantine
Amoureux de la France et de la langue française, admirateur du général de Gaulle tout en étant membre de l’Internationale socialiste, Ibrahim Boubacar Keïta, lors de son court passage dans l’opposition, ne rechignait jamais à raconter, avec l’accent du titi parisien en prime, ses années de révolte estudiantine à la Sorbonne… Tout juste oubliait-il d’enlever de son poignet sa Rolex d’or blanc sertie de diamants pour donner davantage de poids à son récit.
Cette image de dilettantisme et d’indolence n’a jamais quitté « IBK » depuis son arrivée à la présidence. Pourtant, quand Alpha Oumar Konaré, le président de l’époque, le nomme en 1994 à la tête du gouvernement, il acquiert vite le surnom de « Kankeletigui », « l’homme qui n’a qu’une parole ». « Konaré avait besoin d’un homme lige pour endosser tous les actes qu’il ne voulait pas assumer. “IBK” n’a pas hésité à mater une révolte étudiante, mais en réalité il est incapable de traiter et de disséquer les dossiers », décrypte une bonne source.
A Paris, qui fut son premier soutien tout au long de sa présidence, le locataire du palais de Koulouba avait fini par exaspérer ses interlocuteurs. Il y a encore quelques semaines, alors que la colère populaire enflammait Bamako, l’Elysée estimait qu’« “IBK” possède toutes les cartes en main pour résoudre la crise. Mais par procrastination ou par calcul politique, il refuse de les jouer ». Le voici sorti d’un jeu devenu plus imprévisible que jamais.