Jamais un ancien président des Etats-Unis avant Barack Obama n’avait instruit plus terrible procès de son successeur. Lorsqu’il a pris la parole, mercredi 19 août, au troisième soir de la convention d’investiture démocrate, des extraits de son discours dans lesquels il l’attaquait avaient déjà été rendus publics. Donald Trump y avait immédiatement réagi, répétant une nouvelle fois que le premier Afro-Américain à avoir occupé la présidence des Etats-Unis était l’unique responsable de son élection, du fait du cortège d’échecs que ce président « mauvais » et « inefficace » avait laissé derrière lui à l’en croire. Ce « carnage américain » dénoncé lors de sa prestation de serment, en 2017.
La charge a été implacable et méthodique, portée par la fluidité d’un orateur hors pair. Elle a visé tout d’abord un homme jugé incapable d’être au rendez-vous de l’histoire. « Je ne m’attendais pas à ce que mon successeur embrasse ma vision ni poursuive mes politiques, a convenu Barack Obama. J’espérais, pour le bien de notre pays, que Donald Trump pourrait montrer un certain intérêt à prendre ce travail au sérieux, qu’il puisse finir par ressentir le poids de la charge et découvrir une certaine vénération pour la démocratie qui avait été placée sous sa garde ».
« Mais il ne l’a jamais fait. Depuis près de quatre ans maintenant, il n’a manifesté aucun intérêt pour cette charge ; aucun intérêt à trouver un terrain d’entente ; aucun intérêt à utiliser le pouvoir impressionnant de sa fonction pour aider qui que ce soit d’autre que lui-même et ses amis ; aucun intérêt à traiter la présidence comme autre chose qu’une émission de télé-réalité de plus qu’il peut utiliser pour attirer l’attention dont il a besoin », a assuré l’ancien président. « Donald Trump ne s’est pas élevé à la hauteur de la fonction parce qu’il ne le peut pas. Et les conséquences de cet échec sont graves », a-t-il poursuivi avant d’évoquer le sombre bilan de la crise sanitaire créée par le Covid-19.
Rappel des « principes américains »
Barack Obama ne s’est pas limité à ce jugement cruel, comme validé en temps réel par des messages courroucés publiés en lettres capitales par Donald Trump sur son compte Twitter. Il a en effet tenté de démontrer qu’un second mandat représentait un danger existentiel pour les fondements de la démocratie américaine.
Joe Biden et Kamala Harris, les candidats au poste de président et de vice-présidente, a-t-il affirmé, « croient que dans une démocratie, le droit de vote est sacré et que nous devrions faciliter le vote des citoyens, pas le rendre plus difficile ». « Ils estiment que personne − y compris le président − n’est au-dessus de la loi et qu’aucun fonctionnaire − y compris le président − ne devrait utiliser sa fonction pour s’enrichir ou enrichir ses fidèles », a-t-il poursuivi sur un ton accusateur.
« Ils comprennent que les opposants politiques ne sont pas “anti-américains” simplement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec vous ; qu’une presse libre n’est pas “l’ennemi” mais le moyen qui permet de tenir les officiels responsables ; que notre capacité à travailler ensemble pour résoudre de gros problèmes comme une pandémie dépend du respect des faits, de la science et de la raison et qu’elle ne doit pas consister à inventer n’importe quoi », a enchaîné l’ancien président dans un portrait dévastateur de l’administration Trump. « Rien de tout cela ne devrait être controversé (…). Ce sont des principes américains. Mais, en ce moment, ce président et ceux qui le soutiennent ont montré qu’ils n’y croyaient pas », a jugé Barack Obama.
Ce sentiment d’urgence justifié par la conviction que « la démocratie est en jeu », désormais, a tranché avec le silence que Barack Obama avait tant bien que mal respecté depuis son départ de la Maison Blanche. L’ancien président, comme bien d’autres, avait sous-estimé Donald Trump lors de la convention démocrate de Philadelphie qui avait couronné Hillary Clinton, il y a quatre ans. « Il propose juste des slogans et il offre la peur. Il parie que s’il fait peur à suffisamment de gens, il pourra obtenir juste assez de voix pour remporter cette élection. C’est un pari que Donald Trump perdra. Parce nous ne sommes pas un peuple fragile. Notre force ne vient pas d’un sauveur autoproclamé promettant que lui seul peut rétablir l’ordre », avait-il assuré.
Barack Obama avait essuyé un autre revers avec la mobilisation insuffisante de la communauté afro-américaine dont il s’était porté imprudemment garant. « Je considérerais comme une insulte personnelle, une insulte à mon héritage si cette communauté baissait sa garde et ne parvenait pas à s’engager dans cette élection », avait-il affirmé avant l’élection.
Appel à la jeunesse
Il a sans doute mesuré les nombreux risques de cette violente attaque que le mépris des normes professé par Donald Trump rend indispensable à ses yeux. En rompant avec l’usage qui veut que les présidents se tiennent en dehors d’une mêlée politique devenue un effroyable bourbier sous la présidence de Donald Trump, il prend en effet le risque d’apparaître comme partie prenante d’un affaissement national. Il sait sans doute également qu’il n’est pas sûr que son appel à la mobilisation, aussi dramatique soit-il, soit entendu.
« Je sais qu’en des temps aussi polarisés que ceux-ci, la plupart d’entre vous ont déjà pris une décision. Mais peut-être ne savez-vous toujours pas pour quel candidat vous voterez, ou si vous voterez tout simplement. Vous êtes peut-être fatigué de la direction que nous prenons, mais vous ne voyez pas encore un chemin meilleur, ou vous n’en savez pas assez à propos de la personne qui pourrait nous y conduire », a-t-il voulu espérer, avant de s’adresser tout particulièrement à la jeunesse, invitée à prendre en main son destin.
« La démocratie n’a jamais été censée être transactionnelle : “vous me donnez votre vote”, “je fais tout au mieux”. Elle nécessite une citoyenneté active et informée. Je vous demande donc de croire en votre propre capacité à assumer votre propre responsabilité en tant que citoyens, à faire en sorte que les principes fondamentaux de notre démocratie perdurent », a-t-il conclu dans un appel à l’engagement déjà esquissé lors des funérailles du militant des droits civiques John Lewis, mort à 80 ans le 17 juillet. « Le président et ceux qui l’entourent comptent sur votre cynisme », a-t-il averti, conjurant les nouvelles générations américaines de les démentir.
Gilles Paris
(Washington, correspondant)
Source : Le Monde
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