Le premier resto de Mory Sacko : «Si je fais un aligot de patates douces, c’est français ou africain ?»

Le jeune chef Mory Sacko, vu dans Top Chef, s’apprête à ouvrir son premier restaurant à Paris. Libération suit ses derniers préparatifs et ses premiers pas. Episode 1 : réception de la vaisselle et première esquisse de la carte, à la croisée des gastronomies française, japonaise et africaine.

L’assiette a presque l’air de planer. A un, peut-être deux centimètres au-dessus du plan de travail. On n’est pas en train d’assister à une manifestation paranormale ; c’est juste que la céramiste qui a conçu la vaisselle de MoSuke, le restaurant que s’apprête à ouvrir Mory Sacko (1), a très bien fait son boulot. «On voulait vraiment faire en sorte qu’elle lévite, sourit le cuisinier de 27 ans, repéré dans Top Chef, en déballant le carton tout juste reçu. C’est Amandine Richard, de Saint-Denis, qui a fait les trois quarts de la vaisselle, sur mesure, à partir de travaux sur les textures et les matières qu’on a faits ensemble». 

Entre les feuilles de papier bulle que le cuisinier manipule avec précaution, on n’aperçoit pas d’assiette lisse mais des contenants avec «une espèce de grain. Je voulais quelque chose qui ait une finesse qui s’approche de la porcelaine, mais avec un côté brut aussi». Certaines assiettes s’utilisent des deux côtés. D’autres sont destinées à présenter uniquement des soufflés. D’autres encore sont légèrement creusées pour y accueillir des sauces, d’autres enfin sont plus profondes pour pouvoir y dresser des bouillons… En fait, la vaisselle du premier restaurant du jeune chef a été pensée pour accompagner les motifs que l’on retrouvera à la rentrée dans sa cuisine.

On a d’abord vu Mory Sacko à la télévision, dans la dernière saison de Top Chef où il s’est fait remarquer par sa cuisine créative, bien sûr (il n’a été éliminé que peu avant les quarts de finale, ce qui constitue dans ce programme un beau parcours), mais aussi par sa bonne humeur, sa capacité à improviser dans l’urgence, sa passion du Japon et sa simplicité. Après l’avoir rencontré en vrai, en juillet, on doit reconnaître que la télévision ne ment pas toujours : Mory Sacko est tel qu’il y était dépeint, jovial, souriant. Ambitieux aussi.

Paris, le 03 Aout 2020. Reportage et portrait du chef Mory Sacko révélé par top chef. Pas loin de la gare montparnasse le jeune chef vient de monter son restaurant Mosuke. Etape 1 les travaux

Photo Boby pour Libération

«L’étoile, c’est la reconnaissance du métier»

En ouvrant sa première table, après être passé par des maisons de qualité, comme le Mandarin oriental, son dernier poste en tant que chef de cuisine, le Royal Monceau ou le Shangri-La, le jeune chef vise l’étoile. «Cet objectif, je ne le cache pas, confie-t-il. Ça prendra le temps que ça prendra, mais l’étoile, c’est la reconnaissance du métier, même si certains s’en détournent. En tant que jeune chef qui essaye de créer quelque chose de nouveau, que le Michelin puisse « tamponner » et dire « OK, lui c’est pas juste un savant fou, un plan marketing, il y a quelque chose d’intéressant culinairement »… Ce serait une validation de mon projet». 

Ce «quelque chose de nouveau» ; c’est une cuisine inspirée par les gastronomies française, japonaise et africaine – «l’animal totem» de MoSuke est d’ailleurs le héron, «l’un des seuls animaux présents sur les trois continents». Française parce que c’est son pays et là où il a appris la cuisine, africaine parce que ce sont les origines de ses parents et la cuisine qu’il a mangée jusqu’à quitter le nid familial, japonaise par passion personnelle : «On n’est pas dans la notion de fusion, que je n’aime pas du tout parce qu’elle donne l’impression qu’on prend des éléments des trois cuisines, qu’on secoue et que ça donne un autre truc. C’est plus complexe que ça : je veux qu’on puisse parfois plus pencher vers l’Afrique, parfois plus vers le Japon, parfois vers la France mais avec un twist qui vient d’ailleurs.»

L’idée est de suivre le triptyque produit-technique-assaisonnement : «C’est ça le mélange des trois continents, des trois univers. Si je fais un aligot de patates douces, c’est plutôt français ou africain ? Si je fais un koulibiak de saumon mais que je le travaille comme un maki, avec du riz japonais, du saumon mariné dans le soja, est-ce que c’est encore un koulibiak ? Si je fais un poulet yassa, qui est un plat typiquement d’Afrique de l’Ouest, avec une belle volaille jaune ou une poularde de Bresse, des oignons de Roscoff, donc des produits français, que je le travaille avec des agrumes japonais comme le yuzu plutôt qu’avec du citron… on reste sur un poulet yassa. Mais différent.»

Paris, le 03 Aout 2020. Reportage et portrait du chef Mory Sacko révélé par top chef. Pas loin de la gare montparnasse le jeune chef vient de monter son restaurant Mosuke. Etape 1 les travaux

Photo Boby pour Libération

Chez MoSuke, dont le nom est la contraction du prénom du chef et de «Yasuke», celui d’un esclave noir devenu samouraï dans le Japon du XVIe siècle, Mory Sacko ambitionne aussi de «rechercher l’esthétisme et l’élégance de la cuisine française ou japonaise et l’appliquer à des plats comme le poulet yassa qui sont perçus comme riches, roboratifs, pas forcément instagramables, rigole-t-il, tout en gardant sa puissance gustative et sa palette aromatique». Il faudra attendre un peu pour goûter, dans des formules allant de 3 à 10 services, au poulet yassa revisité, au sticky rice au gombo et caviar, au turbot et plantain sauce shito ou au soufflé au chocolat et glace au wasabi, des idées encore au stade d’esquisse. Pour l’heure, la cuisine est encombrée par les meubles de la salle, en pleine opération relooking. «C’est seulement quand je serai en cuisine avec l’équipe que je me dirai «ça y est, c’est parti», sourit le jeune chef. D’ici là, ça reste encore un peu le rêve, le fantasme. Là je suis surtout dans la peinture !» 

Kim Hullo-Guiot

Source : Libération (France)

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