Les sept minarets de la grande mosquée de La Mecque vont se sentir seuls. En raison de la pandémie de Covid-19, le grand pèlerinage, l’un des cinq piliers de l’islam, qui débute mercredi 29 juillet, sera organisé dans un format très réduit. Au lieu de voir défiler 2,5 millions de fidèles, comme l’année dernière, la cité la plus sainte du monde musulman ne devrait accueillir que quelques milliers de croyants, 10 000 au maximum. Une affluence minimale, quasi-symbolique, qui constitue une première dans l’histoire de l’Arabie saoudite, royaume fondé en 1932.
Pour éviter que le hadj ne se transforme en « super-contaminateur », à la manière du rassemblement évangélique de Mulhouse fin février mais à la puissance 1 000, les autorités saoudiennes ont décidé de maintenir la fermeture de La Mecque aux pèlerins étrangers. Cette décision avait été prise fin février, à l’orée de la crise sanitaire. Alors même qu’aucun cas d’infection par le Covid-19 n’avait été enregistré dans le pays, Riyad avait suspendu la délivrance de visa pour l’omra, le petit pèlerinage, qui peut être effectué tout au long de l’année.
L’autorisation de participer au grand pèlerinage, qui se tient traditionnellement à l’approche de la fête de l’Aïd-el-Kébir, la plus importante date du calendrier musulman, n’a donc été délivrée qu’à une poignée d’habitants du royaume. 30 % d’entre eux sont des Saoudiens, professionnels de la santé et membres de l’armée, qui ont attrapé le Covid-19 dans le cadre des efforts déployés par l’Etat pour lutter contre cette maladie, ont guéri et se voient ainsi récompensés pour leur dévouement. Les 70 % restant sont des résidents étrangers, choisis par tirage au sort.
Bracelet électronique
Le SARS-CoV-2 continuant de circuler massivement dans le royaume, quoique à un rythme moins soutenu qu’au printemps – 2 000 nouveaux cas par jour, contre 5 000 à la mi-juin, un total de 269 000 contaminations et 2 760 morts – les personnes de plus de 65 ans ou souffrant de maladies chroniques, les plus à risque face au virus, ont été exclues d’office. Les heureux élus, pour leur part, doivent se conformer à un protocole de sécurité drastique, avant, pendant et après le pèlerinage.
En amont, ils doivent subir un test de dépistage, s’auto-isoler à leur domicile et pour certains porter un bracelet électronique, permettant aux autorités de retracer si besoin leurs déplacements et leurs contacts. Une fois arrivés à La Mecque, il leur est conseillé de rester dans leur chambre d’hôtel, où un repas leur est servi, trois fois par jour. Facturés en temps normal à un tarif très onéreux, qui peut s’élever à plusieurs milliers de dollars, le logement, l’alimentation et le transport des pèlerins sont pris en charge intégralement cette année par la couronne saoudienne.
Pour les rituels, qui s’étalent sur quatre jours et comportent plusieurs étapes obligatoires, le port du masque sera obligatoire. Durant les prières et la phase de circumambulation (al-tawaf), les sept tours de la Kaaba, l’édifice cubique au centre de la cour de la mosquée, une distance de 1,5 mètre entre chaque pèlerin devra être respectée. Toucher et embrasser la kiswa, l’étoffe de soie noire ornée de versets coraniques brodés en fil d’or qui recouvre la Kaaba, sera interdit.
Galets stérilisés pour le rituel de lapidation
Pour le rituel de la lapidation, qui consiste à jeter des pierres, ramassées sur le chemin, contre des stèles symbolisant Satan, les fidèles seront munis de galets stérilisés. Enfin, on leur distribuera à tous des bouteilles en plastique remplies d’eau de Zamzam, provenant de la source de La Mecque, qui est d’origine miraculeuse selon la tradition islamique, pour éviter qu’ils ne se désaltèrent et ne se lavent aux robinets de la mosquée. Une fois de retour chez eux, les croyants devront respecter une ultime période d’isolement.
Avec ce catalogue de mesures de précaution, semblable à une annulation qui ne veut pas dire son nom, la couronne saoudienne s’efforce de concilier deux impératifs : la préservation d’un symbole, à la source de sa légitimité, et la protection des pèlerins. Une annulation pure et simple de l’événement, moment suivi par des dizaines de millions de téléspectateurs, aurait eu un retentissement négatif dans le monde musulman. Et son maintien sans le moindre changement ou presque aurait soulevé un tollé, dont les adversaires du royaume se seraient emparés, pour remettre en cause son statut de gardien des lieux saints de l’islam. En 2015, au moins 2 000 participants au hadj, tous étrangers, avaient péri asphyxiés dans une bousculade géante, une tragédie qui avait valu une avalanche de critiques à l’Arabie saoudite sur la scène internationale.
La décision fut pourtant difficile à prendre. Dans un pays où le tourisme religieux génère chaque année plus de 10 milliards d’euros de revenus, la tenue d’un hadj réduit représente un manque à gagner non négligeable. La perte est d’autant plus lourde que l’économie locale pâtit déjà de la chute du cours de l’or noir. L’annonce a donc été faite en deux temps. Début avril, le ministre du hadj, Mohamed Saleh Bentin, a d’abord invité les candidats au pèlerinage à suspendre leurs préparatifs de voyage. Et fin juin, alors que le reflux de l’épidémie sur le territoire saoudien commençait à peine, il a officialisé le fait que ce rassemblement se tiendrait cette année sous une forme « très limitée », une décision applaudie par l’Organisation mondiale de la santé.
Ce n’est pas la première fois que l’organisation du hadj est perturbée. Au Moyen Age, des affrontements entre tribus de la péninsule Arabique et des épidémies de choléra ont conduit à plusieurs reprises à sa suspension. Le dernier cas en date remonte à 1798, coup d’envoi de l’expédition de Bonaparte en Egypte. Elle désorganisa tellement les routes d’accès à La Mecque que la tenue du grand pèlerinage fut annulée.
Benjamin Barthe
(Beyrouth, correspondant)
Source : Le Monde
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