Le Sénégal pleure son fils, nous autres Mauritaniens pleurons un Mauritanien d´adoption et un panafricaniste dans l´âme. Pendant mon exil au Sénégal, j´ai eu la chance de connaitre Babacar et toute sa ”bande” des pionniers de la presse indépendante au Sénégal et en Afrique.
De la rue Raffenel, j´ai connu Babacar, Feu Ibrahima Fall, Sidi Gaye, Tidiane Kassé de Walf, Saphie Ly et plus tard mon ami Abdoul Latif Coulibaly, Vieux Savané, Grand Demba Ndiaye l´homme de Hamadi Hounaré, Bocar Niang, Thierno Talla, Malick Rokhy Ba dit ”le faux toucs”, Aissatou Alioune Fall , mon grand captif Abdoulaye Sackou Faye, Babacar Dione, Feu Thiémokho Coulibaly le photographe, Michel Diouf, Omar Diouf Fall, Mamadou N´diaye, Pascal Faye, Cécile Sow, Alexis Bies, Mamadou Lamine Diatta, Moussa Diarra, Oumar kouressy du Mali, mon autre captif feu Mame Ollé Faye, feu Madior Fall, Bakary Domingo Mané et les autres à l´imeuble Fahd. Ce que j´admirais dans cette rédaction, c´est sa diversité africaine, c´était presque la CEDEAO en miniature. On y retrouvait presque des journalistes originaires de toute la sous région, ce qui réfletait la philosophie panafricaine du groupe Sud-com. Sud était devenu ma seconde famille où je comptais mes meilleurs amis aussi bien au Sud quotidien qu´à la radio SUD-FM sen radio.
Babacar était un Mauritanien d´adoption et était intéressé par l´évolution de la situation politique en Mauritanie pour y avoir vécu et travaillé à l´ambassade de l´Algérie pendant son ”exil” mauritanien.
Après l´arrestation de nos camarades Flamistes, suite à la publication du ”Manifeste du négro-mauritanien opprimé”, il était le premier journaliste africain à se rendre dans notre pays pour faire un reportage dans un spécial numéro de Sud magazine daté du 4 janvier 1987 sur la Mauritanie. Je garde toujours et précieusement ce numéro dans mes archives avec un titre évocateur: « Quels choix pour la Mauritanie »?
Après le transfert de nos camarades à la prison de Oualata, nous avions mené à partir de Dakar une campagne internationale de dénonciation auprès de la presse africaine et des organisations internationales des droits de l´homme comme Amnesty International afin de sauver la vie de nos militants détenus.
Suite à cette pression, Taya céda et autorisa la visite de la presse internationale. Le 12 décembre 1988, la prison est ouverte pour la première fois aux personnes étrangères. Babacar Touré, directeur de publication de l´hebdomadaire sénégalais Sud Hebdo,.et le très complaisant journaliste et ami du régime Abdel Aziz Dahmani de Jeune Afrique accompagnés de leur ”ange gardien” Fadili ould Mohamed directeur de la synthèse au ministère de l´intérieur comme nous l’a rapporté Babacar Touré, le gouverneur de la région Mohamed ould Mohamed Lemine, le préfet, le régisseur de la prison, s´entretiennent à Oualata avec les détenus militaires, et à Aioun, avec les prisonniers civils.
D´emblée Fadili tient à préciser aux prisonniers qu´ils n´ont pas en face d´eux une mission d´enquête mais juste une mission de constatation, et le gouverneur de marteler ”pas de syndicalisme et vous ne parlerez qu´en votre nom personnel”. S´adressant aux prisonniers choisis, il avertit qu’il « est juste question de vous entretenir avec vos hôtes sur vos conditions de détention que vous connaissez au même titre que tout le monde”. En fait les régles du jeu avaient été fixées dès mercredi, au cours d´une séance de travail au ministère de l´intérieur nous rapportait notre ami Babacar Touré. L´objectif de la visite n´était rien d´autre que de faire constater aux journalistes l´amélioration des conditions de détention des prisonniers et des prises de photos pour démentir notre campagne internationale et la mort annoncée par Amnesty international du commissaire Ly Mamadou, du journaliste Ibrahima Sarr et de l´ingénieur Sow Amadou Mokhtar. Mais le régime était incapable d’infirmer les décès du plus célèbre écrivain mauritanien Tène Youssouf Gueye, de BA Alassane Oumar, de BA Abdoul Ghoudouss et de Djigo Tafssirou ainsi que la maladie des dizaines de prisonniers qui étaient sous traitement médical pour cause de mauvaises conditions de détention.
Après leur retour Babacar nous fait le compte rendu de la situation de nos camarades et nous rassure un peu.
Je l´ai vu pour la dernière fois dans son bureau le vendredi 25 juin 1999, quelques jours avant mon expulsion du Sénégal. Je venais de quitter le bâtiment de la direction de la sûreté d´Etat où j’ai échappé à une tentative de kidnapping et d´extradition vers la Mauritanie. Ce jour-là, j´avais pris un taxi à qui j´ai demandé de me déposer à l´imeuble Fahd, siège du Groupe SUDCOM où je pouvais trouver réfuge. J´ai trouvé mes amis et frères Mika Lom, Bocar Niang, Housseinou BA et Grand Demba auxquels je fis le récit de ma mésaventure. lls m´ont informé que Babacar était dans son bureau. J´y suis entré pour la première fois et j´y ai retrouvé mon ami Latif Coulibaly, le doyen Ndiaga Sylla. On s´est salué et je l´ai taquiné en disant que son bureau était digne d´un bourgeois et non d´un révolutionnaire, un homme de gauche comme lui. Il éclata de rire et m´accueillit chaleureusement.
Je lui ai parlé de toutes les menaces qui pesaient sur moi, de ma mise en demeure et comment j´ai quitté en catimini le ministère de l´intérieur. On parla de la Mauritanie, il me raconta son exil dans notre pays où il comptait de très grands amis. Nous abordâmes aussi ses relations avec le MND et les FLAM. Je le taquinais en disant qu´il était plus proche du Mnd dans ses approches et analyses sur la Mauritanie et il soutint le contraire en m´affirmant qu´ íl avait aussi des amis Flamistes. Il cita le nom de son ami Ibrahima Sarr qui fut de sa promotion au CESTI. Il me parla de sa visite à Oualata en 1988 et me donna quelques conseils pour ma sécurité. Il me raccompagna jusqu`à la porte de son bureau et me tapota l´épaule avec des mots : ”Courage jeune homme, tu es un vrai Touré et les Touré sont de vrais Djambars mais tiens-moi informé pour la suite …”. Telles furent les images et les paroles qui me sont revenues à l´esprit lorsque j´ai appris la triste nouvelle.
Babacar était un diplomate au vrai sens du mot, un intellectuel engagé, un panafricaniste de conviction mais surtout un grand combattant de la liberté. La presse sénégalaise perd un de ses pionniers et l´Afrique un de ses plus dignes fils et avocats et nous un ami, un frère. Il est parti mais il restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Je ne peux finir cet hommage sans paraphraser Martin Gray qui disait : « Etre fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas s’enfermer dans sa douleur. Il faut continuer à semer ses rêves, à creuser son sillon droit et profond, comme ils l’auraient fait eux-mêmes ou comme nous l’aurions fait avec eux et pour eux. Etre fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient vécu et les faire vivre en nous ». (Le livre de la vie).
Adieu B.T , paix éternelle à ton âme Diambar. Amine.
Et la lutte continue !
Kaaw Touré depuis la Suède.
(Reçu à Kassataya le 28 juillet 2020)
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