Etats-Unis – Madison, Johnson, Obama : les armes de la discorde

Aux commandes des Etats-Unis | Pendant son 1er mandat, Donald Trump a montré sa proximité avec le lobby des armes. Malgré des tueries de masse chaque année, rien ne laisse penser qu’un contrôle plus strict des armes sera effectif prochainement. La détention d’armes reste le sujet sociétal le plus tabou qui soit aux Etats-Unis.

Les liens entre Donald Trump et la NRA (National Rifle Association) sont puissants. En avril 2017, le 45e Président des États-Unis participe à la Convention annuelle du lobby pro-armes, organisée à Atlanta, Géorgie. Il est le premier Président à y assister depuis Ronald Reagan, 34 ans plus tôt.

La question des armes à feu est centrale dans ce pays. Comment les différents Présidents se sont-ils positionnés dans ce débat ? Voyons cela avec James Madison, considéré comme le père du deuxième amendement de la Constitution, Lyndon B. Johnson, qui en 1968 est parvenu à faire adopter une loi instituant un plus grand contrôle des armes à feu, et Barack Obama, impuissant face aux tueries de masse qui ont endeuillé ses deux mandats.

James Madison, l’homme du deuxième amendement de la Constitution

 

 James Madison, 4 ème Président des États-Unis de 1809 à 1817
James Madison, 4 ème Président des États-Unis de 1809 à 1817 Crédits : Ann Ronan Picture Library / Photo12 AFP

 

On lui doit sans doute les deux textes les plus importants de l’Histoire des Etats-Unis. La Constitution, adoptée le 17 septembre 1787 à Philadelphie. Puis le Bill of Rights (Déclaration des droits) et ses dix amendements adoptés par le Congrès deux ans plus tard et finalement ratifiés le 15 décembre 1791.

A ce titre, James Madison est souvent présenté dans les livres d’histoire comme celui qui a pensé et rédigé le deuxième amendement de cette Déclaration, qui garantit à chaque Américain le droit de porter une arme. Même si ce texte fondateur est encore, plus de deux siècles après sa rédaction, soumis à diverses interprétations.

A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed.

Quand il commence à rédiger cet amendement, James Madison n’est pas encore Président. A la fin des années 1780, ce fils d’un cultivateur de tabac de Virginie a déjà une belle carrière politique. Il a officié au sein de la Chambre des Représentants de cet Etat du Sud, puis au Congrès des Etats-Unis pendant la Guerre d’indépendance contre les Anglais. Il est aussi avec Thomas Jefferson l’un des fondateurs du « democratic republican party », considéré comme l’ancêtre du parti Républicain actuel. Aux côtés d’Alexander Hamilton et de John Jay, il publie dans les Federalist Papers une série d’essais annonciateurs de la Constitution. Puis Madison sera l’un des leaders de la Chambre des Représentants dans la capitale et deviendra ensuite l’un des proches conseillers du Président George Washington, avant d’occuper les postes de Secrétaire au Trésor et Secrétaire d’Etat.

 

 

En 1808, Madison remporte l’élection présidentielle et succède dans le bureau ovale à Thomas Jefferson. Mais à jamais et pour l’Histoire, Madison restera comme l’un des pères fondateurs de la Constitution américaine, et donc de ce deuxième amendement.

Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé.

Ces 28 mots sont gravés dans l’inconscient collectif des Américains. Quand ils imaginent ce texte, les Pères Fondateurs (et Madison) voient le port d’armes comme une responsabilité civique et collective, afin que des citoyens organisés (les milices, ou armée de réserve) puissent protéger leurs communautés contre des agressions étrangères, ou une menace intérieure (les éventuelles tentations tyranniques du gouvernement).

Les premières colonies exigeaient d’ailleurs que les porteurs d’armes soient encadrés et recensés. Madison gardera cette idée d’un contrôle sur les armes à feu.

Ce n’est que bien des années plus tard, et notamment sous l’influence de la National Rifle Association (fondée en 1871 à New York) qu’une approche plus individualiste de la question du port d’armes s’impose aux Etats-Unis. Le second amendement est alors présenté par les « pro-guns » comme un droit individuel et inaliénable à être armé et à défendre sa vie et sa propriété.

James Madison fera deux mandats de Président. Il quittera la Maison Blanche en 1817 à l’âge de 65 ans et se retirera dans sa plantation de tabac en Virginie. Il meurt le 28 juin 1836. Et restera à jamais pour beaucoup d’Américains l’homme du deuxième amendement.

Lyndon Johnson renforce le contrôle des armes après les assassinats de JFK, Martin Luther King et Robert Kennedy

 

Les années 1960 sont marquées par trois assassinats politiques qui traumatisent l’Amérique.

Le Vice-Président Lyndon Johnson (g.) et le Président J.F.Kennedy (d.) en 1962
Le Vice-Président Lyndon Johnson (g.) et le Président J.F.Kennedy (d.) en 1962 Crédits : Ann Ronan Picture Library / Photo12 via AFPAFP

 

 

Le Président John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas, Texas.

Le Révérend Martin Luther King le 4 avril 1968 à Memphis, Tennessee.

Le Sénateur et candidat à la primaire démocrate Robert F. Kennedy le 6 juin 1968 à Los Angeles, Californie.

 

Tous trois ont été tués par arme à feu. Ces trois drames marquent profondément le texan Lyndon B. Johnson. A l’automne 1963, il est d’ailleurs le vice-Président de JFK et il lui succède immédiatement à la Maison Blanche. Johnson occupera le bureau ovale jusqu’en janvier 1969 avant de céder son fauteuil au républicain Richard Nixon.

Mais en cette année 1968 très tourmentée aux Etats-Unis, le démocrate Johnson veut faire bouger les lignes sur la question des armes à feu.

Le 22 octobre 1968, le Président Johnson ratifie la loi « Gun control Act » qui limite les achats d’armes à feu par correspondance, et proscrit leur acquisition par les mineurs, les repris de justice, les usagers de drogues et les personnes jugées inaptes mentalement. Pourtant, Johnson mesure déjà que sa loi ne va pas assez loin : « J’aurais souhaité créer un registre national de toutes les armes à feu en circulation dans le pays, témoigne-t-il plus tard. Il y a dans ce pays 160 millions d’armes, plus que le nombre de familles. Si nous voulons qu’elles échappent aux mains des criminels, des fous et des irresponsables, nous devons créer ce registre« . La loi, soutenue à l’époque par la NRA, impose pourtant aux armuriers d’établir un registre des ventes. Mais les vendeurs ne sont pas contraints de communiquer ces informations aux autorités locales ou fédérales. La loi requiert aussi que chaque arme fabriquée aux Etats-Unis soit dotée d’un numéro de série, afin qu’elle soit plus facilement traçable.

Ce « Gun Control Act » de 1968 sera complété des années plus tard par la loi Brady (Brady Act), du nom de l’ex-porte-parole de la Maison Blanche, grièvement blessé dans la tentative d’attentat qui avait visé le Président Ronald Reagan douze ans auparavant. Le texte est adopté par le Congrès à l’automne 1993. Il crée un fichier national de vérification du casier judiciaire des acquéreurs. Mais cette vérification des antécédents judiciaires ou psychiatriques connait des limites : base de données peu mise à jour et possibilité de contourner ces vérifications lors d’achats réalisés dans les foires aux armes (gun shows) ou plus récemment sur internet

Barack Obama, impuissant, même après le drame de l’école de Newtown

 

Lors de son premier mandat, Barack Obama est confronté à plusieurs fusillades de masse (« mass shootings ») : 14 morts à Fort Hood, Texas, le 5 novembre 2009. Six morts dans un supermarché de Tucson, Arizona, le 8 janvier 2011, lors de la tentative d’assassinat de la Représentante Démocrate Gabby Gifford. 12 morts dans un cinéma d’Aurora, Colorado, le 20 juillet 2012.

 

Mais il faudra attendre le début de son deuxième mandat pour que le 44e Président des Etats-Unis prenne la mesure du drame qui se joue dans le pays.

Le 14 décembre 2012, à Newtown, Connecticut, un homme de 20 ans pénètre à l’intérieur de l’école élémentaire Sandy Hook, armé d’un fusil automatique AR-15 et d’un pistolet SIG-266, achetés légalement par sa mère. En moins de cinq minutes, il ouvre le feu à 156 reprises. Il abat vingt enfants, âgés de 6 et 7 ans, et six adultes, avant de retourner l’une des armes contre lui. Le choc aux Etats-Unis et dans le monde entier est immense.

Le couple Obama se recueille après la mort de 20 enfants et 6 adultes dans une fusillade à l'école Sandy Hook en 2012
Le couple Obama se recueille après la mort de 20 enfants et 6 adultes dans une fusillade à l’école Sandy Hook en 2012 Crédits : SAUL LOEB AFP

 

Barack Obama qui entame son deuxième mandat annonce alors qu’il va faire du contrôle des armes la priorité des quatre années qui lui reste à la Maison-Blanche. Et il charge son vice-Président Joe Biden de monter un groupe de travail, pour étudier le système existant de contrôle des armes à feu dans le pays, et surtout envisager de nouvelles mesures pour en restreindre la vente et la circulation. Obama sait qu’il peut alors compter sur le soutien de la population américaine : dans les sondages réalisés après le drame de Sandy Hook, 55% des personnes interrogées se disent en faveur de la prohibition des armes d’assaut, et plus de 90% sont favorables à une mesure universelle de vérification des ventes d’armes.

Mais la NRA (forte de ses presque cinq millions d’adhérents) et le parti républicain se mobilisent contre le projet de la Maison-Blanche. Dès le mois de février 2013, le texte est déjà quasiment vidé de sa substance, avant même d’arriver devant le Sénat. Le 17 avril, le projet de loi bipartite qui prévoit notamment une interdiction des fusils d’assaut est rejeté par les Sénateurs, par 60 voix contre 40. Parmi eux : plusieurs démocrates qui votent comme la majorité des républicains. Sans doute se souviennent-ils de ce qu’il est advenu dix ans plus tôt, quand en 1994 Bill Clinton avait  imposé par décret une interdiction de ces mêmes fusils d’assaut (levée depuis) et que les démocrates avaient ensuite été étrillés lors des élections de mi-mandat (dans son autobiographie, Bill Clinton écrira :

La NRA peut se vanter d’avoir choisi le nouveau Speaker de la Chambre des représentants Newt Gingrich.

Barack Obama réalise en ce printemps 2013 qu’il ne peut pas lutter contre les millions de dollars dépensés en lobbying par la National Rifle Association, ni contre la crainte des élus (républicains et démocrates) de ne pas voir leur mandats renouvelés aux élections de mi-mandat.

En 2016, Barack Obama tente une dernière fois d’imposer de nouvelles mesures.

 

Cette fois, il agit par décrets présidentiels. Mais le texte est beaucoup moins ambitieux, et sa portée beaucoup plus limitée. Il impose simplement aux vendeurs occasionnels (foires aux armes ou internet) de procéder à un contrôle des antécédents judiciaires et psychologiques des acquéreurs. Il prévoit aussi d’augmenter les budgets des agences fédérales en charge de ces contrôles. Mais il n’est plus question de prohibition des fusils d’assaut, et encore moins de registre universel.

Selon le décompte quotidien de EveryTown, un collectif militant pour un meilleur contrôle des armes à feu, plus de 100 Américains sont tués par arme à feu CHAQUE JOUR.  

Infographie publiée en décembre 2019.
Infographie publiée en décembre 2019. Crédits : Visactu
Grégory Philipps
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