
Le congressiste démocrate John Lewis, qui fut l’un des protagonistes de la marche de Selma pour le droit de vote aux côtés de Martin Luther King, a succombé vendredi à un cancer à l’âge de 80 ans. Son engagement en faveur des Noirs et des minorités fut sans relâche. L’avènement de la présidence Obama fut la juste récompense pour ce fils de métayer de l’Alabama.
Lors de son investiture en janvier 2009, le président Barack Obama lui avait donné une photo avec les mots suivants : « Grâce à toi ». Après avoir signé la loi sur le droit de vote en 1965, un autre président, Lyndon Johnson, lui offrit la plume avec laquelle il avait paraphé ce document majeur dans la lutte des droits civiques aux Etats-Unis. Ces deux anecdotes illustrent le rôle majeur qu’a joué John Lewis pour faire avancer la cause des Noirs outre-Atlantique. Il a tiré sa révérence à 80 ans vendredi, victime d’un cancer du pancréas découvert en décembre dernier.
John Lewis, devant le Congrès américain
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Figure du «Bloody Sunday»
A l’heure où Black Lives Matter enflamme la rue américaine après la mort de l’Afro-Américain George Floyd, victime de brutalité policière, la disparition de cette figure des droits civiques revêt un caractère symbolique très fort. Le congressiste avait salué ces manifestations contre le racisme systémique et institutionnel qui affecte toujours la société américaine. Il voyait cette mobilisation comme une continuation de ses efforts de l’époque pour vaincre l’ère Jim Crow du nom des lois raciales imposées au lendemain de la Reconstruction peu après la guerre de Sécession et qui ont perduré jusque dans les années 1960. Cité dans le New York Times, il disait encore en juin dernier au sujet de Black Lives Matter: «Cela semble très différent (d’avant). C’est beaucoup plus massif et inclusif. Il n’y aura plus de retour en arrière.»
En juin, John Lewis, dont la passion était toujours visible dans ses interventions au Congrès, est encore apparu aux côtés de la maire noire de Washington, Muriel E. Bowser sur le Black Lives Matter Plaza, l’espace renommé après les manifestations antiracistes de Lafayette Square évacuées manu militari par les forces de l’ordre sur injonction du président Donald Trump. Peu avant, il enregistrait un débat politique avec Barack Obama.
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Fils d’une famille de métayer d’Alabama, John Lewis a marqué d’une pierre blanche le mouvement des droits civiques lors de la célèbre marche de Selma à Montgomery en 1965 magnifiquement mis à l’écran par la réalisatrice Ava DuVernay. Inspiré par Martin Luther King quand il était au collège, à l’âge de 15 ans, il était présent lors de la première marche sur le pont Edmund Pettus de Selma quand la marche fut écrasée par les forces de l’ordre lors de ce qu’on a appelé le «Bloody Sunday». John Lewis fut gravement blessé à la tête. Mais les activistes du mouvement ne s’arrêtèrent pas là. D’autres marches furent organisées jusqu’à pouvoir enfin gagner Montgomery, la capitale de l’État.
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Stratégie de la non-violence
A partir de 1963, il dirige le Student Nonviolent Coordinating Committee qu’il cofonda trois ans plus tôt. Cette même année, avec ses compagnons de route des droits civiques, il résiste au président John F. Kennedy qui les invitait à renoncer à la marche sur Washington. Un rassemblement qui sera le théâtre du fameux discours « I have a dream » de Martin Luther King. A 23 ans, John Lewis sera le plus jeune orateur de l’événement. Comme le souligne le Washington Post, ses aînés avaient édulcoré quelque peu son allocution pour ne pas se mettre le président Kennedy à dos. Mais il est de toutes les mobilisations pour dénoncer la ségrégation dans les lieux publics. Le combat pour la justice sociale et économique lui était chevillé au corps.
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Pour le défunt congressiste, qui détestait les armes à feu et qui s’est fait sienne la stratégie de la non-violence – il fut objecteur de conscience durant la guerre du Vietnam et rompit avec Lyndon Johnson -, l’avènement de la présidence Obama fut une sorte de récompense des efforts fournis avec une opiniâtreté remarquable pendant plusieurs décennies. L’embrassade du 44e président des Etats-Unis et de John Lewis sur le pont Edmund Pettus lors du 50e anniversaire de la marche de Selma en 2015 fut la juste récompense pour l’engagement sans faille d’un homme politique à la sensibilité à fleur de peau devenu depuis 2017 l’un des plus fervents critiques de Donald Trump. Elu au Congrès en 1986, il s’est toujours positionné à gauche de l’échiquier politique et s’est battu toute sa vie pour la déségrégation. Après le décès, l’an dernier, d’une autre figure noire du Congrès, Elijah Cummings, l’Amérique perd une grande figure et un grand humaniste. Et l’un des grands acquis des années 1960, la loi sur le droit de vote, est malmenée par des gouverneurs républicains et l’administration Trump.
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