Employabilité des jeunes, thème en vogue ou cas de conscience commune ! / Par Peinda Abdoulaye Diop

Peinda Abdoulaye Diop, Directrice de l’agence de communication pour le Développement SAHELIA C4D, étale dans un style simple et pragmatique sa vision sur des sujets de développement qui lui tiennent à cœur dans une chronique périodique : Les Voies du développement . Très portée sur les problématiques de développement que connaissent nos pays d’Afrique, elle présente de son angle de vue son avis sur des sujets majeurs qui nous interpellent tous !

Un style, une plume au service du développement durable!

De Nouakchott à N’Djamena, en Europe comme en Asie, le mot est sur toutes les lèvres. L’employabilité des jeunes, on en parle partout. Qu’en est-il de la situation réelle dans notre pays ? Quelles sont les avancées dans ce domaine ? Y a-t-il une réelle volonté de faire sortir les jeunes hommes et femmes de la hantise du chômage ? Depuis le temps qu’on en parle qu’est ce qui est fait concrètement ou plutôt qu’est ce qui n’a pas encore été fait ?

Si l’on se réfère aux chiffres de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) datant de 2017, plus de 31 % des jeunes mauritaniens sont au chômage. Aujourd’hui près de 270 000 diplômés âgés entre 19 et 35 ans sont sans emploi.

Cette situation est alarmante et ne date pas d’aujourd’hui. Il y a 10 ans déjà grâce aux indicateurs du travail décent en Afrique, une comparaison avec les pays voisins tels que le Mali ou le Burkina sur le taux de chômage des 15-64 ans affichait un taux de 31.5 % pour la Mauritanie pour 8.3 % au Burkina et au Mali. Ces mêmes indicateurs présentent un taux de 62.8 % représentant la population employée dans les formes de travail précaire. En effet nombreux sont ceux parmi les jeunes qui y ont recours pour des questions de survie.

Plus de la moitié de notre population est âgée de moins de 20 ans. Une grande partie de la jeunesse mauritanienne, qu’elle soit issue du milieu rural ou urbain se pose les mêmes questions existentielles. Comment parvenir à obtenir un emploi décent ? Vers ou aller ? Qui faut-il contacter ?

Eh oui, il ne faut pas négliger le réseautage, car c’est l’un des moyens privilégiés de beaucoup de personnes pour trouver un emploi décent quoi qu’on dise. Je vous le dis n’en soyez pas si surpris, ici comme ailleurs la force du réseau est sans précédent. Pourquoi croyez-vous que dans le monde entier de nombreuses personnes évoluent dans des milieux constitués de cercle privé, groupe, réseau etc. D’ailleurs en d’autre lieux plus le niveau social est élevé plus la notion de groupe a de l’ampleur. Mais bon, ne nous éloignons pas du sujet du jour. De cercles, clans, tribus et autres, on en parlera une autre fois.

Pour revenir à notre sujet, il convient avant d’aller plus loin de procéder à une définition de l’employabilité des jeunes. Entendons-nous sur une définition. Le terme ne renvoie pas seulement à la simple acquisition d’un travail pour un chômeur. La notion de l’employabilité des jeunes va bien au-delà. Il s’agit non seulement de la capacité de trouver un emploi, il faut en plus qu’il soit décent, et également durable. En d’autres mots, si l’on reprend ici la définition de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’employabilité est l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle. Cette définition montre clairement la position déterminante du chercheur d’emploi dans cette équation. Il a donc un rôle essentiel qui doit être compris pour être mieux mis en valeur. Le jeune chercheur d’emploi porte en soi une grande responsabilité qui n’est pas à négliger.

C’est un fait, de nos jours il devient de plus en plus difficile de trouver un emploi. Ce phénomène est mondial et touchait déjà en 2017 plus de 193 millions de personnes dans le monde. Cela nous amène à nous poser les bonnes questions. Quelles en sont les causes ? Si dans la majorité des cas les opportunités de travail se font rares il y’a également la problématique du manque de qualifications qui se pose et qu’il convient de ne pas ignorer.

Ici les jeunes représentent plus de la moitié de la population. Quand on observe le niveau d’éducation des jeunes mauritaniens on peut se laisser emporter par le taux en progression de scolarisation en 2019 qui est de 84.8 % pour les garçons et 83.9 % pour les filles. Mais lorsque l’on se penche sur la tendance à la non poursuite des études passé le primaire, aux difficultés que rencontrent les jeunes confrontés à la pauvreté et aux conditions de vies parfois très contraignantes dans les zones rurales comme dans les milieux urbains, on comprend les difficultés auxquelles de nombreux jeunes sont confrontés dans la quête d’une éducation adéquate porteuse d’espoir et d’avenir. Quoi de plus légitime pour un être humain en âge de se prendre en charge. Qu’il soit homme ou femme.

J’insiste sur la nécessité des femmes à avoir au même titre que les hommes des chances égales face à l’employabilité. En effet il ne faut pas perdre à l’esprit la dure réalité des inégalités du genre dans un contexte social et culturel très conservateur ou les traditions pourtant très protectrices envers la femme, contribuent paradoxalement à creuser un fossé entre les opportunités des femmes et celles des hommes réduisant ainsi les chances des femmes à accéder à un emploi décent.

Au manque de structures proposant des emplois à hauteur du nombre de demandeurs d’emploi, vient s’ajouter les contraintes que rencontrent nombre d’employeurs face à des jeunes en manque de formation adéquate. Y-a-t-il assez de choix dans le marché de l’enseignement pour une diversité dans la formation ? Les formations disponibles sont-elles de qualité ? Y a-t-il des commissions mises en place pour contrôler et évaluer la qualité des formations administrées ? Si Oui comment procèdent-elles ? Il y a donc une pléthore de questions que l’on pourrait être amené à se poser. Peut-être serviront elles à pousser la réflexion et attirer l’attention sur des besoins et solutions jusque-là non étudiés, exploités ou très peu exploités.

Il est essentiel à un état de ne ménager aucun effort pour favoriser une meilleure employabilité des jeunes. L’emploi des jeunes favorise l’équilibre d’un pays. L’émancipation des jeunes est source de paix et de stabilité.

L’impact du chômage des jeunes peut être dévastateur sur l’économie d’un pays. Mais pas seulement. Dans de nombreux cas, des difficultés à trouver un emploi, des conditions difficiles et un environnement peu favorable, peuvent évoluer vers une montée de la délinquance ou de la violence. Le problème du chômage lorsqu’ il n’est pas pris en charge de façon efficiente, peut être à l’origine d’autres phénomènes, tels que l’immigration clandestine ou l’instabilité amenant les populations à la moindre occasion et par un effet domino à se révolter massivement. Il peut créer des situations d’insécurité allant jusqu’à menacer ou déstabiliser la paix dans ces milieux. Ce qui se passe aujourd’hui aux états unis d’Amérique ou encore tout près de chez nous en sont des exemples concrets.

Si la notion de l’employabilité des jeunes fait écho un peu partout depuis de longues années, on constate depuis ces quatre ou cinq dernières années que le terme est de plus en plus usité ici. Doit-on y voir une conséquence systématique liée à la mise en place de stratégies nationales de développement en adéquation avec les objectifs de développement durable des Nations Unies. Ceux-ci visent à encourager une croissance économique soutenue pour parvenir au plein emploi productif et au travail décent, pour tous les hommes et les femmes, d’ici 2030. Dans tous les cas, les travaux en cours réalisés par l’Etat, les organisations de développement et la société civile, montrent que l’employabilité des jeunes est de plus en plus au cœur des préoccupations.

De nombreux projets comme le PRODEFI, le Projet d’Appui à l’Employabilité des Jeunes Vulnérables, le Projet pour la Promotion de l’emploi décent pour les jeunes en milieu urbain, le Projet Cap Insertion, le PECOBAT… arborent des stratégies visant à développer une meilleure intégration de l’emploi au cœur des politiques sectorielles, la mise en place d’un système d’information sur le marché de l’emploi et de la formation, le développement des compétences des jeunes en lien avec le secteur productif.

Il serait intéressant aujourd’hui de comprendre ce que pensent les jeunes de toutes ces réalisations. Toutes ces avancées au profit de la jeunesse et des femmes en termes d’emploi, ont-elles réellement servies à créer une dynamique de développement, un changement dans les circuits d’information ?

Peut-on déjà ressentir une amélioration au niveau de l’employabilité des jeunes, les conditions sont-elles meilleures aujourd’hui, plus qu’hier ? Qu’en pensent nos jeunes ? De part et d’autres quelles sont les attentes ?

Notons également que si la problématique du chômage a été de taille toutes ces années durant, nous n’osons imaginer l’impact de la Pandémie du Coronavirus sur l’avenir de l’employabilité des jeunes en Mauritanie.  La COVID 19 sous l’effet du confinement et de l’arrêt des chaines de production a déjà fait beaucoup de dégât dans le monde et impose une révision profonde de nombres de stratégies de développement antérieures mises en place. Des prévisions annonçaient déjà une perte d’emploi pour   plus de 305 millions de personnes dans le monde dès le 2EME trimestre de l’année 2020.  En Afrique, plus de 20 millions d’emplois ont été supprimés et pour le secteur du travail au noir c’est 1,25 milliards de travailleurs exposés à des licenciements, des pertes d’activités et de revenus.

Difficile de ne pas penser aux conséquences d’une telle pandémie sur l’employabilité des jeunes. Les stratégies de développement mises en placent doivent-elles être repensées ?

Néanmoins quelles que soient les approches qui seront retenues dans l’avenir, Il reste certain que pour que des résultats soient perceptibles tout au long du processus de mise en place des projets de développement pour la promotion de l’employabilité des jeunes  et que des améliorations de leurs conditions de  vie puissent être tangibles, ces derniers doivent impérativement être intégrés aussi bien dans les prises de décisions que dans les campagnes de vulgarisation des moyens de développement mis à disposition.

 Ce n’est qu’en travaillant de façon étroite avec les jeunes que l’on acquière une meilleure compréhension des besoins et des difficultés qui sont les leurs. Et c’est également par ce moyen que l’on arrive à obtenir une meilleure sensibilisation auprès des jeunes.  Ils doivent s’approprier des processus de changement de comportement pour mieux accueillir toutes les résolutions engagées par l’ensemble des acteurs comprenant l’Etat, les Institutions Internationales, les ONGs, la Société Civile, le secteur privé, le système éducatif, les organes de presse intervenants dans la dynamique pour une meilleure employabilité des jeunes. C’est ensemble et grâce à un travail collectif que la problématique de l’emploi des jeunes hommes et femmes sera résolu en Mauritanie.

Un système de communication sociale plus musclé permettra une meilleure promotion qui se fera à travers : la mise en place d’une importante stratégie de sensibilisation et d’information, l’engagement d’une presse spécialisée, la prise de conscience des jeunes et plus jeunes sur les responsabilités communes quant à la prise en charge de leur propre destin.

Pour finir sur une touche d’humour, je partage avec vous cette citation de Pierre Daninos qui dit en parlant de travail que « un confrère est un personnage sans talent qui fait, inexplicablement le même métier que vous »

Sur ce à très bientôt sur les Voies du développement.

 

Peinda Abdoulaye Diop

 

(Reçu à Kassataya.com le 12 juin 2020)

 

 

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